Dans cette interview, le président de l’alliance «Ensemble pour le Mali» (EPM), Dr Bocari Tréta, se prononce sur le débat national qui s’ouvre samedi et livre son analyse sur la situation sécuritaire du pays. Le président du RPM évoque également les actions engagées dans le cadre de la lutte contre la corruption.

L’Essor : An après le début du second mandat du président de la République, quelle appréciation faites-vous de la gouvernance du pays ?
Dr Bocari Tréta : Comme le premier, ce second mandat se situe dans un contexte national difficile. Pendant le premier mandat, la préoccupation était de remettre l’État en place pour avancer ensemble et sortir de la crise, même si on a eu en même temps l’ambition de dire que nous consacrons ce mandat à la lutte contre la corruption.
Dans un tel contexte, il y a toujours ce qu’on veut et ce qu’on peut obtenir. L’Accord pour la paix et la réconciliation, quand on analyse les rapports de force à l’époque des faits, est peut-être ce qu’on a pu obtenir et non ce qu’on voulait. À Alger, les positions étaient très claires. Pour les mouvements armés, ils ont mené une guerre contre un État et ont occupé 2/3 du territoire qui s’apparentait à un butin de guerre. Et ils avaient proclamé l’indépendance de l’Azawad. Je crois que c’est tout cela que l’Accord devrait régler.
Depuis la signature de l’Accord, on a au moins réussi la cessation des hostilités entre les belligérants. Maintenant, il faut se tourner vers sa mise en œuvre effective. Et beaucoup de choses ont été réalisées dans ce sens. On est même surpris de ce qui est fait, en si peu de temps. Mais, il y a aussi des points sur lesquels bute la mise en œuvre de l’Accord, parce que les parties ont des lectures quelquefois divergentes. Ceci a forcément impacté la gouvernance.
Le président de la République a un projet politique qui contient ses engagements vis-à-vis du peuple malien et les ressources qui doivent accompagner. Mais ce contexte aidant, à peu près ¼ des ressources sont consacrées aux efforts de guerre. Alors, les secteurs sociaux, qui devraient être les grands bénéficiaires de la gouvernance, ont manqué de ressources. Donc, les ambitions que nous avions affichées pour le pays étaient réalistes. Cependant, des difficultés objectives n’ont pas permis d’atteindre les objectifs et ont eu un impact négatif sur les résultats de notre gouvernance.
Mais, fondamentalement, le cap est bon. Il est bon, parce que les indicateurs macroéconomiques sont au vert. Et ce, malgré le rétrécissement de l’espace sur lequel s’exerce objectivement l’activité économique. Peut-être qu’on aurait pu aller au-delà et atteindre un taux de croissance de 7%. C’était ce que nous ambitionnions. Malheureusement, ce taux reste encore entre 4 et 5%, ce qui n’est pas suffisant pour que les dividendes de cette croissance profitent au panier de la ménagère.

L’Essor : La mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation connaît des difficultés. Dans son adresse à la Nation à l’occasion du 22 Septembre 2019, le président de la République a émis l’idée de la révision de certains points du texte. Que pensez-vous de cette éventualité ?
Dr Bocari Tréta : On avait une certaine lecture qui nous paraissait objective de notre crise, tant de ses origines que de ses manifestations. En avançant dans la recherche de solutions réalistes à la crise, on l’appréhende un peu plus dans toutes ses dimensions. Cette crise n’est pas que multidimensionnelle, elle est aussi multi acteurs. Nous sommes dans un contexte de mondialisation, dont notre pays est malheureusement un des maillons faibles. Nous devrons comprendre que notre pays n’agit pas seul dans son propre processus de développement. Voyez-vous les grandes références de ce processus de mondialisation ; ces nations qui, en 1884 à Berlin, s’étaient réunies pour décider comment l’Afrique pouvait participer à leur développement.
Aujourd’hui encore, les manifestations de cette perception de notre continent restent très persistantes. On nous fait jouer un rôle surtout comme marché périphérique de la mondialisation. Et la concurrence entre les puissances autour des ressources ont forcément des impacts sur nos pays, essentiellement le Mali qui est pourvoyeur de ressources naturelles qui approvisionnent les industries des puissances.
L’autre enjeu est la situation du Sahel, devenu un terrain de prédilection pour des circuits commerciaux, quelquefois mafieux. De ce point de vue, notre pays est exposé à des trafics en tous genres et dans lesquels trafics interviennent beaucoup d’acteurs. Malheureusement, les manifestations de cette situation affaiblissent fondamentalement l’État.
Il y a aussi les problèmes endogènes. En réalité, nos États accumulent des tares qu’ils ont traînées de très loin. Cet aspect est plus intéressant à observer au niveau de la gouvernance. Quand vous regardez par exemple comment notre État rend les services sociaux, le rapport de l’État au citoyen, la place du citoyen dans l’État… En réalité, quand vous interrogez les différentes sphères de l’État, vous avez le sentiment que l’État s’est construit au détriment de l’homme. Ceci a développé un système de prédation en défaveur du citoyen.
Tout cela créé un ensemble de situations qui n’est pas pris en compte par l’Accord. Vu la complexité des acteurs et l’interaction des phénomènes qui agissent sur notre pays, cet Accord, signé entre le gouvernement avec des mouvements pour essayer de mettre ensemble les Maliens, est certes une bonne chose, mais ce n’est pas suffisant. Ce qui fait que, malgré les grandes avancées, l’Accord rencontre des problèmes majeurs. C’est à travers le Dialogue national inclusif que les composantes de la nation pourraient chercher à comprendre pourquoi ces retards et s’accorder sur des choses pouvant accélérer sa mise en œuvre. C’est vrai que ce n’est pas le président de la République qui va initier la relecture de l’Accord, mais il est dans son rôle.

