Le peuple malien a encore payé un lourd tribut pour obtenir la démission de IBK et de son régime le 18 août 2020 en vue de rendre possible l’avènement d’un Mali de gouvernance vertueuse assurant la paix, la sécurité, la justice, l’accès à des services sociaux de base de qualité, et une prospérité partagée équitablement par tous les citoyens. Il est attendu des autorités de transition qu’elles engagent le Mali de manière irréversible sur cette voie, c’est-à-dire jeter les bases solides de la refondation du Mali.

 

Engager le Mali de manière irréversible sur cette voie, c’est faire en sorte qu’aux termes de la transition il soit très difficile, voire impossible que n’importe qui accède au pouvoir et que tout nouveau tenant du pouvoir ne puisse pas faire tout ce qu’il veut au détriment de la construction de ce ‘Mali Kura’. Tel est le but ultime que doivent viser les autorités de transition, tel doit être le fil conducteur des grandes mesures à prendre.

Une transition qui ne réussirait pas cette rupture majeure serait une transition «pour rien» au regard de cette leçon de notre expérience démocratique des vingt-sept dernières années : tenues par les réseaux clientélistes, voire mafieux qui ont financé leur élection, les autorités «démocratiquement élues» sur la base du système démocratique actuel et des pratiques de gouvernance qu’il rend possibles sont dans l’incapacité de faire ce genre de rupture dans la gouvernance.

Que doivent faire les autorités de transitions à cette fin ? Engager et faire avancer de manière significative les cinq grands chantiers qui suivent.

Poser les bases d’un ancrage durable du pays dans la paix, la sécurité et l’unité nationale- L’unité nationale, l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale du Mali restent gravement compromises depuis plusieurs années par l’action des groupes armés qui sévissent encore dans les régions du nord et du centre du Mali. Des mesures fortes doivent figurer dans l’agenda de la transition à cet égard parmi lesquelles : la relecture et la mise en œuvre de l’Accord d’Alger ; une amélioration significative de la gouvernance de la sécurité permettant aux forces de défense et de sécurité d’assurer efficacement leurs missions ; le redéploiement de l’État sur toute l’étendue du territoire national ; la consolidation de la décentralisation ; la réconciliation nationale et l’appui public aux victimes des conflits.

Jeter les bases d’une gouvernance épurée de la corruption- La première cause, et de loin, de tous les malheurs de notre pays est la vermine de la corruption qui a gangréné la gestion des affaires publiques. Il s’agit ici de la corruption au sens large c’est-à-dire «l’abus d’un pouvoir reçu en délégation à des fins privées».

L’épuration de la gouvernance de cette vermine est aujourd’hui une question de survie pour la nation et l’État maliens. Que doivent faire les autorités de Transitions à cette fin ? D’abord engager immédiatement un audit de grande envergure pour débusquer les criminels financiers portant sur : la gestion de la dette publique intérieure ; l’aliénation du patrimoine de l’État ; la gestion de structures publiques clés : institutions de la République (Présidence ; Assemblée nationale ; Gouvernement – Primature et quelques ministères clés).

Ensuite, assurer un traitement diligent et efficace des dossiers de crimes économiques et financiers pour faire rendre compte aux criminels et délinquants financiers (récupération des montants indument perçus et des biens mal acquis). Cela passe par la prise immédiate de mesures de renforcement des capacités du Pôle économique et financier chargé de juger ces affaires d’une part, et par l’engagement de réformes majeures d’autre part : renforcement de l’indépendance de la justice ; réforme du statut du Pôle économique et renforcement de ses capacités sur le moyen et long termes ; levée automatique de l’immunité parlementaire en matière de crime économique et financière ; etc.

Enfin, appliquer des mesures d’urgence et des mesures structurelles de prévention de la corruption (toutes connues déjà depuis le Plan anti-corruption de la Banque mondiale pour le Mali de 1999 et les États généraux de la corruption de 2008).

Refonder notre système démocratique et consolider l’État de droit- Les faiblesses inhérentes à notre système démocratique, ses dysfonctionnements et ceux de l’État de droit sont des facteurs déterminants de la crise que traverse le Mali. Le diagnostic ayant conduit à ce constat et les remèdes proposés sont suffisamment connus et font l’objet d’un large consensus pour que je m’y étende ici.

Cette refondation passe essentiellement par : des réformes politiques et institutionnelles majeures portant sur : la Constitution, la Chartre des paris, le Code électoral et le dispositif institutionnel de gestion des élections ; l’audit et la révision du fichier électoral ; l’organisation d’élections présidentielle et législatives crédibles aux termes de la transition ; la prise de mesures de consolidation de l’État de droit : Engagement de procès emblématiques : crimes de sang du régime de IBK ; crimes commis dans le cadre de la crise dans les régions du nord et du centre du pays ; Réformes assurant une meilleure distribution de la justice.

Assurer la fourniture continue des services publics sur toute l’étendue du territoire national- La fourniture de services publics sur toute l’étendue du territoire national a été très perturbée au cours de ces dernières années par deux principaux facteurs : l’insécurité et le retrait de l’État de certaines localités d’une part, et de nombreux mouvements de grève d’autre part. L’éducation est le secteur qui a souffert le plus et le spectre d’une année scolaire 2019-2020 «blanche» pèse encore à ce jour sur les enseignements fondamental et secondaire pour 2019-2020.

Les autorités de la transition devront veiller à ce que le progrès en matière de sécurité et redéploiement de démembrements de l’État sur toute l’étendue du territoire accompagné de l’effectivité de la fourniture des services publics soient concomitants. Les domaines à privilégier particulièrement l’éducation, la santé (la Covid-19 lui a donné une dimension encore plus importante), l’eau potable et la justice dont de milliers de Maliens sont totalement privés depuis plusieurs années.

L’autre grande mesure à prendre au titre de ce chantier est la conclusion d’un Pacte social entre l’État et les organisations sociales permettant de mieux circonscrire les conflits sociaux sur la base d’engagements clairs tenables par les deux parties. L’urgence est la signature d’un accord entre les deux parties pour faire une pause dans les revendications salariales et permettre à l’Etat d’assurer la fourniture continue des services publics. Tout doit être fait pour sauver l’année scolaire 2019-2020 et maîtriser la crise sanitaire de la Covid-19.

Améliorer les conditions de vie des populations- La crise multidimensionnelle (sécuritaire, sanitaire, politique, économique et sociale) engendrée et/ou alimentée par les mauvaises pratiques de gouvernance du régime de IBK s’est traduite par une dégradation considérable des conditions de vie des populations dont une large frange n’est plus à même de «joindre les deux bouts». L’absence de toute perspective d’en sortir sous ce régime été le moteur du soulèvement populaire pour y mettre fin.

Une amélioration significative des conditions de vie des populations et l’espoir que cela se poursuivra durablement constituent un impératif pour les autorités de transition.

Plusieurs mesures d’urgence ou structurelles doivent être prises à cette fin parmi lesquelles figurent : l’amélioration de la mobilisation des recettes intérieures pour renforcer la capacité financière de l’État ; la rationalisation et l’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques : réduction ou suppression des dépenses de fonctionnement non essentielles (dont des coûts des institutions de la République) ; réallocation des ressources en fonction des priorités du programme de transition, etc.
l’assainissement des finances publiques ; des appuis aux secteurs gravement sinistrés par la Covid-19 ; l’amélioration de l’approvisionnement des marchés ; la relance de l’économie.

Source : L’ESSOR