Au Mali, le trajet à parcourir reste toujours long pour mener à bout le combat contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Avec la métastase du terroriste dans le pays, l’insuffisance de volonté politique, et le manque de moyens adéquats, vaincre le blanchiment de capitaux demeure un défi à relever. Dans cette interview que nous vous proposons, Marinpa Samoura, président de la cellule nationale de traitement des informations financières (centif) s’exprime sans ambages.

Le Pays : que faut-il comprendre par centif et quelles sont ses missions ?

Marinpa Samoura : je pense que la centif peut être définie de par ses missions. Depuis un certain temps, la criminalité financière a déstabilisé dangereusement le monde dans ses fondements, aussi bien que les institutions et les États. C’est ainsi que les pays industrialisés se sont réunis en 1989 pour réfléchir sur les mécanismes par lesquels on peut venir à bout de la criminalité financière. À cet effet, ils ont mis en place un groupe d’experts appelé le Gafi qui a réfléchi aux normes qu’on peut mettre en place pour lutter contre la criminalité transnationale. Le Gafi a fait 40 recommandations qui ont été proposées et adoptées au conseil de sécurité de l’ONU. L’une de ces recommandations impose à tous les pays de créer une structure qui lutte contre La criminalité financière transnationale qui s’entend par le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. La centif est donc là pour la prévention et la répression contre la criminalité financière transnationale. La centif prévient et réprime cette criminalité à travers l’analyse et le traitement des informations que les assujettis nous envoient. On réalise et fait des études sur ces activités malsaines.

Quel est l’impact du blanchiment de capitaux sur l’économie malienne aujourd’hui ?

D’abord, le blanchiment de capitaux consiste à recycler l’argent sale en argent propre. Parler de l’agent sale, c’est déjà un problème. Puisqu’il provient exclusivement de crime ou de délit. Dès l’instant qu’on commet un crime ou un délit pour obtenir de l’argent on est dans le blanchiment de capitaux. L’impact du blanchiment est donc très grave sur l’économie d’un pays, sur la vie des États et sur celle des individus. Par crime sous-jacent au blanchiment, il y a le vol, la corruption, la fraude…, des trafics en tout genre qui ne sont pas bons pour un pays. L’impact du phénomène reste grand.Le Mali perd combien de milliards dans l’évasion fiscale ?C’est énorme. Dans l’exécution opaque de son budget, notre pays perd combien de milliards ?C’est également énorme. Si tous ces fonds étaient convenablement gérés, je suis convaincu qu’on n’allait pas dire que le Mali est un pays sous-développé.

Selon vous, qu’est-ce qui complique la lutte contre le blanchiment d’argent au Mali ?

Les facteurs qui entravent l’enraiement de ce phénomène sont nombreux. D’abord, qui parle de blanchiment de capitaux parle du manque de morale financière. Dans toutes les sociétés du monde, le vol, la fraude, le faux monnayage, le détournement du denier public, l’évasion fiscale sont interdits. Dans cette lutte, la première difficulté est d’abord culturelle. Parce que, malheureusement, chez nous ici, l’argent n’a ni couleur ni odeur. Qu’il soit propre ou sale, licite ou illicite, celui qui le possède au Mali est considérée comme un enfant béni.Personne ne cherche à savoir d’où vient l’argent. Dans ce pays, ce qui complique cette lutte est le fait que nous avons des lois copier-coller qui sont venues d’autres pays. En principe, toutes les lois sont contre le vol. Mais si c’est tout le monde qui vole en violant ces textes, qui va punir qui ? Le problème du Mali est à ce niveau. Au Mali, on a voulu importer des lois textuellement recoupées alors qu’on ne se trouve pas dedans. Ce qui complique cette lutte. Voilà pourquoi on vole en violant allègrement des textes dont chacun est à l’aise avec. La loi sur le blanchiment est une loi qu’on a prise en France, parce que le Gafi le demande. L’autre difficulté est que le blanchiment n’est pas connu par beaucoup de citoyens. Vous prenez plus de 1000 Maliens, vous ne trouvez pas plus de 2 personnes qui le connaissent. Cette difficulté est là. L’autre difficulté est la traçabilité des fonds. Il faut que les fonds soient traçables. S’ils ne le sont pas, on peut difficilement lutter contre le phénomène. Même si les fonds sont traçables et que les actes de naissance ou les cartes d’identité sont faux, ça ne peut pas aller. Orpeu de nos rues sont codifiées. À part Bamako et quelques capitales régionales, les autres rues ne sont pas codifiées. Dans la plupart des cas, là où les rues sont codifiées, on verra aussi que des cartes d’identité contiennent des fausses indications qui ne permettent de retrouver personne. Aujourd’hui, on peut se faire 1000 maisons sans être répertorié dans un document donné. Les difficultés sont énormes. Sur le plan culturel, on n’est pas du tout prêt à lutter contre le blanchiment d’argent. Il y a de très gros problèmes sur le plan administratif. L’autre problème, c’est aussi le faible taux de bancarisation. Celle-ci permet de prospérer les enquêtes sur des blanchisseurs. Cette lutte est un combat qui incombe à tout le monde, pas à la centif seule. Les frontières sont poreuses. L’avènement de la nouvelle technologie a compliqué cette lutte. Nous n’avons pas l’expertise qu’il faut pour l’exploiter à fond.

