Traversé depuis plusieurs semaines par de fortes turbulences politiques, le Mali se présente désormais comme un pays profondément divisé, en quête d’une impossible cohésion nationale  alors que depuis près d’une décennie il est la proie de multiples crises.

En effet à la crise sécuritaire endémique que vit le pays depuis 2012 se sont progressivement greffées de nouvelles crises touchant pratiquement tous les secteurs d’activités : enseignement santé, gouvernance, économie.

Le rosaire des crises maliennes  pourrait  s’égrener sans fin, mais il suffit  de constater  qu’il s’est allongé avec l’élection présidentielle de 2018 et les dernières élections législatives, les deux scrutins n’ayant été, de toute évidence, ni sincères ni réguliers.

C’est dans ce contexte délétère,  marqué par un extraordinaire cumul de frustrations, par la marginalisation croissante  de l’opposition politique  et l’accaparement de tous les leviers de pouvoir par le Chef de l’Etat ; son parti, le RPM et son proche entourage, que survient l’actuelle crise politique.  Elle résulte, en réalité de chocs et de traumatismes successifs chocs provoqués par la mauvaise gouvernance et le manque de leadership  du Président IBK

Ces différents chocs et traumatismes sont à l’origine d’un phénomène qu’on peut observer dans de nombreux pays : le dépérissement politique de l’opposition institutionnelle qui, soupçonnée à tort ou à raison de connivence ou d’incompétence, a du mal à occuper le champ politique et à tenir la dragée haute au pouvoir en place.

La politique a horreur du vide, dit-  on,  et Mahmoud Dicko, face à ce qui ressemblait à un champ de ruine, a eu l’intelligence politiqude s’ériger en porte – voix des sans voix, en disant tout haut le ressenti de ses compatriotes et en devenant le pourfendeur attitré du régime d’IBK.

Fin stratège, et ne voulant pas s’enfermer  dans un projet qui n’inclurait que des préoccupations morales ou religieuses, il a réussi, à travers la Cmas, à convaincre les partis politiques de l’opposition  et d’importantes organisations de la société civile, de constituer un front commun contre la gestion du Président.

Face à la montée des périls qui se dessine avec l’organisation de manifestations constituant de véritables démonstrations de force, comme ce fut le cas les 5 et 19 juin, le pouvoir a jusque là donné l’impression d’être désemparé, voire tétanisé, n’opposant aux milliers de manifestants qui ont envahi la place de l’Indépendance qu’un silence embarrassé.  Le président a bien tenté de reprendre la main entre le 5 juin et le 19 juin en s’adressant à la nation à deux reprises. Mais le sentiment dominant est qu’il est à court de solutions face à la situation. De manière générale, en réponse à l’exigence de démission du Président de la République formulée par la Cmas et ses alliés regroupés au sein du M5 – RFP, le pouvoir paraît dangereusement en panne d’offre politique  et semble se rabattre sur des alliés de circonstance pour proposer des solutions à la crise.

Ainsi, le cadre de veille, d’action et de médiation formé du Haut Conseil Islamique et d’organisations de la société civile a t- il proposé  le remplacement des juges de la cour constitutionnelle, auxquels il impute la responsabilité du mécontentement actuel, tout en préconisant la tenue d’élections partielles dans des circonscriptions où les contestations ont été fortes.

Ainsi encore, la Cedeao, venue à Bamako pour offrir ses bons offices, a t- elle proposé l’organisation d’élections partielles dans des localités où la Cour constitutionnelle a modifié les résultats proclamés par le Ministère de l’Administration Territoriale, non sans avoir dressé un diagnostic occultant la responsabilité personnelle du chef de l’Etat dans la détérioration de la situation et rappelé  la nécessité de préserver les institutions.

Pour nombre d’observateurs, la gravité et la profondeur  de la crise politique que connait actuellement le Mali exigent que le Président fasse son deuil du recours à des expédients  pour la juguler. Il est en effet douteux  que la tenue d’élections partielles et le remplacement de quelques membres de la Cour constitutionnelle  certains membres de l’institution viennent de rendre le tablier -puisse satisfaire les revendications formulées par le M5 – RFP.

En effet, sur le plan juridique, et en particulier au regard de la loi électorale, l’on ne peut avoir recours à l’organisation d’élections partielles que pour des causes limitativement énumérées : annulation préalable des résultats dans une circonscription électorale ; vacance du siège d’un député en cas de décès, empêchement définitif, ou de démission.

Outre  la démission du Président de la République, la coalition réclame  la dissolution pure et simple de l’Assemblée nationale et celle de la Cour Constitutionnelle.

En l’état, sauf l’hypothèse d’un très large consensus des acteurs politiques autour de la question de la question, la Constitution malienne paraît exclure tout usage du pouvoir de dissolution en 2020.

La dissolution ne pouvant avoir lieu, selon la loi fondamentale malienne,  moins d’un an après la tenue des élections législatives.

La marge de manœuvre du Président IBK paraît dès lors bien étroite.

Le recours à l’article 50  de la Constitution, qui confère  au Président de la République des pouvoirs exceptionnels en cas de menaces graves et imminentes sur le fonctionnement des institutions, pourrait toutefois être utilement  exploré. Cette solution, qui a l’avantage d’offrir un fondement juridique à une éventuelle décision de dissolution de l’Assemblée nationale a été déjà été suggérée par de nombreux observateurs.

Pour ce qui est de la dissolution de la Cour Constitutionnelle, l’article 50 pourrait également être invoqué dans la mesure où le fonctionnement régulier de l’institution est actuellement compromis avec la démission collective de quatre de ses membres et le décès d’un autre. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la Cour, qui ne peut plus atteindre le quorum requis de cinq membres, ne plus valablement délibérer

Là encore le recours à l’article 50 apparaît comme la solution la plus simple. La loi organique relative à l’institution ne prévoit en effet, outre la démission volontaire et individuelle, que deux cas de figure : l’empêchement définitif et la révocation pour faute dont la procédure est déclenchée par le Président de l’institution. Mais il est parfaitement envisageable que dans le cadre de l’application de l’article 50, l’on mette également fin au mandat des membres de la haute juridiction.

Sur la question controversée de la démission du Président de la République en exercice, exigence formulée par les leaders du M5 – RFP, elle divise aujourd’hui la classe politique malienne et l’opinion publique. D’aucuns rejettent vigoureusement toute idée de démission du Président qui serait, à leurs yeux inconstitutionnelle. J’invite les uns et les autres à ce propos à faire une lecture attentive de l’article 38 qui, en énonçant les causes de vacance de la Présidence de la République, dispose, en son alinéa :

« En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement absolu ou définitif, constaté par la Cour Constitutionnelle, saisie par le Président de l’Assemblée nationale et le Premier Ministre, les fonctions du Président sont exercées par le Président de l’Assemblée nationale».

Au vu de la lettre de la disposition précitée, affirmer que la démission n’est pas prévue par la Constitution malienne, c’est faire fi de ce même texte qu’on agite toutes les fois que la question est abordée. Du reste, c’est le recours à l’article 36 de la Constitution, qui évoque la vacance pour « quelque cause que ce soit », qui a permis au Mali d’éviter à l’issue du coup d’Etat de 2012 d’éviter une crise institutionnelle, avec la décision prise par le Président ATT de remettre sa démission.

Toutefois, il est clair que le recours  éventuel à l’article 36 ne peut se faire qu’avec l’acceptation personnelle du Président de la République, ce qui ne semble pas encore à l’ordre du jour.

Me Mamadou Camara,

Avocat au Barreau du Mali

Source : Le pretoire