Quand les services de recouvrement et de l’assiette toussent, c’est l’État qui s’enrhume. Pour guérir la Direction Nationale du Trésor et de la Comptabilité Publique (DNTCP) de « sa grippe de chat », une mission d’audit (dont nous avons une copie du rapport d’enquête) a pris ses quartiers à la Paierie Générale du Trésor (PGT). La structure a subi un traitement de cheval. Résultat : 3,18 milliards de francs CFA manque à l’appel de la caisse, avec à l’appui des dépenses fictives de 77,93 millions de nos francs. Mais les responsables s’en défendent, sans convaincre. D’où leur situation inconfortable. Ils risquent gros. Très gros. Leurs complices aussi. Accablant.

Les fouilles « archéologico-financières » réalisées à la Paierie Générale du Trésor sont sans appel : surfacturations à la pelle, vols et détournements de fonds. Auxquels s’ajoutent des dépenses injustifiées et le changement des règles de la comptabilisation, d’une année à l’autre. Autant de pratiques qui selon les auditeurs ont précipité la PGT dans l’abîme. Avec à la clé, 3,18 milliards de francs CFA qui ont pris une destination, jusque-là, encore inconnue.

À en croire le rapport d’audit, du Payeur général sortant, Mahamane Tiambou Haïdara, au Payeur général rentrant, Mahamadou Koné,  tous deux sont impliqués dans cette « mangecratie ». En bloc,  le document précise que leur gestion a estomaqué plus d’un.

Aujourd’hui, le gouffre financier creusé au niveau de la PGT dépasse l’entendement. D’où la paralysie de la structure à tous les niveaux. Ou presque. Pire, le service doit plusieurs dizaines de milliards à ses créanciers. La Paierie générale du Trésor public malien dans son histoire n’a jamais connu une telle hémorragie financière. Pire, elle n’a jamais été confiée à une personnalité, aussi controversée que le Payeur général, Mahamadou Koné: pendant des lustres, les caisses ont coulé. Comme le fleuve Niger dans son lit. Les détournements n’ont pas été comptabilisés en centaines de millions. Mais en milliards de nos francs.

D’embrouilles en magouilles

Le PGT n’a pas seulement perdu de sa superbe. Elle a été vidée de son âme, vendue au diable. Et jusqu’aujourd’hui, le Payeur général, Mahamadou Koné, n’affiche qu’une image de ruine et de désolation. Et pour cause : jamais, les gaffes au sein de ce service n’ont atteint un tel degré.

Jugée, pourtant, stratégique dans la politique d’exécution des dépenses publiques, la PGT n’a pas échappé à l’appétit vorace de ses responsables. Par petite touche, ils ont « sucé » les caisses, érigés le népotisme en mode de gestion. L’espoir tant suscité auprès du gouvernement, a viré au cauchemar. Un flop magistral.

Réputée comme le comptable assignataire des ordres de paiement émanant de tous les ordonnateurs délégués de la portion centrale du Budget d’État, la Paierie Générale du Trésor a vite fait de taire ses ambitions. Raison invoquée par les enquêteurs : l’utilisation des fonds et des recettes publiques à d’autres fins. Estimé à 3,18 milliards de francs CFA, cette manne financière aurait fondu comme du beurre au soleil. Et ce n’est pas tout. Loin s’en faut.

Même, le dysfonctionnement du contrôle interne de la PGT n’est pas de nature à tempérer les curiosités.

Cependant de janvier 2014 au 30 juin 2017, la PGT a décaissé 42,22 milliards de FCFA au titre des dépenses payées avant ordonnancement. Cependant, la structure n’a pas respecté les dispositions relatives aux paiements des dépenses avant ordonnancement.

Dans la pratique, les lettres de sollicitation des fonds, émises par les ordonnateurs, ne sont pas accompagnées par les documents d’engagement de la dépense requise et qui garantissent la couverture budgétaire desdites dépenses. Ces demandes ne sont pas non plus revêtues de la mention indiquant la prise en charge sur un chapitre budgétaire donné.

Malgré ces insuffisances, la PGT a admis et payé lesdites demandes de paiement des dépenses avant ordonnancement. En outre, elle a payé des avances pour des dépenses ne figurant pas sur la liste de celles autorisées avant ordonnancement. Ces dépenses ont concerné des frais de mission, l’acquisition de matériels et mobiliers, des frais d’organisation d’ateliers et de séminaires, des paiements de notes d’honoraires et des frais d’entretien de matériels. De tels manquements ont été des sources d’exécution de dépenses inéligibles et extra budgétaires.

Bien plus, la PGT n’exerce pas tous les contrôles requis en matière de paiement des dépenses avant ordonnancement.

Contrairement à la réglementation en vigueur, la PGT n’exige pas de pièces justifiant le service fait sur des avances octroyées aux différents ordonnateurs. Lesdites avances sont régularisées par mandats budgétaires sous-tendus uniquement par des décisions de mandatement qui sont insuffisantes pour justifier les dépenses telles que les frais de mission, de formation, d’achats de matériels et de fournitures diverses. L’inobservation de ces dispositions, qui constituent des motifs de rejet, ne permet pas à l’État de s’assurer de l’effectivité des dépenses concernées.

