Le massacre de chasseurs par des éleveurs ce week-end dans le centre du pays illustre parfaitement les rivalités entre ethnies et modèles agricoles, qui viennent s’ajouter aux menaces djihadistes du nord. Paris maintient sur place encore 3.000 soldats mais des zones entières échappent au contrôle des forces maliennes, françaises et de l’ONU.

Quand ce ne sont pas les djihadistes dans le nord, ce sont les conflits dans le centre entre ethnies pratiquant des modèles agricoles différents… L’instabilité récurrente au Mali a été illustrée par un nouveau massacre ce week-end. Un village dogon entier a été ravagé p ar une cinquantaine de Peuls lourdement armés dans le centre du pays, semble-t-il en représailles au massacre, mi-mars, de 160 éleveurs peuls par des chasseurs dogons.
Le bilan oscillerait entre 35 et 95 morts selon les autorités, mardi. Ce cycle de vendetta et d’atrocités entre populations antagonistes, souvent éleveurs contre planteurs ou chasseurs, menace la survie même du pays, a affirmé lundi le président Ibrahim Boubacar Keïta.
Djihad, ethnie et agriculture
Cette région, proche de la frontière avec le Burkina Faso, est en effet devenue la plus dangereuse du pays depuis l’apparition en 2015 du groupe djihadiste du prédicateur Amadou Koufa , recrutant prioritairement parmi les Peuls, traditionnellement éleveurs. Les affrontements se multiplient entre cette communauté et les ethnies bambara et dogon, pratiquant essentiellement l’agriculture, qui ont créé leurs groupes d’autodéfense. Dans un rapport publié la semaine dernière, la Minusma et le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH) ont souligné l’exacerbation des tensions dans la région depuis deux ans.
Des accords de paix peu efficaces
Ces tensions s’ajoutent à celles dans le nord du pays, qui avait failli tomber sous la coupe de groupes djihadistes en 2013, provoquant une intervention militaire française, qui se poursuit via l’opération Barkhane. Paris a perdu au total 15 soldats et maintient sur place encore 3.000 soldats. Mais des zones entières échappent au contrôle des forces maliennes, françaises et de l’ONU, malgré la signature en 2015 d’un accord de paix censé isoler définitivement les djihadistes – dont les effectifs ne dépasseraient pas 1.400 combattants, selon une source militaire française.
DOCUMENT : Rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la situation au Mali
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Par ailleurs, l’accord de paix de 2015 entre Bamako et la rébellion touareg, dans le nord de ce pays désertique de 18 millions d’habitants, n’est appliqué qu’en partie. Le Mali s’inscrit en outre dans une zone plus large d’insécurité qui couvre la plus grande partie du Sahel, malgré la tentative de mise en place d’une force internationale dite G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Mauritanie, Tchad, Niger) avec l’appui de la France et, dans une moindre mesure, des Etats-Unis. Cette force n’est pas encore opérationnelle. L’ONG International Crisis Group estime que pour les Européens, « le Sahel reste une région stratégique pour leurs intérêts économiques et politiques », en sus de constituer « une menace potentielle pour leur propre sécurité, et une source de migration et de terrorisme ».
Yves Bourdillon

Lesechos.fr