L’Essor : La majorité présidentielle a pris part à toutes les phases déconcentrées du Dialogue national inclusif. Que retenez-vous du chemin parcouru et quelles sont vos attentes aux termes du processus ?
Dr Bocari Tréta : À l’entame, ce Dialogue était appelé à consacrer un moment d’arrêt du jeu politique partisan. La situation politique nous a paru assez préoccupante et on a compris de toutes parts qu’il y avait une nécessité d’œuvrer à l’union sacrée. Cela pour mettre sur la table les grands défis de la Nation et se donner une période pendant laquelle nous allons tous, main dans la main, travailler à trouver les solutions les plus appropriées pour faire avancer notre pays et le sortir de la crise. L’initiative du Dialogue national inclusif rentre dans ce cadre. Tout comme le gouvernement de mission et l’Accord politique de gouvernance.
Globalement, beaucoup a été fait. L’Accord politique de gouvernance a été signé par beaucoup de forces, mais pas toutes. Au sein du gouvernement de mission, siègent également beaucoup de forces politiques. Et quant au Dialogue national inclusif amorcé, nous observons pour le moment de la retenue de la part de certaines forces politiques, mais l’espoir n’est pas perdu. Je note que le président de la République a continué ses rencontres. Et nous, au niveau de la majorité présidentielle, venons de développer une dernière initiative visant à rassembler le maximum de forces politiques et sociales. Nous allons travailler, avant l’ouverture officielle des travaux du Dialogue, à nous accorder sur l’essentiel. Parce qu’aujourd’hui tout est priorité, mais en même temps nous sommes dans de grandes contraintes. Alors, il faudra hiérarchiser les priorités. Je crois que toutes les forces sont acquises à une telle perception de la question.

