Le 26 juin 2019, au salon moscovite « Army », le général Ibrahim Dahirou Dembélé signait un accord de coopération militaire et de sécurité avec son homologue russe, Sergueï Choïgou. Cet accord illustre bien une nouvelle stratégie adoptée par Moscou depuis 2014. L’Afrique est (re)devenue une nouvelle destination stratégique.

Des liens russes et maliens qui datent de la Guerre froide

La Fédération de Russie trouve en effet intérêt à s’implanter en Afrique et dans ce cas spécifique au Mali. Elle renoue tout d’abord des liens avec Bamako qui datent de la Guerre froide. De plus, le marché militaire malien est conséquent en raison des troubles qui y règnent. Enfin, les forces armées maliennes (FAMa) sont principalement équipées de matériels soviétiques. Bamako a même effectué une commande supplémentaire de fusils d’assaut de type kalachnikov à la Russie en 2013.

La volonté de Moscou de se rapprocher de son client malien s’illustre par le don de deux hélicoptères militaires en 2016. A cela s’ajoutent deux MI-35, des hélicoptères de combat russes, qui doivent être livrés cette année à l’armée de l’air malienne. Dans un cadre de relation commerciale il semble donc logique qu’un rapprochement militaire ait lieux.

Pour quelle raison Moscou et Bamako effectuent un rapprochement ?
La question se pose au regard des événements qui se déroulent dans le pays. Comme le confirme le général Clément-Bollée, ancien commandant de la force Licorne en Côte d’Ivoire, la force Barkhane est en difficulté et « va droit dans le mur », selon l’intéressé. Depuis l’opération Serval de 2013, les violences n’ont pas diminué. Les groupes djihadistes se sont structurés et frappent de manière régulière. Pire, des tensions interethniques secouent le centre du pays. Dogon, Touaregs et Peuls se livrent à des vendettas générant des massacres. L’intervention française rencontre donc une hostilité grandissante.

C’est dans ce contexte que l’attractivité russe est grandissante. Partenaire économique ancien, parrain anti-occidental durant la Guerre froide, la Russie permet à Bamako de réaffirmer son indépendance vis-à-vis de la France. L’offre russe représente aussi de nombreux avantages pour le pouvoir malien. Une formation de l’armée par des spécialistes russes permettra d’accentuer la capacité des FAMa à maintenir la paix sur le territoire. Même si l’opération Barkhane continue, cela offre une indépendance stratégique à Bamako. De plus, la Russie veille à la stabilité des régimes qu’elle soutient. L’intervention russe en Syrie a en effet permis de maintenir le clan Assad au pouvoir. Ibrahim Boubacar Keïta, le président malien, très contesté, peut donc espérer une aide de Moscou afin d’asseoir son pouvoir.

Le savoir-faire militaire russe est donc considéré comme efficace, facteur de stabilité et d’indépendance. Des arguments de poids dans un pays instable et dont une partie de la population conteste la présence française.

Quels bénéfices pour Moscou ?
L’Afrique n’est pas un espace stratégique prioritaire pour la Russie. Loin de son influence stratégique, soumis à des troubles dans certaines régions, le continent fut délaissé à la fin de la Guerre froide.

Toutefois les sanctions européennes à l’encontre de Moscou, depuis 2014, poussent le président Vladimir Poutine à développer de nouvelles stratégies. Le continent africain permet donc de traiter avec des pays qui ne sanctionnent pas la Russie. Leurs économies ne sont en effet pas soumises au champ de sanctions européennes. Le Kremlin a aussi bâti sa diplomatie internationale en opposition avec le monde occidental. Ce sujet structurant de la politique étrangère russe est sans doute un facteur de contrat militaire. En soulignant implicitement le bourbier malien pour l’armée française, Moscou envoie un signal fort à toute l’Afrique francophone. La méthode russe se présente donc comme une alternative à l’ancien colon européen.

Stratégie d’opportunité ou vision long terme ?
Il serait sans doute trop facile de dénoncer un simple opportunisme. Les liens entre Moscou et les anciennes colonies africaines existent depuis l’indépendance de ces pays. La majorité des pays africains ont utilisé des matériels militaires soviétiques durant la Guerre froide. Des liens existent donc depuis des années. Cependant, c’est plutôt la nouvelle stratégie russe qui est intéressante. Le plus vaste pays du monde se sert de son expertise militaire comme d’un outil de soft power au service de son rayonnement international.

Loin de n’être que du soft power, cette approche est également pragmatique. En effet, la Russie semble avoir conclu des accords commerciaux avec la Centrafrique. Moscou privilégie l’accès aux ressources d’un des pays les plus pauvres de la planète mais avec un sous-sol très riche. Il semble que l’accord militaire conclu avec Bamako soit du même acabit. Pour preuve, le Mali possède des réserves de terre rare, matière essentielle à la constitution d’appareils technologiques ou encore des mines d’or ainsi que des réserves de pétrole.

L’accès à ces ressources stratégiques, la participation d’instructeurs militaires russes et la livraison d’armement à Bamako semble donc augurer une stratégie à long-terme. Même si l’approche opportuniste de concurrencer une région historiquement liée au bloc occidental n’est pas à démontrer, il est évident que la Russie noue des liens dans l’espoir de durer au Mali. Il en est de même dans les autres pays africains sous accord militaire, même non francophones (Soudan, RDC, Angola, Zimbabwe,…).

Entre avantages économiques, rayonnement militaire et concurrence pour le marché africain, ces contrats militaires révèlent un changement d’approche politique net de la part du Kremlin. A monde multipolaire nouvelles stratégies…

Sources :les-yeux-du-monde.fr