Dans l’histoire du Bureau du vérificateur général, jamais un rapport  de vérification n’a été autant remis en cause que celui  de 2018. En effet, depuis sa mise à la disposition du grand public, le débat s’est enflammé autour de ce rapport. La réaction de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga  en est l’illustration parfaite.  Pourquoi  tant de polémiques et de contestations ? Le Vérificateur général Samba Alhamdou Baby a-t-il violé les principes de la vérification ? La  contestation  n’est-elle pas synonyme de remise en cause des compétences   de l’actuel patron du BVG ? La réponse à ces questionnements permet  de mettre  sur la place publique les contrevérités du rapport 2018 du Bureau du vérificateur général.

Une première au Mali

Pour la première fois  depuis  la création du BVG, toutes les structures contrôlées  dénoncent les insuffisances du travail et rejettent en bloc le rapport 2018. Ce rapport détient sans nul doute le record de la contestation.  Pour mieux édifier nos lecteurs sur les raisons de la contestation et la polémique autour du rapport 2018 du BVG, nous nous sommes intéressés au cas particulier de l’ambassade du Mali au Burkina Faso.

Dans  le rapport 2018 du BVG, la représentation diplomatique  du Mali à Ouagadougou  est épinglée   dans la gestion du budget de la construction de la Chancellerie et des logements de l’ambassade  de la République du Mali auprès au Burkina Faso. La vérification  porte sur les opérations de recettes et de dépenses effectuées par l’Ambassade dans le cadre de l’exécution du budget. La vérification a pour objectif de s’assurer de la régularité et de la sincérité desdites opérations. Les travaux de vérification ont porté sur : l’évaluation du contrôle interne; les opérations d’encaissement des recettes de chancellerie; les règlements des dépenses; la gestion de la trésorerie et des valeurs inactives; la gestion du patrimoine; la comptabilisation de ces opérations; les dépenses du personnel. Selon le rapport,  le  montant total des irrégularités financières constatées s’élève à 1 836 065 838 FCFA. Ce montant est le résultat  de toutes les opérations  de recettes et de dépenses.   Dans ses opérations,  nous avons examiné le volet construction de la gestion du budget de la construction de la Chancellerie et des logements.

Les insuffisances  du rapport

Du 30 novembre au 14 décembre 2018, une équipe du BVG  a séjourné à Ouagadougou  dans le cadre de la  vérification financière  de l’Ambassade  du Mali au titre des exercices 2015, 2016, 2017 et premier semestre 2018.

Contrairement à l’équipe de vérification qui a effectué  sa mission de trois semaines  dans un bureau de l’ambassade avec une photocopieuse  pour reproduire les documents comptables, sans soumettre à aucun agent de l’ambassade  des  questions  de vérification et d’éclaircissement; nous sommes allés à la rencontre des acteurs  sur le terrain.   Si l’ambassadeur  du Mali au Burkina Faso n’a pas voulu réagir  à notre sollicitation, nous avons rencontré  les responsables des différentes entreprises. Il s’agit  de l’Entreprise générale de construction du Burkina (Egcob/TD), de Dana  Architecture, de la Société africaine de contrôle de conseil et de coordination de l’établissement Ouédraogo Mohamed et frères.

La démarche adoptée par le BVG traduit une volonté de souiller  l’image et la réputation des entités contrôlées. Selon nos informations, l’équipe de vérification est arrivée à l’Ouagadougou au moment où l’Ambassadeur était en congé à Bamako. Si la vérification porte sur les recettes et dépenses, elle devrait mettre au centre l’ambassadeur et l’agent comptable de l’ambassade. Malheureusement, à Ouagadougou, on assiste à tout sauf au respect de ce principe. Les vérificateurs  ont fait un travail de bureau durant trois semaines  avec la reproduction  des documents comptables. L’agent comptable était sollicité seulement  lorsqu’ils avaient besoin d’un document. Selon nos sources, même la reproduction des documents était l’œuvre d’un jeune burkinabè recruté pour la circonstance. Peut-on produire un travail objectif  sans pour autant rencontrer les responsables des entreprises.  La réponse à cette question est sans nul doute négative. La rencontre de ces acteurs pouvait permettre à la mission de vérification de comparer les documents fournis par la comptabilité et les attestations de reconnaissance de paiement  des différentes prestations. Les différents  prestataires ont tous notifié à l’ambassadeur le paiement intégral  de leur prestation. Seule,  la principale entreprise qui avait en charge la construction du bâtiment principal et les 7 appartements attend encore  un reliquat de 85 millions de nos francs,  correspondant  à la retenue de garantie. Ce montant devrait être payé  dès la réception définitive des bâtiments.

Le non-respect du principe contradictoire constitue également une insuffisance du rapport. Selon certaines indiscrétions, après réception du rapport provisoire, l’ambassade a produit un document d’éclaircissement avec des pièces justificatives  et d’autres observations pour la production d’un travail objectif. Malheureusement,  la surprise fut grande de voir le Vérificateur général publier son rapport avec les mêmes incriminations. Un autre fait très grave, sur le tableau  de validation  du respect  de la procédure contradictoire, les  structures contrôlées ne  disposent  que d’une petite colonne  pour réagir  aux constatations et autres incriminations.  Permettre à la structure contrôlée  de fournir  sa réponse  de façon détaillée est une exigence de la vérification. Il faut ajouter également la violation de l’intimité des diplomates.

