En prélude à l’élection présidentielle de mars 2022, un air de précampagne souffle au Mali. Rentrées politiques, visites aux militants, propositions de réformes politiques et institutionnelles, tout est bon pour attirer l’attention. Cette effervescence sur la scène politique n’échappe pas à la vigilance des hommes de Dieu. Véritables « faiseurs de roi » lors des élections, ils ont eux aussi commencé à lorgner la chose politique. Et cela va de plus en plus croissant.

 

Le « Game of Imams » est lancée. Parmi les épisodes récents, on note Ousmane Madani Haïdara, qui prévient ses fidèles d’attendre sa consigne de vote pour la présidentielle. Le Président du Haut conseil islamique a également marqué de bons points grâce à « son implication » pour trouver un accord entre de présumés djihadistes et la population de Farabougou, dans le centre du pays. Quant à celui que l’on se plait à présenter comme son antithèse, Mahmoud Dicko, il n’est pas non plus en repos. Après avoir pris part à la rentrée politique de l’Alliance Espérance Nouvelle Djigiya Kura de Housseini Amion Guindo, c’est un Centre « pour la paix et le vivre ensemble au Sahel » qu’il a inauguré le 1er avril dernier. Moins populaire que les deux premiers, Chouala Bayaya Haïdara, soutien indéfectible de l’ancien Président Ibrahim Boubacar Kéïta, a participé au lancement du Mouvement pour la refondation du Mali de Maître Kassoum Tapo le 4 avril dernier. « Il ne me semble rien avoir de neuf dans tout ceci, dans la mesure où les acteurs islamiques occupent déjà, et d’ailleurs depuis plusieurs années, le devant de la scène politique nationale. Ces différentes actions me paraissent tout à fait normales et attendues quand on connait le contexte politique malien actuel, qui est celui d’un pays en transition qui se prépare à organiser des élections générales dans quelques mois. Et les différents acteurs évoqués semblent tous se positionner dans cette perspective afin de tirer leur épingle du jeu. On peut donc tout à fait comprendre les récentes « gesticulations » de certains acteurs islamiques sur le terrain politique », explique le Dr. Boubacar Haïdara, chercheur associé à l’Institut d’études de Bordeaux.

« Islam business »

Ousmane Madani Haïdara semble être le nouveau « bleu » de l’équation politico-religieuse, même si on l’a soupçonné de connivences sous le régime d’Ibrahim Boubacar Kéïta. Lors d’un prêche largement relayé sur les réseaux sociaux, il a clairement demandé à ses fidèles d’attendre sa consigne de vote pour la présidentielle prochaine. Chose qu’il n’avait jamais faite.  Pourquoi maintenant ? « La scène politique malienne est en recomposition profonde. De nouveaux acteurs non politiques s’y activent désormais, notamment des opérateurs économiques. Les religieux veulent participer à cette évolution. La majorité des Maliens veut tourner la page des anciens politiques. Chérif Ousmane Madani Haïdara est un acteur avisé de la scène publique malienne, il sait que le pays traverse une période décisive pour son avenir, c’est la raison pour laquelle il compte s’investir cette fois-ci », explique Boubacar Salif Traoré, politologue.

L’anthropologue Hamidou Magassa va plus loin. « Ousmane Madani Haïdara n’a pas la culture intellectuelle de Dicko. Et si aujourd’hui il sort pour dire qu’il donnera bientôt des consignes de vote, c’est qu’on l’a acheté, c’est très clair. Cela veut dire qu’ils ont tous appris la leçon de Dicko. Donc ils ne vont plus rester les mains croisées, ils vont eux aussi influencer ».

