S’il ne tenait qu’à la famille Touré, fondatrice, avec les Niaré, de Bamako, la capitale du Mali, le mandat de l’actuel président de la commission défense de l’Assemblée nationale ne sera pas renouvelé. La presse en a été informée.

 

Cet entretien avec les journalistes, on le devine, a été voulu pour informer l’opinion nationale. Les représentants de la famille Touré de Bamako, la mine grave, ont été clairs. Ils ne peuvent pas soutenir la liste sur laquelle figure Karim Keïta en vue des élections législatives du 29 mars prochain. Leur colère est telle que tous leurs alliés seront avec eux dans la même disposition contre le golden boy, fils du président IBK.
Pourquoi ce désamour, qui confine, à peu de chose près, à la haine ? Au coeur de la réaction outrée des Touré se trouve d’abord l’affaire bien connue de la disparition, depuis plusieurs années, du journaliste Birama Touré. Ce dernier avait levé un coin du voile sur des côtés sombres de Karim Keïta et, après cette publication, on ne l’a plus revu, depuis au moins six ans maintenant. Toutes les enquêtes diligentées pour le retrouver ont été vaines, comme noyées, sans doute parce que le principal suspect de son enlèvement est Karim Keïta, député, président de la commission défense de l’Assemblée nationale et par-dessus tout fils de l’actuel chef de l’État. Le journal Le Sphinx, employeur de Birama Touré, a eu beau jeu de mener plusieurs investigations dont les conclusions ont toutes conclu à la culpabilité du parlementaire Karim Keïta, mais la justice n’a jamais cherché à démêler l’écheveau, au point que l’opinion nationale a fini par croire qu’elle participe sciemment à un déni de justice dans l’affaire. Un désintérêt en tout cas à ce point évident qu’aucun mandat n’a été émis à ce jour. Côté enquête de la police, l’inspecteur Papa Mamby Keïta, qui passe pour un as en matière d’investigations, avait réussi, semble-t-il, à réunir plusieurs éléments allant dans le sens de la culpabilité indéniable de Karim Keïta. Mais il dut s’exiler incognito à Paris, ce qui atteste les menaces graves qui le visaient. C’est donc depuis la capitale française que le fin limier policier fait savoir, il y a un peu plus d’un an, qu’ »à l’heure où je vous parle, Birama Touré est mort ». D’ailleurs, Adama Dramé, le directeur de la publication du journal Le Sphinx, qui a été d’une ténacité professionnelle dans l’affaire, a fini, lui aussi, de fuir le pays, pour rejoindre l’inspecteur Papa Mamby Keïta dans son exil parisien.
Telle est la chronique imparfaitement esquissée de la disparition du journaliste Birama Touré, fils de la grande famille Touré de Bamako. Les siens n’ont pourtant jamais chômé dans la recherche de la vérité. Ils ont remué tous les réseaux possibles, y compris jusque dans le cercle présidentiel, mais jamais la lumière n’a pu être faite. À plusieurs reprises, ils ont demandé à Karim Keïta de venir les voir, en famille, pour expliquer ce qu’il en sait. Et jamais il n’a répondu à leur invitation, ce qui leur est resté comme un affront. Mais voilà! Le même Karim Keïta, à la faveur du renouvellement prochain du mandat des députés, se rend poliment chez le patriarche des Touré pour lui demander son soutien et, à travers lui, celui de tout son clan. Le vieil homme, sur son lit, lui donne une fin de non-recevoir et lui exprime sa colère. « Si c’est ton père que j’avais convoqué, il serait venu me voir sans délai. Mais tu es cité au centre de la disparition d’un des miens et tu n’as jamais daigné venir me fournir quelque explication que ce soit, malgré plusieurs appels… »
Mis devant son cynisme politique, Karim Keïta sort de l’entretien avec le vieux Touré et tente une manoeuvre politicienne vers le quartier de Médina-coura. Ce comportement est jugé davantage vexatoire, car considéré comme une volonté de créer la zizanie entre des autorités morales liées depuis des siècles. De quoi augmenter la colère des Touré qui font vite passer le message à leurs bans et arrière-bans. Le mot d’ordre est catégorique : pas question de soutenir une liste où figure le nom de Karim Keïta. Le renouvellement du mandat de celui-ci en devient hypothétique.

Bogodana Isidore Théra

LE COMBAT