Le  24 décembre 2017 sera inscrit dans les annales du Mali en ce qu’il marque le retour d’un  exil de près de six ans de l’ex-président ATT. Un homme qui, par son action décisive dans la nuit du 25 au 26 avril 1991, a débarrassé le pays d’une dictature médiocre et ouvert la voie à la démocratie.  Porté dix ans plus tard à la magistrature suprême par le suffrage universel, ATT sera renversé, à deux mois de la fin de son second quinquennat, par des soldats mutins, à l’aube du 22 mars 2012. Acte ultime de la liquidation de la chaine de commandement militaire entreprise deux jours plus tôt sur les théâtres d’opérations, accélérant la débâcle de l’armée face aux rebelles kidalois et leurs alliés terroristes venus d’Algérie.

Pour rétablir la légalité constitutionnelle et lever l’embargo qu’elle avait ordonné sur le Mali, la CEDEAO négociera et signera avec les putschistes de Kati sur un accord-cadre de règlement de la crise, le 6 avril 2012. Au terme de ce document, ATT, qui restait le président légal malgré son incapacité à gouverner, accepte de démissionner. Une démission devant être suivie du retrait des putschistes du pouvoir et de l’activation de l’article 36 de la constitution conférant l’intérim de la fonction présidentielle au président de l’Assemblée nationale en cas ” d’incapacité définitive “ du président de la  République.

La démission d’ATT sera effective le 8 avril. Et, à la fois pour d’évidentes raisons de sécurité et favoriser une transition civile sans heurts, son éloignement du Mali est organisé. Plusieurs offres sont faites pour l’accueillir mais son choix se portera sur le Sénégal. D’abord parce qu’il se trouvait en ” territoire diplomatique sénégalais “ depuis la nuit du coup d’Etat; ensuite à cause de la proximité géographique et des liens en tous genres unissant le Sénégal et le Mali; enfin eu égard aux excellentes relations qu’il entretenait avec le président Abdoulaye Wade. Ce dernier ne l’appelait que par le surnom d’ ” empereur “ (en référence à l’empire du Mali composé du Mali actuel, du Sénégal, de la Guinée et de la Mauritanie).

C’est ainsi que le 19 avril 2012, 28 jours après sa chute brutale et 11 jours après sa démission ATT quittait Bamako, accompagné de son épouse Lobbo, de leurs deux filles jumelles et de leurs petits enfants, à bord de l’avion de commandement de Macky Sall, investi le 2 avril président à la place de Me Wade, pour un séjour au pays de ”  la teranga “ (hospitalité en wolof).

Il était loin de se douter qu’il durerait si longtemps.

C’est que le régime IBK, trois mois seulement après son installation (décembre 2013), a décidé d’ouvrir à son encontre une procédure judiciaire pour ” haute trahison “ devant la Haute Cour de Justice. Sans s’encombrer le moins du monde de ce que cette institution n’existait que sur le papier ni même que ” la haute trahison ” ne figure pas dans le code pénal malien. Ce qui rend impossible toute poursuite dans ce sens à moins de s’exposer à une forfaiture sanctionnée par une lourde peine d’emprisonnement.

L’opération a tourné court, la commission d’enquête parlementaire, que le régime s’est résigné à créer début juillet 2014, sous le feu roulant des critiques, singulièrement celles de la presse, ayant conclu, le 15 décembre 2016, en ” l’absence de preuve “ de nature à étayer le grief de ” haute trahison “.

Il faudra attendre plus d’une année encore pour que ATT retrouve cette terre du Mali qu’il aime tant, quoi qu’on puisse lui reprocher.

Les meetings, marches de protestation, campagnes médiatiques organisés ou orchestrés par les amis politiques de l’ex-chef de l’Etat et les associations créées spécialement pour la cause n’y auront rien fait. IBK est resté imperturbable. Comme pour dire à ce petit monde : ” Vous pouvez toujours vous époumoner j’ai mieux à faire “.

Un confrère dakarois rapporte qu’au président Macky Sall qui lui demandait, au cours d’un séjour à Bamako, de ramener ATT au bercail parce qu’il coûtait un million de francs CFA en entretien et en sécurité par jour au budget de son pays, IBK aurait répondu : ” Je suis impuissant à assurer sa sécurité “.

Il y a moins d’un mois, c’est une autre réponse qu’il faisait à Jeune Afrique  : ”  Le retour d’ATT est une affaire privée qui ne concerne que lui “.

Et puis, ce brusque changement de ton, le vendredi 22 décembre, lors de la Journée nationale des communes du Mali : ” Maintenant que les choses se sont apaisées, j’ai demandé à mon frère cadet ATT de regagner son pays. Quand il partait au Sénégal, à la demande de la CEDEAO, Macky lui a envoyé l’avion présidentiel. Le Mali ira et c’est l’avion présidentiel qui quittera dimanche matin pour le ramener à Bamako. En bon jeune frère, il a souhaité déjeuner avec moi à la maison à Sébénicoro. Nous avons remercié le président Macky Sall pour son hospitalité “.

En bon Malien pétri de nos valeurs traditionnelles, ce remerciement était la chose qui tenait le plus à cœur ATT.

C’est ce que la presse locale a présenté comme ” condition “ sans avoir été comprise par lui.

ATT est donc rentré dans la forme qu’il souhaitait vis-à-vis de ses hôtes sénégalais et sur un air de triomphe auquel il ne s’attendait sûrement pas.

Parti en catimini et sous la frayeur d’un coup de feu tiré par un soldat écervelé, il a regagné le pays natal sous les vivats d’une marée humaine qui l’a accompagné, deux heures durant, de l’aéroport international Modibo Keïta de Bamako Senou à la résidence du président IBK à Sébénicoro. Pour un homme qui fut traqué dans son palais par des obus, contraint de descendre Koulouba sur le dos d’un béret rouge, condamné à rester enfermé dans une résidence diplomatique près d’un mois, traîné dans la boue de l’ignominie, accablé de tous les péchés d’Israël, un moment menacé du couperet de la guillotine, cet accueil spontané, sincère, vigoureux est une réhabilitation. Une résurrection. Il traduit la réconciliation-à supposer qu’il y ait eu une véritable rupture- entre le peuple et son héros adulé du 26 mars 1991.

Ce retour, ardemment désiré par ATT (il s’est souvenu que l’exil dans la presqu’île dakaroise a duré cinq ans, huit mois et six jours exactement) est-il au finish le fruit d’un deal passé entre lui et IBK ? L’actuel président, après une longue réticence  n’y aurait-il consenti qu’une fois persuadé que celui qui fut son concurrent victorieux pour le fauteuil présidentiel en 2002 et 2007 lui apportera un soutien qui pourrait se révéler précieux en 2018 ?

Deux certitudes en tout cas : IBK, avec les résultats mitigés obtenus dans la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger et dans la lutte contre le terrorisme, ne pourra pas revendiquer la même force électorale qu’en 2013.

En revanche la déferlante humaine de dimanche dernier donne à penser que la popularité dont jouissait ATT avant le coup de force qui l’a fait tomber ne s’est pas érodée. Et  qu’il possède encore  du répondant électoral.

 Saouti Haïdara

 

Source: L’Indépendant