L’Essor : La situation sécuritaire se dégrade dans la Région de Mopti et une partie de celle de Ségou. Quelles solutions préconisez-vous pour arrêter la spirale de la violence dans ces localités du pays?
Dr Bocari Tréta : Quelquefois, notre attention est trop attirée par la partie visible de l’iceberg. En réalité, ce qui se joue dans les Régions de Mopti et de Ségou n’est pas fondamentalement différent de ce qui se passe au Nord du pays. Depuis 2012, s’est développée, parallèlement à l’occupation des régions septentrionales par les mouvements, une situation qui nous affecte le plus : l’intégrisme violent. Les structures d’Al-Qaïda au Maghreb islamique et l’État islamique se sont mises en place aussi bien au nord que dans la partie centre du pays.
Face à la complexité de la situation, qu’est-ce qu’il faut ? C’est cela notre responsabilité. À partir du moment où on a un Accord qui doit fondamentalement régler les problèmes de gouvernance, les Maliens doivent se mettre d’accord sur tout ce qui doit contribuer à asseoir les fondements réels de la libre administration, de nouveaux rapports entre administration et administrés de manière que l’administration serve les besoins essentiels de nos populations. Et surtout que cela n’est le privilège d’aucune faction de notre Nation.
Une fois qu’on s’est mis d’accord, on pourra alors occuper le rôle auquel nous aspirons dans le cadre de la mondialisation. Et donc, on va inévitablement discuter avec les partenaires principaux sur les nouveaux rapports qui doivent exister entre nous. Par exemple qu’on discute avec la France, un partenaire historique du Mali, de ce que la Nation malienne voudrait comme rapport avec l’État français, de ce que le Mali voudrait dans le cadre de l’Accord de défense. Qu’on détermine la part que le Mali souhaiterait concéder à la France dans le cadre de l’exploitation de ses ressources. Pas seulement avec la France, mais également avec les grandes nations qui ont des intérêts chez nous. Et que ça ne soit pas de façon cachotière que ces choses se traitent.
Nous-mêmes, nous devrons sortir de l’idée qu’il y a de l’altruisme dans les relations internationales. Non ! Les relations internationales, c’est une question d’intérêt. Nous nous projetons donc dans des relations avec des États en fonction de nos intérêts et que nous acceptions que ceux qui se projettent aussi dans les relations avec nous, c’est en fonction de leurs intérêts. Et quand on va régler ce pan des relations, on verra qu’est-ce qu’on peut envisager en direction de ceux qui sont en mission au nom d’Al-Qaïda ou de l’État islamique. Ce sont quand-même des compatriotes. L’intelligence voudrait qu’on analyse de façon très approfondie cette question qui n’est pas simple. Mais, on ne fait pas une gestion a priori d’interdits, on développe plutôt un reflexe nous permettant d’aller à la recherche de solutions. Le problème est complexe et donc, la démarche doit être assez complexe en tenant compte de l’attitude responsable à avoir vis-à-vis de chacun des acteurs qui interviennent dans ce processus.

L’Essor : Ces derniers temps, plusieurs actions ont été menées sur le terrain dans le cadre de la lutte contre la corruption. Quelle lecture en faites-vous et quelles solutions proposez-vous pour lutter contre ce fléau qui gangrène l’économie nationale ?
Dr Bocari Tréta : J’ai une très grande pensée pour les camarades mis sous mandat de dépôt : le maire de la Commune II, Abba Niaré, Bakary Togola, le maire Adama Sangaré et bien d’autres. Je pense qu’il faut avoir la lucidité dans l’analyse de cette situation et l’aborder avec beaucoup de responsabilité. La responsabilité, c’est que nous devons nous convaincre que tout gestionnaire des ressources publiques a une redevabilité et que personne n’est au-dessus de la loi. Forts de ce principe, nous avons apporté sans ambages notre appui à la lutte contre la corruption déclenchée par le président de la République.
On se rappelle que le premier mandat était consacré à cette lutte. Peut-être que c’est aujourd’hui qu’on voit qu’il y a de véritables actions qui sont engagées. Je n’écarte pas l’idée que oui, dans les actions engagées il y a quelquefois des questionnements : Est-ce que ce sont des actions ciblées ? Est-ce qu’elles sont partielles ? Non ! On se dit que c’est une lutte contre la corruption et nous souhaitons qu’elle ne soit pas sélective. Cependant, un parti politique est aussi une famille. Il a un devoir de solidarité vis-à-vis de ses membres. Et la solidarité a des moyens d’expression que nous utilisons pour apporter tout le soutien à nos camarades, mais sans entrave aucune au processus judiciaire.
Mieux, nous avons souhaité et obtenu que la lutte contre la corruption figure en bonne place dans les termes de référence du Dialogue national inclusif. Sauf que les projets de termes de référence qui nous avaient été soumis, limitaient la période sous examen de 2012 à maintenant. Nous avons réussi à l’atelier national de validation à étendre la période aux trois dernières décennies. Et je pense, il y va de l’honneur des démocrates maliens, parce que nombreux sont ceux d’entre nous qui étaient dans la rue, en 1990-1991, contre ce que nous avons qualifié à l’époque de dictature. Les démocrates devraient faire en sorte que les «dictateurs» ne soient pas meilleurs gestionnaires de l’État qu’eux. On doit faire en sorte que nous ne soyons pas assimilés à des délinquants financiers. C’est pourquoi d’ailleurs, nous, au RPM, avons demandé que les crimes et délits en lien avec la corruption et la délinquance financière soient déclarés crimes imprescriptibles.

Propos recueillis par
Issa DEMBÉLÉ

Source: Journal l’Essor-Mali