Surprenant épilogue que celui de l’affaire ayant opposé le président du Conseil National du Patronat, Mamadou Sinsy Coulibaly, à celui de la Cour Suprême, Nouhoum Tapily. En les voyant tomber dans les bras l’un de l’autre, ce jeudi 2 mai, dans une étreinte fougueuse, les Maliens, pourtant habitués à des fins d’histoire scabreuses, sont proprement tombés des nues. Et il y avait de quoi.

Depuis le 15 mars et les accusations fracassantes de Mamadou Sinsy Coulibaly, président du CNPM, à l’encontre de Nouhoum Tapily, président de la Cour Suprême, présenté comme « le premier fonctionnaire le plus corrompu, le plus dangereux, un meurtrier reconnu de tous, un arnaqueur notoire, un racketteur qui a racketté nos entreprises, un individu infâme qui ne sait pas ce que c’est la vertu, l’honneur et la dignité »,    les deux hommes étaient devenus les pires ennemis du moment.

Les déclarations de MSC avaient fait leur effet sur un peuple pourtant traumatisé par l’insécurité tentaculaire, les massacres à répétition des populations du Centre du pays, l’argent rare, la vie chère, entre autres.

Le ton sur lequel la croisade contre la corruption avait été lancée, les termes (crus, vulgaires, à la limite de l’indécence) de l’accusation, la qualité de la première cible désignée de la lutte contre cette gangrène sociale (le président de la plus haute juridiction) avaient suscité de réels espoirs que, cette fois, le combat, maintes fois annoncé et reporté, aurait bien lieu.

Jamais la corruption n’avait été portée par des attributs aussi précis. Et le Patron des patrons maliens, inattendu dénonciateur et pourfendeur, revêtait du coup l’habit du héros. Un Robin des bois, en quelque sorte, redresseur de torts, combattant de la justice populaire. Un symbole.

L’accolade du jeudi 2 mai entre les deux protagonistes d’une affaire à la haute portée symbolique, dépassant leur simple personne, apparaissait, dès lors, comme le baiser des Judas.

Nouhoum Tapily devenu, depuis son installation au sommet  de la pyramide judiciaire, l’incarnation de l’intégrité, des valeurs de justice et de droiture, avait l’obligation de se défendre et d’apporter à l’opinion publique malienne les preuves de sa probité.

Or, en choisissant d’attaquer son contempteur sous l’angle de  »l’outrage à magistrat et injures », occultant ainsi celui de la  »diffamation », qui eut permis de porter le fer au cœur d’une très grosse affaire de mœurs, le président de la Cour Suprême a, à notre avis, délibérément biaisé les débats. Pour se soustraire à des questions embarrassantes ?

Mamadou Sinsy Coulibaly est le président du Conseil National du Patronat du Mali. Il n’est peut être pas l’homme le plus riche du pays. Mais il incarne, lui, l’esprit entrepreneurial du Mali, celui par lequel l’on transforme les idées et les actions en richesse. La corporation qu’il représente est à l’opposé de celle des prédateurs des deniers publics, des coureurs de l’argent facile et des largesses de la Princesse.

C’est du moins la représentation que l’opinion publique nationale se faisait de lui. Jusqu’à cette date funeste du 2 mai, qui le vit s’agripper à Nouhoum Tapily comme à une bouée de sauvetage.

Une image aux antipodes de celle du 15 mars, lorsqu’il jouait les accusateurs et donnait l’illusion aux Maliens d’être capable de porter le combat contre la corruption. «J’ai fait la prison pour libérer la presse. Je suis prêt à y retourner pour libérer le secteur privé»proclamait-il alors.

Image de la défaite, de la capitulation ? Qu’est-il arrivé à MSC depuis le 24 avril dernier, date de sa première comparution avortée par l’intervention (spontanée ou préméditée ?) d’un groupe de commerçants détaillants décidés à s’opposer à ce qu’ils ont présenté comme un procès joué d’avance ? A-t-il, à la réflexion, trouvé l’habit de justicier trop ample ou trop lourd pour lui ? A-t-il subi des pressions de la part de sa corporation, effrayée à l’idée de se trouver au centre d’une affaire qui pourrait lever le voile sur les magouilles d’un milieu qui n’en est pas exempt ? A moins que MSC n’ait tout simplement réalisé qu’il n’avait pas la moindre preuve de toutes les accusations portées contre le président Tapily ?

Dans ce dernier cas, le président du CNPM devrait se préparer à arborer la tenue très bigarrée de l’Amuseur public, du Hâbleur de la République.

Le mal que MSC aurait ainsi fait aux Maliens serait double : celui d’une perte cruelle des illusions qu’il avait entretenues par un discours incisif jamais entendu dans ce pays et celui d’un torpillage quasi certain et rédhibitoire de la lutte contre la corruption.

Ce n’est pas par hasard que le président de la République se retrouve au centre d’une réconciliation qui a toutes les allures d’un brouillage de pistes. En effet, en mandatant le Réseau des Communicateurs Traditionnels pour le Développement (RECOTRADE) pour tenter la médiation entre les deux acteurs de cette affaire, IBK a sans doute voulu créditer l’image d’une certaine sagesse malienne, soucieuse de conciliation et d’apaisement.

En sa qualité de président de la République, il ne pouvait aussi ignorer la très haute portée symbolique d’une affaire qui, dès son éclatement, est apparue aux Maliens comme le déclencheur attendu de la véritable lutte contre la Corruption.A son tour, le Chef de l’Etat endosse une bonne part de responsabilités dans l’avortement d’une situation qui aurait pu éclairer l’opinion nationale sur les mécanismes d’un fléau qui a véritablement gangréné notre société, au point de lui conférer aujourd’hui les allures d’une pétaudière.

Bamako, dont le président de la République serait très amoureux, ressemble aujourd’hui à une ville du Far West du 19è siècle, où tout est monnayable, où le bakchich est roi, où l’on vous tue pour votre téléphone portable et votre mobylette…

Ibrahim Boubacar Kéïta, Nouhoum Tapily et Mamadou Sinsy Coulibaly, trois hauts symboles de la République, par une réconciliation bidon, auront donc contribué à saborder les chances pour le Mali de s’extirper de la fange de la Corruption.

Et s’ils y trouvaient leurs comptes ?

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Source: l’Indépendant