Y-a-t-il des liens entre le blanchiment de capitaux et la recrudescence du terrorisme au Mali ?

Bien sûr.Le terrorisme est financé avec l’argent sale, pas avec celui qui est propre. Les terroristes ne veulent pas le monde en paix, pareil pour les blanchisseurs. Ils veulent toujours opérer dans les zones troubles. Dans un monde en paix où la sécurité est assurée, les terroristes et les blanchisseurs ne peuvent pas opérer. Voilà pourquoi c’est l’argent sale qui finance toujours le terrorisme. Des gens qui ont de l’argent sale financent toujours le terrorisme, et empêchent les enquêtes de se poursuivre. Il y a forcément un lien entre le blanchiment et le financement du terrorisme. Au Mali, les secteurs qui sont les plus impliqués dans le blanchiment de capitaux sont les immobiliers. Après ça, viennent ceux des métaux précieux, les ONG… Les blanchisseurs alimentent les ONG. Ils font des mosquées et des forages un peu partout pour masquer la provenance de leur argent.

La solution demeure quoi selon vous pour pallier ce phénomène ?

La solution passe par la formation et la sensibilisation des gens, voire des acteurs impliqués dans la lutte. Parce que le blanchiment constitue une nouvelle infraction. Il faut l’engagement des plus hautes autorités et des citoyens pour aller au bout de cette lutte. Ce sont des infractions qui sapent l’économie de la Nation. L’une des solutions consiste à faire l’évaluation du risque de blanchiment. Nous avons mené une étude d’évaluation nationale du risque auquel le pays est confronté en matière de blanchiment de capitaux. Nous avons aussi fait des recommandations. Pour pallier à ce phénomène, la solution c’est de chercher à assécher les sources du financement du terrorisme, au lieu d’acheter des avions et des matériels de combat. C’est avec les fonds qu’ils collectent que ces terroristes vivent. On peut acheter les avions à des milliards, mais bloquer le compte des terroristes à zéro franc. Ils n’ont pas de banque propre à eux.C’est par nos banques qu’ils font leurs opérations. Ils n’ont pas de super marché ni d’usine, de voiture. Ils se ravitaillent dans nos marchés.  Il faut aussi la volonté politique pour freiner ce fléau. Je crois que la clé de toute la problématique est l’engagement politique. Dans tous les pays où il n’y a pas de blanchiment d’argent, il y a toujours eu de volonté politique. Si l’engagement politique est au rendez-vous, on peut mettre fin en un temps record à ce phénomène. Sur le sujet, les chefs d’Etat de la CEDEAO se sont réunis à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, pour prendre de fortes recommandations contre le blanchiment. De nos jours, tellement que l’argent sale a déstabilisé les armées et les institutions ; tellement que ça coupe le sommeil que nos dirigeants en ont pris conscience. Dans la constitution, il est dit que l’Etat à l’obligation d’envoyer tous les enfants à l’école. Il le veut bien, mais l’Etat n’a pas de moyens à cause de cette criminalité financière. Si toutes les opérations étaient transparentes, et que chacun s’acquittait de ce dont il doit s’acquitter, l’Etat aurait tous les moyens pour faire ce qu’il doit. Il faut que tout le monde prenne conscience que l’argent sale est très grave pour les individus et pour les pays.

Un dernier mot ?

Nous comptons sur tous, particulièrement sur la presse pour une sensibilisation sur le blanchiment de capitaux. Les gens ne sont pas toujours de mauvaise foi, mais c’est parce qu’ils ne sont pas bien informés et sensibilisés au sujet des effets néfastes du blanchiment de capitaux sur la vie économique du pays. L’argent sale nuit à tout le monde. Le criminel financier peut-être fonctionnaire, homme d’affaires, opérateur économique…qui s’habille comme tous. L’opérateur économique qui refuse de rendre correctement ses impôts, ou qui passe par les mailles de la Douane est un criminel financier. Le fonctionnaire qui porte à ces jeux est aussi un criminel financier. Les criminels financiers regardent toujours les systèmes du pays pour passer là où il y a des failles.

                                                                                                        Par Mamadou Diarra

Source: Le Pays