Par ailleurs, la PGT approvisionne irrégulièrement des régies d’avances. Ainsi, dans le cadre du paiement de dépenses avant ordonnancement, elle a mis à la disposition du Régisseur Spécial de la Primature en 2016 des montants de 80 millions de FCFA et par deux fois 200 millions, par opération individuelle, alors que la limite est fixée à 50 millions de FCFA. De plus, le total des avances payées audit régisseur pour la même période s’élève à 508,10 millions supérieur au seuil de 416 millions fixé par l’arrêté de création de la régie spéciale. L’inobservation des dispositions instituant les régies n’est pas de nature à assainir la gestion des fonds publics.

De par ces pratiques, les différents corps de contrôle à priori ne peuvent pas exercer les appréciations sur la régularité et la justification de la dépense, la réalité du service fait et la conformité aux spécifications définies lors de la commande, l’exactitude des montants mis en paiement et le caractère libératoire du paiement.

Le paiement des avances, entre guillemets  

Le Payeur Général du Trésor, n’a pas pu régulariser des dépenses payées avant ordonnancement. La raison est simple. Voire simpliste : des avances octroyées pour un montant total de 3,19 milliards de FCFA n’ont pas encore été régularisés malgré les diligences effectuées par le Payeur à travers les correspondances adressées au Directeur Général du Budget et aux différents ordonnateurs. Or, selon la réglementation en vigueur, la régularisation des dépenses payées avant ordonnancement doit intervenir, par mandat budgétaire, au plus tard la fin de l’exercice budgétaire au cours duquel le paiement a été effectué.

Pour cette raison, le Directeur des Finances et du Matériel (DFM) du Ministère chargé des Finances n’a pas produit de pièces justificatives de l’utilisation des avances octroyées par la PGT au titre des exercices 2014, 2015, 2016 pour un montant de 160,81 millions de FCFA. De même, le DFM du Ministère chargé des Affaires Étrangères n’a pas justifié des appuis octroyés à l’Ambassade du Mali à Paris en 2014 d’un montant total de 100 millions de FCFA, bien que des mandats de régularisation aient été émis. Le montant total de ces irrégularités s’élève à 260,81 millions de FCFA.

Et comme si cela ne suffisait pas, le Directeur des Finances et du Matériel du Ministère chargé des Finances a irrégulièrement justifié des avances. Il n’a pas fourni d’ordre de mission pour justifier des avances d’un montant de 69,22 millions accordées en 2016. Il n’a pas, non plus, produit de pièces justificatives pour des avances payées à des missionnaires d’un montant total de 51,64 millions de FCFA. Le montant total des avances de frais de mission irrégulièrement justifiées s’élève à 120,86 millions de FCFA.

Quant au DFM du Ministère de l’Équipement et des Transports, il n’applique pas les dispositions contractuelles relatives aux pénalités de retard. En effet, dans le cadre de l’exécution d’un marché, deux bateaux ont été réceptionnés le 11 janvier 2016 suivant procès-verbal de réception, alors que la date contractuelle était fixée au 22 septembre 2013, soit un retard de 841 jours pour des pénalités évaluées à 190,48 millions de FCFA.

Enfin, le Régisseur du Ministère chargé des Affaires Étrangères a effectué des achats fictifs sur des avances mises à sa disposition. En effet, dans le cadre des cérémonies de signature de l’accord de paix d’Alger, il n’a pas pu fournir la preuve de l’existence physique des biens acquis pour un montant total de 77,93 millions de FCFA. Pour les auditeurs, cette situation est le fruit d’achats fictif réalisés.

Pourquoi  cet acte? Seul le Payeur Général du Trésor pourrait y répondre. Du moins, à l’heure actuelle.

Bref, la Paierie Générale du Trésor  a été sacrifiée sur l’autel d’intérêts égoïstes. Autrement dit, la caisse de la structure a subi une saignée financière de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA.

En réalité, cette mauvaise gestion est le fruit d’un système bien huilé, mis en place par le « prince » de la PGT.

Selon ce système, les responsables de la structure veillent aux « bons soins » de leurs pots et de leur propre personne: enveloppes de fin du mois, marché de gré à gré, bon de carburant à gogo, voyages sur la Côte d’azur et autres cadeaux en nature. Du moins, s’ils veulent éviter les « ennuis ».

Face à de telles pratiques qui ont occasionné un trou de 3,18 milliards de francs CFA déduit par : l’absence de pièces justificatives des avances payées pour un montant de 260,81 millions de FCFA et l’absence d’ordres de mission pour un montant de 69,22 millions de FCFA ; ainsi que la non justification des avances à justifier payées au titre des frais de mission pour un montant de 51,64 millions de FCFA ; avec à l’appui, l’achat fictif pour un montant de 77,93 millions de FCFA par la PGT, les auditeurs, à l’unanimité, exigent à ce que le Payeur Général du Trésor et ses complices rendent à César ce qui n’est pas à eux. Et cela dans un bref délai.

En attendant, les enquêteurs ont adressé  une dénonciation de faits au procureur, afin que des poursuites soient engagées. Du coup, les responsables de la Paierie Générale du Trésor ne dorment plus que d’un demi-œil.

Jean Pierre James

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