La confirmation de la mise aux arrêts du président de l’APCAM a été faite, avant-hier Samedi, par le procureur du Pôle économique et financier, Mamadou Kassogué. Le “bourreau” de Bakary Togola a pris rendez-vous pour ce faire avec la presse dans la salle de délibération du Tribunal de Première Instance de la Commune III. À la faveur du point de presse en question, le magistrat anti-corruption n’a vraisemblablement fait mystère d’aucun élément du dossier susceptible d’être porté à la connaissance de l’opinion.

Alors que d’aucuns en doutaient et refusaient d’admettre un sort aussi dramatique pour un personnage si proche du régime en place, la sortie du procureur est venu lever toute équivoque : le tout-puissant président de l’APCAM, Bakari Togola, séjourne bel et bien à la Maison Centrale d’Arrêt de Bamako-Coura, après avoir été entendu par un juge d’instruction, a-t-il affirmé. Au nombre des équivoques levées par M Kassogué figure la jouissance de l’accusé de la plénitude de son droit à la présomption d’innocence des faits qui lui sont reprochés. Il s’agit essentiellement du détournement de ristournes revenant aux paysans en zone Cmdt, à travers la Confédération des sociétés coopératives de producteurs de coton.

Plus de 9 milliards détournés sur 5 ans

Le procureur a indiqué d’entrée de jeu que l’arrestation de Bakary Togola fait suite à son interpellation dans ledit dossier, à savoir l’utilisation des montants annuellement mis à la disposition de la Confédération des sociétés coopératives de producteurs de coton au profit des paysans par la CMDT. Sur un total de plus de 13 milliards, de 2013 à 2018, seuls 4 milliards environ leur semblent réellement revenus ou du moins ont pu être justifiés par les services du bouillant président de l’APCAM. Et, faute de justificatifs, environ 9 milliards restent en souffrance, martèle le procureur, en précisant au passage que c’est par dénonciation que le Pôle a été saisi aux fins de tirer au clair les présomptions de malversations financières au niveau de la Confédération des Sociétés Coopératives de Producteurs de Coton (C-SCPC). En effet, par le biais d’une correspondance, un dénonciateur anonyme a fait l’état aux autorités de malversations au niveau de la confédération en laissant entendre que ces malversations comptables pourraient se chiffrer autour de trois milliards voire plus. C’est ainsi qu’une enquête a été ouverte et la brigade d’investigation du Pôle saisie, a relevé le procureur, en saluant la contribution du délateur aux enquêtes, puisqu’il a collaboré en étayant ses allégations par des documents assez édifiants sur les pratiques comptables et sur la base desquels les investigations ont pu conclure sur un fondement des faits dénoncés. Elles ont en clair permis de savoir que des comptes de Compagnie Malienne de Développement de Textile (CMDT) a effectivement été débité un montant cumulé de 13,431 milliards FCFA entre 2013 et 2018 pour le compte de la Confédération des Sociétés Coopératives de Producteurs de Coton (C-SCPC) et sur lequel seul 8,854 milliards ressortent des pièces justificatives disponibles dans la comptabilité de la Confédération. Sur ce montant comptabilisé, il n’existe aucune trace pour 4,886 milliards. Ce qui fait, selon le procureur, un total 9,462 milliards FCFA, non justifié.

Aux yeux du Procureur Kassogué, il y avait dès lors de quoi ordonner une mesure de garde-à-vue contre le président du Conseil d’administration de la Confédération, Bakary Togola, avant l’ouverture d’une information judiciaire ayant abouti à une présomption de détournement de deniers publics sur la base de faux et usages de faux, de soustraction frauduleuse et autres malversations.

Après cette phase préliminaire, Bakary Togola a été immédiatement présenté à un juge d’instruction, lequel après avoir connu du dossier et de la procédure, a décidé de le placer en détention provisoire, en décernant contre lui un mandat de dépôt. Et le procureur de souligner qu’il revient au juge de déterminer si les montants allégués seront confirmés ou non.

Ni acharnement, ni chasse aux sorcières

Levant toute équivoque sur les intentions et la bienveillance du Pôle, le représentant du parquet anti-corruption a soutenu que la détention du puissant président de l’APCAM n’est nullement motivée par l’acharnement contre une personne ou une quelconque chasse aux sorcières, mais plutôt dans un combat d’objectivité. «Nous n’avons rien contre la personne de Bakari Togola, mais sur des faits qui sont été dénoncés. S’il arrive à fournir des documents moralement parfaits, on tirera les conséquences de droit. Et ces chiffres provisoires peuvent être revus à la hausse tout comme à la baisse en fonction de la pertinence des éléments qui seront fournis », a-t-il expliqué, en mentionnant auparavant que l’ouverture d’une information judiciaire s’imposait par l’importance du montant en cause, largement supérieur aux 10 millions qui en font une infraction criminelle. Bakary Togola n’est d’ailleurs pas seul, à en croire le magistrat, en évoquant (sans préciser de noms) six autres personnes suspectées et qui pourraient être concernées par l’enquête en cours sur d’éventuels coauteurs et complices des mêmes infractions.

Par ailleurs, mentionne le porte-voix du Pôle, Bakari Togola bénéficie de la présomption d’innocence, un principe sacro-saint, tant que sa culpabilité n’est pas définitivement établie. En tout état cause, le Pôle économique et financier n’est l’objet d’aucune influence des autorités politiques en rapport avec le dossier, rassure son procureur en se disant parfaitement en phase avec le Garde des Sceaux dans sa démarche. Ce dernier aurait même assuré de la bénédiction des plus hautes autorités pour continuer dans la même mouvance.

Reste à savoir, en dépit de toutes ces assurances, si Bakary Togola sera le bouc émissaire des nombreuses malversations sur lesquelles la justice est restée silencieuse ou le cobaye de laboratoire à partir duquel sera matérialisé la croisade anti-corruption restée en souffrance depuis la prise de pouvoir d’IBK. En tout cas, ce ne sont pas les dossiers qui ont manqué et s’ils doivent être tributaires des délations, le combat contre les malversations risquent de ne point dépasser la seule sensation d’arrêter un homme considéré jusque-là comme un intouchable.

Amidou Keita

 

Source:  Le Témoin