Après l’interpellation de l’ex-patron de l’APCAM, Bakary Togola et du maire du district, Adama Sangaré et de quelques présumés complices de ces deux personnalités, l’opinion pensait que d’autres gros poissons allaient être pris par les mailles des filets anti-délinquance financière. Mais, plus rien depuis plusieurs semaines. La traque aux présumés indélicats s’est-elle enlisée ?

 

De nombreuses difficultés de la gouvernance ont obligé le pouvoir à tenter un rassemblement des forces politiques. Cette recherche de consensus peut-être mise à mal par une sorte de chasse aux sorcières en matière de lutte contre la corruption.

Si sous le régime ATT, la lutte contre la mauvaise gouvernance était discrète (avec les premiers rapports du Bureau du Vérificateur Général en 2004), il n’en demeure pas moins que les scandales n’étaient pas aussi nombreux. Et d’importantes sommes d’argent décelées au titre des malversations avaient été récupérées, sans tambour ni trompette. Et le contexte avait permis au pouvoir d’alors de dérouler son fameux consensus politique. La situation politique actuelle du pays favorise-t-elle la mise en place d’une gouvernance consensuelle ? Difficile de répondre par l’affirmatif.

Après avoir appelé avec insistance la classe politique malienne à se rassembler autour de lui pour « sauver la nation en danger », appel finalement sanctionné par l’accord politique de gouvernance d’avril 2019, IBK, par sa traque de présumés délinquants financiers, souvent issus du  landernau politique, peut plomber le processus de sortie de crise.

Après les énormes difficultés de gouvernance durant son premier mandat et les houleuses contestations de sa réélection pour un second mandat en 2018, le président IBK a fini par appeler à une forme de consensus politique pour gérer le pays en délicat processus de sortie de crise. C’est, à diverses occasions, par la boutade du Roi Guezo appelant ses condisciples à venir boucher per leurs mains la jarre trouée, que le chef de l’Etat a choisi de concrétiser sa « main tendue », après sa réélection en août 2018. Mais, avant cela, IBK avait lancé un processus de réconciliation, qui devrait rapprocher tous les acteurs pour aider à pacifier le pays dont le tissu social était sérieusement déchiré par la crise politico-sécuritaire de 2012. C’est dans ce sens qu’à la conférence d’entente nationale, Ie locataire du palais de Koulouba avait surfé sur l’image du « train de la réconciliation » qui ne devrait laisser aucun des fils du pays à quai.

Cette tentative de rassemblement des forces vives du pays sera accentuée après les manifestations et autres protestations liées à sa réélection. Surtout qu’en ce moment les attaques terroristes et les violences communautaires dont était victime le pays  enregistraient des phases les plus dévastatrices. L’on a  en mémoire les drames de Koulongo, Ogossagou, Sobane-Da, Mondoro, Diabaly, Ké-Macina, Nampala, Boulkessi, Mondoro… où l’horreur a ému plus d’un.

Ces rudes épreuves endurées par la patrie commune ajoutées à d’autres querelles politiciennes ont, semble-t-il, fini par convaincre les uns et les autres à mettre un peu d’eau dans son …bissap. Ce qui donnera lieu à la « main tendue » d’IBK d’être plus ostensible, vers la fin de l’année 2018.

Un processus de gouvernement de mission, donc de rassemblement sera lancé et conclu par l’accord politique de gouvernance sous le leadership du Premier ministre Boubou Cissé. Cette initiative fera entrer une partie de l’opposition dans l’attelage gouvernementale en avril-mai dernier.

Mais, depuis quelques mois, avec le lancement de la croisade de lutte contre la corruption et la délinquance financière, l’on se demande si l’édifice institutionnel aussi délicatement en construction ne sera pas fragilisé par une sorte de chasse aux sorcières. Comment des acteurs politiques de divers horizons peuvent-ils facilement se donner la main pour sauver le pays si au même moment, ils peuvent souffrir de voir certains de leurs proches jeter en prison pour de présumés détournements de deniers publics ?

Ce questionnement fait jaser déjà à l’ADEMA-PASJ, qui fait la moue de voir son vice-président, le maire du district de Bamako, Adama Sangaré, croupir en prison, depuis plusieurs jours pour une affaire tombée dans les oubliettes aux yeux de l’opinion publique. Et, pour se donner bonne conscience, si l’étau de la lutte anti-corruption venant à se resserrer contre des acteurs politiques plus proches du chef de l’Etat,  l’édifice plutôt précaire de la cohabitation politique pourrait prendre un coup au point de vue de sa stabilité.

En effet, avec des informations (distillées sur les réseaux sociaux) indiquant qu’IBK ne protégera aucun cadre de son parti, le RPM, ni aucun de ses proches collaborateurs s’avéraient, des appréhensions fusent. D’éventuelles arrestations dans ces milieux politico-administratifs ne risquent-elles de plomber la machine institutionnelle du pays en si délicate sortie de crise ? Question à ne pas négliger surtout que certains observateurs avertis de la scène politique malienne, presque tout l’establishment national (surtout les gouvernants au sens large) a quelque chose à se reprocher en matière de corruption et de mauvaise gouvernance !

Bruno D SEGBEDJI

Mali Horizon