Les propos tenus par le président Ibrahim Boubacar Keïta lors de sa rencontre avec la société civile, venue lui présenter ses vœux, continuent de rythmer les conversations à Bamako et au-delà. Pour le chroniqueur, le président a mieux à faire que de se perdre dans des batailles d’égo entre d’anciens camarades qui n’ont plus aucun crédit les uns pour les autres, après en avoir beaucoup perdu aux yeux du peuple.

Ce que les proches d’IBK lui reprochent le plus souvent, c’est sa « brutalité ». Je le dis parce que l’excellent journaliste et écrivain feu Ousmane Sow l’a déjà écrit dans Un Para à Koulouba. Ils lui reconnaissent sa générosité, son humanisme face à la détresse des autres, mais il a plusieurs fois aussi fait preuve de naïveté, et il traine une réputation d’intransigeance : « IBK parle beaucoup et il sait beaucoup de choses. Mais, il n’écoute pas, c’est son gros défaut. », aurait dit de lui un ministre. A bien y regarder, tous ces constats trouvent leur vérification dans les propos qu’il a tenus lors de sa rencontre avec la société venue lui présenter ses vœux dernièrement. Qu’a-t-il dit ?

Qu’il a « trop encaissé », qu’il s’est « réveillé » et va « sévir ». Autrement dit, qu’il va sortir de sa résignation de vieille hyène édentée. « IBK » a poussé le bouchon loin jusqu’à s’en prendre au chef de file de l’opposition : « J’ai donné 500 millions à l’opposition, mais elle passe le clair de son temps à m’insulter. Elle ne sert à rien. Comme c’est la loi qui l’autorise alors, on va revoir » Interprétation simple : le chef de file de l’opposition passe lui aussi à la caisse à la fin du mois, il ne peut donc pas cracher dans la soupe même si elle est mauvaise.

Faisons grâce aux lecteurs des détails. Nous n’allons pas, par exemple, dire qu’il s’est exprimé avec un ton qui n’admettait pas de réplique. Nous n’allons pas dire que le tour de ses propos étaient directs. Mais, interrogeons-nous : pourquoi craint-ils les critiques ? Pourquoi passe-t-il le clair de ses discours à se forcer à la critique à destination de l’opposition, à répondre à ses détracteurs ? A-t-il oublié que le peuple, en lui déléguant sa confiance il y a cinq ans, l’a renvoyé à d’autres responsabilités plus nobles ?

Ce qui doit être dit à « IBK », c’est que s’il est vraiment le président, il doit le faire paraître à travers ses actions de tous les jours, plutôt que de se perdre dans des batailles d’égo entre d’anciens camarades qui n’ont plus aucun crédit les uns pour les autres, après en avoir beaucoup perdu aux yeux du peuple. Encore une fois, le débat est toujours là : d’où vient l’idée que critiquer le président, ses actes et agissements, qu’on soit homme politique ou citoyen lambda, reviendrait à ne pas aimer son pays ? Disons-le clairement : prétendre que les fonds mis à la disposition de l’opposition ne servent à rien parce qu’elle critique le pouvoir est une façon froide de poser le problème voire une honte sans nom pour notre démocratie qui bat encore de l’aile à l’image du pays entier.

Colère des jeunes

Ce qui doit être dit, c’est que la contestation, la remise en cause des actions posées par le pouvoir ne vient pas que des opposants. Elle vient aussi d’une grande partie de la jeunesse qui organise désormais un nouveau front d’opposition à la classe dirigeante, au pouvoir. Et rien n’est plus grave pour un régime de se retrouver dans un maelstrom des critiques des jeunes qui sont de plus en plus facebookistes, youtubistes, twittos, savent ce qui se passent ailleurs, dans d’autres pays, dans d’autres continents où les choses ont changé. Et qui sont convaincus que le changement n’est pas impossible au Mali et aux Maliens.

Pourquoi les jeunes sont révoltés contre la classe dirigeante ? Pourquoi à Kayes, à Gao, à Bamako, les jeunes n’ont plus peur d’en découdre avec la police, la gendarmerie ? De descendre dans la rue quand cela devient nécessaire ? Pourquoi les syndicats n’accordent plus de crédit aux paroles du gouvernement ? La réponse est pourtant simple : parce qu’ils sont de plus en plus conscients de l’échec honteux du pouvoir. Cet échec qui vient de ce que celui qui l’incarne n’a pas su y mettre le dynamisme et l’utilité attachés à la fonction qu’il occupe. Un président est élu pour répondre aux aspirations d’un peuple, mais lorsqu’il donne la main à ceux et celles qui « assassinent l’espoir », il ne peut empêcher les citoyens, surtout les jeunes, d’ouvrir les yeux, de se faire une opinion et de contester.

BS

Le Pays