Le 12 décembre 2019, le Vérificateur général a initié la vérification financière de la gestion des Entrepôts maliens au Sénégal (Emase), au titre des exercices 2016, 2017, 2018 et du premier semestre 2019. Le constat est ahurissant : une irrégularité de 754 651 934 F CFA constatée. Le procureur saisi !

Non-recouvrement de tous les rejets de chèques pour un montant total de 1 950 000 F CFA ; incohérence entre les écritures comptables et la réalité des opérations pour un montant total de 208 790 307 F CFA ; minoration des recettes dans les certificats de recettes pour un montant total de 265 918 395 F CFA ; non-facturation des redevances au titre de l’utilisation irrégulière des installations portuaires au profit d’autres pays de la sous-région pour un montant total de 265 455 732 F CFA ; non-exigence du remboursement des jours de mission pour un montant de 4 325 000 F CFA ; paiement des indemnités de déplacement et de mission indues pour un montant de 3 062 500 F CFA ; justification irrégulière des indemnités de déplacement et de mission pour un montant de 5 150 000 F CFA. En tout, une irrégularité portant sur la bagatelle de 754 651 934 F CFA.

Les fautes relevées par le Vérificateur général aux Emase sont nombreuses, qui l’ont conduit à saisir le Procureur de la République, chargé du Pôle économique et financier de Bamako, pour détournement.

“L’importance du secteur des transports, en matière d’échange de biens et de marchandises, pour l’économie malienne n’est plus à démontrer. Cependant, il pourrait être hypothéqué par divers risques liés à la mauvaise application des textes le régissant. Les travaux de vérification financière de la gestion des Entrepôts maliens au Sénégal (Emase) ont permis de mettre en exergue des faiblesses du contrôle interne ainsi que des irrégularités à caractère financier. En effet, des irrégularités ont été détectées dans les procédures de la gestion du personnel, de la tenue de la comptabilité-matières, de la retenue des impôts sur les salaires, de la passation des marchés et, de la tenue des comptes annuels”, a conclu le Végal.

Les Entrepôts maliens au Sénégal (Emase) sont un service extérieur rattaché à la Direction nationale des Transports terrestres, maritimes et fluviaux (DNTTMF). Les ressources proviennent des rémunérations de prestations portuaires, les intérêts des comptes de dépôts et les produits des pénalités. Depuis la crise ivoirienne de 2002, l’essentiel des échanges extérieurs du Mali transite par le Port de Dakar. En 2018, les Emase ont traité 69,85 % des importations des marchandises solides et liquides, notamment les hydrocarbures, qui sont passées par les 7 entrepôts. De janvier 2016 à juin 2019, plus de 13 millions de tonnes de produits de première nécessité comme le lait, le sucre, le riz et la farine de blé ainsi que des véhicules et des matériaux de construction sont rentrées au Mali en provenance du Sénégal.

Pendant la période sous revue, les recettes générées par les activités des Emase se chiffrent à 11 milliards, 384 millions 326 999 F CFA et les dépenses effectuées sont de 8 118 324 895 F CFA.

Le Mali dispose de 7 entrepôts (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Guinée, Sénégal, Bénin et Mauritanie). Ces entrepôts sont dotés d’un budget annexe alimenté par les ressources provenant des prestations et des subventions d’Etat et soumis aux règles de la comptabilité publique.

Irrégularités administratives et financières

Les irrégularités administratives constatées portent sur des dysfonctionnements du contrôle interne. Les Entrepôts maliens disposent d’un manuel de procédures caduc. “La mission a constaté que le manuel de procédures opérationnelles, administratives, financières et comptables des entrepôts, entré en vigueur le 30 mai 2011, n’a pas été mis à jour en fonction des différentes reformes subies par les textes qui règlementent les finances et la comptabilité publique”.

Le Chef de Service administratif et financier est de la catégorie B2 au lieu de la catégorie A comme prévue dans le cadre organique. La mission a constaté que le Directeur des Emase, pour la période du 1er janvier 2016 au 30 juin 2019, soit 42 mois, n’a pas procédé à la retenue et au versement de l’impôt sur les Traitements et Salaires (ITS) de son personnel fonctionnaire et contractuel. En outre, des états de salaire du personnel n’ont pas été fournis à la mission pour les exercices suivants : – pour 2016 : avril, août et décembre ; – pour 2017 : avril, juin et septembre ; – et, pour 2019 : avril et mai. La non-retenue de l’impôt sur les traitements et salaires prive l’Etat d’une partie de ses ressources. Le Chef du Service administratif et financier ne tient pas une comptabilité-matières régulière.

La mission a constaté que le Chef du Service administratif et financier, Comptable-Matières, ne tient pas une Comptabilité-Matières régulière. En effet, les documents suivants ne sont pas tenus : – le livre journal matières ; – le compte de gestion des matières ; – l’état d’inventaire ; – le Bordereau d’Affectation du Matériel ; – le Bordereau de Mise en Consommation des Matières ; – et l’Ordre de Sortie du Matériel. De plus, l’Ordre d’Entrée du Matériel (OEM) n’est pas établi pour certaines dépenses. Par ailleurs, la mission a constaté que le Chef du Service administratif et financier, Comptable-Matières n’a pas procédé à l’inventaire des matériels et matières des Emase et aucun matériel n’est codifié. La tenue irrégulière de la comptabilité-matières ne permet pas de s’assurer de la bonne gestion du patrimoine des Emase. “Le Directeur des Emase ne respecte pas des dispositions du Code des marchés publics”, accuse le rapport.

Le non-respect des dispositions du Code des marchés publics ne permet pas de s’assurer de la transparence dans la procédure de conclusion des contrats et celle de la réception des plis. Le Directeur des Emase fait exercer la fonction de comptable public par un agent non habilité.

Les fonds publics dans des mains non autorisées

La mission a constaté que le Chef de parking de Mbao procède à la collecte et au versement des recettes dans le compte bancaire des Emase en lieu et place d’un comptable public. Mbao est une zone affectée aux Emase, par les autorités sénégalaises par la convention conclue le 26 janvier 2019 entre le port autonome de Dakar et les Emase, pour exploiter le nouveau parking d’attente moderne des camions en provenance du Mali. Ainsi, sans avoir accompli les mêmes obligations et responsabilités d’un comptable public, le Chef de parking de Mbao s’adonne à la garde et à la conservation des fonds publics, au maniement des fonds, à la conservation des pièces justificatives des opérations et des documents de la comptabilité. Le maniement de fonds par un agent outre qu’un comptable public peut favoriser une mauvaise gestion des ressources publiques. L’Agent Comptable et les Régisseurs des Emase n’ont pas rempli les obligations légales nécessaires pour leurs prises de fonction.

La mission a constaté que l’agent comptable et les régisseurs des Emase, avant leur entrée en fonction, n’ont ni constitué la caution de garantie ni prêté serment devant le juge des comptes conformément à la réglementation en vigueur. Il s’agit : – de l’Agent Comptable pour la non-prestation de serment malgré la Lettre n°182/ Emase du 7 août 2017 des Emase adressée à la Direction nationale du Trésor et de la Comptabilité publique pour l’organisation de ladite prestation ; – du Régisseur de recettes de la Direction des Emase pour la non prestation de serment et le non-paiement de la caution ; – et du Régisseur de recettes de l’antenne de Diboli pour la non prestation du serment. L’absence de prestation de serment et la non constitution de cautions par l’agent comptable et les régisseurs ne permettent pas de couvrir les Emase en cas de pertes financières.

 

Alexis Kalambry

 

Source: Mali Tribune