En rencontrant le Secrétaire général adjoint aux opérations de main-tien de la paix de l’ONU, M. Jean Pierre Lacroix, le Président Choguel K. MAIGA, au nom des Partis membres du M5-RFP, a axé son inter-vention sur la Transition en mettant en relief les lignes de force des positions communes des Partis membres du M5-RFP. Il égrène cinq handicaps majeurs qui, s’ils ne sont pas corrigés à temps, signeront inéluctablement son échec en fin de parcours. Lisez l’intégralité de de son intervention.

 

1- Monsieur le Secrétaire général adjoint aux opérations de main-tien de la paix,
Monsieur Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Mali, Chef de la MINUSMA,
Mesdames et Messieurs
Je voudrais vous remercier de l’aimable invitation que vous avez bien voulu adresser à mon Parti, le Mouvement Patriotique pour le Renouveau (MPR), et aux partis membres du M5-RFP qui à leur tour m’ont chargé de la lourde tâche de prendre la parole en leur nom, au cours de cette importante rencontre d’échange sur la si-tuation au Mali, échange qui, nous espérons, sera axé sur la Transi-tion en cours.
Les questions d’ordre sécuritaire, social et économique sont suffi-samment connues et constituent des préoccupations communes et partagées des Maliens.
Je vais donc centrer mon intervention essentiellement sur la Tran-sition en mettant en relief les lignes de force des positions com-munes des Partis membres du M5-RFP.
Mais avant, je voudrais vous remercier de l’attention particulière que l’ONU, notre organisation commune, accorde à la situation au Mali. L’implication active de la MINUSMA et particulièrement de son Chef dans la recherche permanente de solutions de sortie de crise au Mali n’est plus à démontrer.
M. le Secrétaire général adjoint, en ce début 2021, au nom de mes camarades du M5-RFP, je saisis l’occasion pour présenter, à vous-même et à tous les membres de votre délégation, à vos familles respectives ainsi qu’à tous ceux qui vous sont chers, une bonne et heureuse année.
Je vous prie de transmettre, M. le Secrétaire général adjoint, nos sentiments de reconnaissance et de gratitude à l’ensemble du per-sonnel des Nations unies au Mali, civils et contingent des casques bleus, qui se battent au quotidien, et parfois jusqu’à l’ultime sacri-fice, loin de leur pays natal, pour le retour de la paix au Mali. Que 2021 soit pour chacun d’eux, une année de santé, de prospérité, de réussite dans leur difficile mission, de paix intérieure et de con-corde dans leurs foyers et leurs pays d’origine.

2- M. le Secrétaire général adjoint,
Pendant votre séjour, vous rencontrerez divers acteurs de la vie politique et sociale du Mali.
Beaucoup, sinon la plupart, vous diront qu’il y a eu juste quelques incompréhensions au début de la Transition, notamment qu’il y a eu un manque de consensus et l’inclusivité dans la mise en place des organes de la Transition. Les mêmes vous diront qu’il faut pas-ser l’éponge sur tous les manquements et imperfections passés pour se tourner vers l’avenir, et aider à la réussite de la Transition, singulièrement qu’il faut vite aller aux élections après avoir opérer quelques réformes. Énoncé de cette façon, ce discours vous paraî-tra convaincant, constructif et positif. Vous aurez même le senti-ment que l’essentiel des forces vives de la Nation est dans une lo-gique de soutien aux autorités de la Transition.

3- Mais, Monsieur le Secrétaire général adjoint,
Mesdames, Messieurs les membres de la délégation,
Ces déclarations, voire ces déclamations, cachent mal la vérité des faits. Lesquels ?
Beaucoup de ceux qui tiennent ce discours, ont été, dans un passé très récent, opposés ou n’ont pas accompagné ouvertement le puissant mouvement patriotique de contestation populaire qui a abouti au changement de régime le 18 août 2020. La plupart des tenants de cette ligne politique, de ce discours lénifiant, ne se sont ralliés au processus du changement que tardivement, après la chute de l’ancien régime. Beaucoup d’entre eux, au fond, sont soit opposés, soit ne souhaitent pas voir se réaliser les objectifs poli-tiques majeurs autour desquels le peuple insurgé, sous la direction politique du M5-RFP, des mois durant, s’est mobilisé par millions à l’intérieur et à l’extérieur du Mali.
Dans ce concert, la voix de la principale force du changement, le M5-RFP, se trouvera forcément inaudible, brouillée et parasitée par le vacarme des dizaines d’intervenants, dont les préoccupations sont à mille lieues des mots d’ordre autour desquels le peuple ma-lien s’est mobilisé des semaines durant, sous le soleil, sous la pluie, sous les balles des Forces spéciales antiterroristes ( FORSAT), lais-sant sur le champ de bataille des dizaines de morts, de blessés et des handicapés à vie.
Vous courez donc le risque de retourner à la fin de votre mission avec l’impression que pour l’essentiel la Transition se passe bien. Laissant le feu couver sous les cendres.