Les missionnaires du BVG à Ouagadougou voulaient  faire des investigations au domicile des agents de l’ambassade.  Pourquoi cette démarche, sachant bien que tout agent émergeant au budget de l’Etat  dispose d’un dossier  vérifiable au niveau  de la direction des ressources humaines.

La liste des insuffisances n’est pas exhaustive au regard des manquements constatés  dans ce travail qui, en principe, doit être objectif.  On est en droit de douter  tant de la crédibilité que  de la compétence de  Samba Alhamdou Baby.

La relance du chantier

La rencontre des responsables d’entreprises  a permis à notre équipe de reportage de  connaitre les contours du projet de construction de la Chancellerie du Mali à Ouagadougou depuis la pose de la première pierre,  sous l’ancien président de la République Amadou Toumani Touré.  D’un montant de  près de deux milliards cinq cent millions de nos francs pour un délai d’exécution de 18 mois.

Malheureusement,  face à des difficultés  financières liées au faible taux de décaissement, soit 300 millions de FCFA par  an, le projet a connu un arrêt de plus deux ans. En plus de l’interruption des travaux, il faut retenir également le retrait du site par le gouvernement burkinabè.

Amadou Soulalé est le troisième ambassadeur du Mali à Ouagadougou, après le lancement des travaux de construction du chantier.  Dès sa prise de fonction en octobre 2015, il a mené une offensive diplomatique  non seulement pour la restitution du site mais également pour la reprise  des travaux après 4 ans d’arrêt. Au lieu de 18 mois, le  projet a été réalisé en sept ans. Ce retard a été un facteur déterminant dans la révision des contrats avec les entreprises.

Malgré toutes ces difficultés, le Mali dispose d’une Chancellerie  moderne au  cœur de Ouaga  2000. Elle est constituée d’un bâtiment principal, composé d’une vingtaine de bureaux, de salles de réunion, de toilettes, de restaurants et une salle de fête.  Le deuxième lot du projet est composé de 7 appartements dont un VIP R+I.

Face à l’engagement de l’ambassadeur Soulalé, les responsables des entreprises, et même la communauté malienne à Ouagadougou,  considèrent le contenu du rapport du Vérificateur général  à l’endroit du diplomate malien comme une insulte.

Le directeur général de l’Egcob/TD,  Dieudonné Tiendrébéogo, pense même que les incriminations contre l’Ambassadeur ressemblent plutôt  à un règlement de compte et non une vérification. « Malgré les difficultés de financement, l’entreprise principale en charge des lots 1 et 2 a tenu son engagement en contractant des prêts à la Banque de l’Union  (BDU). Avec un décaissement de 300 millions par an  pour un délai de 18 mois, il était impossible de faire ce travail ». Parlant de la vérification, M. Tiendrébéogo a été on ne peut plus clair. « Je n’ai jamais été contacté par une équipe de vérification  à  l’ambassade du Mali. Mais une chose est sûre, c’est que personne ne peut mettre en doute l’engagement  de l’ambassadeur. Face aux difficultés, il est parvenu à débloquer la situation. Le Mali dispose ce bâtiment grâce à son engagement. J’ai même accepté de  perdre  à cause de sa détermination pour l’honneur et la dignité de son pays. Je mets quiconque au défi  de venir faire une contre expertise. Le coût injecté   dans la construction de ce projet dépasse largement le montant initial. Aujourd’hui,  je dois aux fournisseurs, je demande au gouvernement du Mali  de payer les 85 millions de la retenue de garantie», a-t-il indiqué.

Les autres entreprises ont toutes  réagi, comme  le Directeur général de l’Egcob/TD,  Tiendrébéogo Dieudonné. Il s’agit de Massa Ouattara, Issouf Ouédraogo et Mohamadi Ouédraogo. Pour certains d’entre eux, il était même question de porter plainte contre le BVG pour avoir cité leurs noms dans son rapport qu’ils qualifient de règlement de compte. «C’est regrettable de voir ce rapport produit sans connaître la réalité du projet. Sans Soulalé, le Mali allait continuer de payer la location. Ce monsieur est une fierté. Il est le troisième ambassadeur  depuis le lancement de ce projet. Les services techniques peuvent venir faire la contre expertise».

Du côté de la communauté malienne, c’est la consternation. Pour le  président, Abdoulaye Farka Maïga, le plus important pour eux, c’est de disposer d’une Chancellerie.  «C’est une fierté pour nous. Pour votre information, Soulalé a été félicité par les chefs d’Etat du G5 lors de l’inauguration de l’ambassade du Mali en février 2019», soutient-il.

Dans le cadre  d’une vérification, il est important pour les vérificateurs d’avoir une parfaite connaissance des textes. Cela éviterait des incompréhensions entre l’équipe de vérification et la structure contrôlée. En effet, le Vérificateur général et ses hommes doivent  comprendre que  la publication d’un document ne tenant pas compte des observations des structures contrôlées n’est pas honnête.

Selon certains proches de l’ambassadeur, Amadou Soulalé préfère sa dignité à un poste d’ambassadeur. Entre les délices de la fonction, l’honneur du Mali et celui de sa famille en plus de la confiance du président de la République, l’ambassadeur réagit aux propos tenus dans le rapport du vérificateur général, selon une source proche.

Nouhoum DICKO,               

de retour de Ouagadougou (Burkina Faso)

 

Source:  Le Prétoire