Si Ousmane Madani Haïdara pourrait être nouveau dans la pratique, l’Imam Mahmoud Dicko et le Chérif de Nioro n’en sont pas à leur première consigne de vote. Tous les deux ont largement soutenu le Président IBK lors de l’élection présidentielle de 2013. Pour l’élection présidentielle de mars 2022, rien n’est d’abord fixé quant aux politiques qui bénéficieront des futures consignes de vote, même si certaines lignes se dessinent. Cependant, pour le Dr. Hamidou Magassa, elles profiteront aux politiques les mieux offrants. « Il suffit de payer. Qui paie bien les aura. On est dans un marché entre politiques et religieux ». Boubacar Haïdara abonde dans le même sens. « Même si c’est l’intérêt général qui est la plupart du temps invoqué » par les religieux dans l’édiction de consignes de vote, « notamment à travers la promotion de la bonne gouvernance, ils jouent sans doute d’abord personnel. Les connivences entre acteurs religieux et politiques ne sont plus à démontrer ici au Mali », soutient-il.

Immixtion de longue date

La création de l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam (AMUPI) par Moussa Traoré, du Haut conseil islamique par Alpha Oumar Konaré, du ministère des affaires religieuses par Dioncounda Traoré sous la transition de 2012 et la libération de 161 militaires maliens détenus par le groupe terroriste Ansar Dine par le Haut conseil islamique le 17 avril 2012 prouvent que la relation entre politiques et religieux ne date pas d’aujourd’hui. Les premiers ont toujours fait recours aux seconds, pas uniquement pour des fins électoralistes, mais bien au-delà. Selon le Dr. Hamidou Magassa, cela a commencé dès la Première République. « La construction politique de l’État au Mali ne s’est jamais faite sans la religion depuis la Première République, mais avec des préoccupations et des contextes différents. C’est Monseigneur Luc Sangaré qui faisait la moralisation de la chose publique à l’occasion des fêtes chrétiennes. Et Mahmoud Dicko a été plus ou moins formé politiquement par Monseigneur Luc Sangaré. Cela paraît bizarre, mais c’est comme cela. À un moment donné, quand le mouvement démocratique de 1991 réclamait le multipartisme et que Moussa Traoré campait sur ses positions, ce sont Monseigneur Luc Sangaré et l’Imam Dicko, m’a-t-il dit lui-même, qui sont montés à Koulouba pour demander à Moussa de faire l’ouverture. Cela est déjà un acte politique du milieu religieux. Moussa les a reçus mais il les a presque renvoyés ».

Cependant, cette relation a pris du poids au fil du temps à cause de la désillusion du peuple face aux leaders politiques. « Les religieux se sont peu à peu imposés comme étant les derniers recours d’une société malienne en quête de repères. Les responsables politiques n’inspirent plus confiance et la population dénonce cela. Même si les religieux sont également souvent critiqués, ils bénéficient néanmoins d’une base solide, qui aura du mal à s’éroder, car tout est lié à l’idéologie portée par le leader religieux, qui d’ailleurs est plus un guide qu’autre chose. Le politique en manque d’inspiration et d’opinions favorables au sein de la population n’a d’autre choix que de s’en remettre aux hommes de Dieu », explique Boubacar Salif Traoré.

Cette immixtion fait débat aujourd’hui dans l’espace public malien. Si certains voient dans la relation entre politique et religion une relation malsaine pouvant impacter la laïcité de la République, d’autres estiment que cette relation est normale et fait partie aujourd’hui de la real politik au Mali. « Devant la chose politique, tous les Maliens sont au même niveau. L’essentiel est que tout le monde reste derrière la Constitution. À partir de là, chacun est libre de choisir qui il veut comme leader ou parti politique. Donc, pour moi, les règles doivent être les mêmes pour tout le monde. Nous sommes dans une République et l’égalité doit prévaloir à tous les niveaux », pense Moussa Sinko Coulibaly, Président de la Ligue démocratique pour le changement (LDC). Pour le Dr. Hamidou Magassa, séparer le politique du religieux est complexe, car les deux ont à peu près les mêmes fonctions. « Le religieux et le politique sont des frères siamois. Pour les séparer, il faut vraiment avoir une autre « magie ». Ils vendent tous les deux de l’espoir. Le premier vend l’espoir de l’au-delà, le second celui du monde d’ici-bas.»

Boubacar Diallo

Source :  Journal du Mali