4-La vérité, Monsieur le Secrétaire général adjoint, c’est que la Transition souffre principalement et fondamentalement, et de façon non exhaustive, de cinq handicaps majeurs qui, s’ils ne sont pas corrigés à temps, signeront inéluctablement son échec en fin de parcours. De quoi s’agit-il ?
a- Les organes de la Transition souffrent d’un déficit avéré de légi-timité, car ils ont tous été installés en violation des idéaux et valeurs pour lesquels le changement a été réclamé par le peuple malien pendant sa lutte héroïque portée par le M5-RFP, en violation des engagements pris entre le CNSP et le M5-RFP (principale force du changement), en violation de la morale et de la logique républi-caine, mais aussi et surtout en violation de la Charte de la Transi-tion et de tous les textes légaux afférents à la mise en place desdits organes et adoptés au nom des Maliens.
b- Le difficile accouchement des organes de la Transition a souffert d’absence totale d’un minimum de consensus et de confiance des forces vives de la nation. C’est pourquoi, en si peu de temps, les autorités de la Transition ont réussi à se mettre sur le dos toutes les forces vives significatives : partis politiques, syndicats, société civile, organisations professionnelles, etc.
c- Les organes de la Transition, de par les conditions de leur nais-sance, le processus et les méthodes d’un autre âge qui ont signé leur survenue, souffrent d’une tare congénitale : l’incapacité no-toire à appréhender à leurs justes mesure et dimension, les vrais défis, auxquels la nation doit s’attaquer, l’ordre des priorités et comment les aborder et les prendre en charge.
d- La militarisation outrancière de l’appareil politique et adminis-tratif de gestion de l’État fait courir de gros et inutiles risques aux Forces armées et de sécurité. Leur trop grande implication dans la gestion politique, qui n’est pas leur coeur de métier, a au moins deux inconvénients majeurs :

distraire et détourner les FAMAs de leur mission classique légale, c’est-à-dire la défense du territoire, la sécurisation des personnes et des biens, la lutte contre le terrorisme. J’en veux pour preuve : la multiplication, dans le courant du dernier trimestre de l’année 2020, des points d’implantation et d’incrustation des foyers et bases des groupes terroristes au centre-ouest, au sud et à l’ouest du Mali (Macina, Niono, Markala, Tominian, San, Banamba, Koutiala, Yorosso, Kadiolo, Kolondiéba, Nara , etc. ); la signature de pactes de soumission que certains villages sont obligés d’accepter avec les groupes terroristes ; les tribunaux islamiques qui «distribuent la juste» et officient sous l’autorité des organisations terroristes;

︎l’enlisement des FAMAs dans les luttes et joutes politiques, et l’imputation subséquente de la responsabilité d’échecs politiques éventuels, avec les graves et irréparables dommages sur l’image et la réputation des Forces de défense et de sécurité.

e- En fin, les autorités de la Transition ont perdu totalement la boussole qui doit les guider pour réaliser par ordre de priorité les objectifs et impératifs du changement :
︎la sécurisation des personnes et des biens,
•la lutte contre le terrorisme ;
︎la justice pour les victimes des tueries des 10, 11, 12 juillet 2020 à Bamako, ainsi que celles de Sikasso et Kayes ;
︎les réformes politiques, institutionnelles et administratives, sur une base consensuelle et inclusive ;
︎la création des conditions d’élections libres, transparentes et cré-dibles pour éviter des crises postélectorales ;
︎la lutte contre la corruption et l’impunité ;
︎le respect des droits et libertés consacrés dans la Constitution;
︎la prise en charge de la la problématique de la Refondation à tra-vers l’organisation d’Assises nationales ;

5- En ramenant la Transition à la seule organisation des élections, sans tirer les leçons des crises politiques passėes, de la crise sécu-ritaire et des Coups d’État à répétition, nous trahiront la mémoire des victimes tombées pendant la lutte héroïque du peuple portée par le M5-RFP, nous trahiront l’idéal pour lequel des millions de Maliens se sont battus contre l’ancien régime. Mais par-dessus tout, nous poserons, peut-être sans le vouloir, des bombes qui, les mêmes causes produisant les mêmes effets, exploseront plus tard, créant du coup les conditions de nouvelles crises et de nouveaux motifs d’instabilité.
6- C’est pourquoi, les composantes du M5-RFP travaillent sans re-lâche, avec détermination et résolution, à obtenir, pas une rupture de la Transition, mais une Transition de rupture avec l’ancien sys-tème. Je dis bien que nous voulons une Transition de rupture et non la Transition de continuité qui est imposée aujourd’hui aux Maliens et qui n’en veulent pas !
7- Dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconcilia-tion issu du processus d’Alger (APR), nous devons impérativement faire le bilan des cinq dernières années. Nous veillerons en particu-lier à poser les questions suivantes : qu’est-ce qui bloque ou re-tarde la mise en œuvre de l’APR ? Que faut-il faire, et comment faire, pour avancer plus vite ?
Pour le M5-RFP, faire le bilan de la mise en œuvre de l’APR per-mettra aux Maliens de trouver les consensus indispensables pour se projeter avec optimisme dans l’avenir, tout en veillant scrupu-leusement à préserver ce qui n’est pas négociable : l’unité natio-nale, l’intégrité du territoire national, la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire, la forme républicaine et laïque de l’État.
8- Au regard de tout ce qui précède, M. le Secrétaire général ad-joint, au M5-RFP, nous pensons que le Président de la Transition qui, pour l’instant, est la seule institution la moins querellée au fond, doit prendre ses responsabilités, devant le peuple malien et face à l’histoire, pour changer ou rectifier la trajectoire de la Tran-sition.
Dans le cas contraire nous courrons tous le risque grave de con-duire le pays dans une nouvelle impasse. Dieu nous en garde !
Je vous remercie de votre attention.
Bamako, le 18 janvier 2021
Pour le MPR
Le Président
Choguel Kokalla Maïga

Source : INFO-MATIN