Outsider de l’élection présidentielle de ce dimanche, Moussa Mara représente la relève d’une classe politique décrédibilisée. Il se dit que la France suivrait de près ce jeune candidat, maire de la commune IV de Bamako. Interview.MOUSSA MARA

Pourquoi vous présentez-vous à l’élection présidentielle de ce dimanche ?

– Je suis expert comptable dans un cabinet que je dirige depuis 16 ans. J’ai 38 ans, j’ai commencé à travailler à 21 ans. Pourquoi je vous dis ça ? Parce que je suis persuadé que j’ai de la chance dans un pays pauvre comme le nôtre. Dans ce pays, avoir de l’éducation, un emploi est si exceptionnel que, quand on en a, il faut faire quelque chose pour la population. C’est un devoir. La politique, c’est un moyen pour faire en sorte qu’un maximum de personnes ait la même chance que moi.

Si je me présente, c’est aussi parce que notre pays est à un tournant qui nécessite une rupture, qui nécessite un homme neuf qui ne soit pas prisonnier du passé, qui sorte des vieux antagonismes : ceux qui opposent les ténors de la classe politique après des années de lutte pour le pouvoir, ceux qui opposent les noirs et les blancs, le Nord et le Sud, etc.

Avec moi, ce sera la rupture, ce ne sera pas IBK contre Modibo Sidibé [deux ténors de la classe politique donnés favoris, NDLR], mais la bonne gouvernance contre la mauvaise gouvernance. Contrairement à d’autres candidats, j’ai une idée exacte de ce que sera ce pays dans 30 ans.

Enfin, j’ai été peiné que notre salut vienne d’ailleurs. Nous sommes pauvres mais très fiers. Nous avons rayonné quand l’Occident était plongé dans les ténèbres du Moyen-âge. Quand la France est intervenue le 11 janvier, les Maliens ont applaudi. Moi j’ai été peiné. Je ne veux plus que le Mali soit sauvé par d’autres.

Le prochain président prendra les rênes d’un pays sous tutelle internationale. Quelle sera votre marge manœuvre ?

– Il y aura un agenda propre et un agenda imposé. Dans l’agenda imposé, il y a la présence de la Minusma [la mission de l’Onu, NDLR], la suite des accords de Ouagadougou signés avec les rebelles touaregs du MNLA, la réconciliation entre toutes les composantes de la société malienne. Pour mener à bien la sortie de crise, je pense qu’il va falloir aussi que le président s’appuie sur des forces nouvelles autres que les grands partis politiques.

Pour qui appellerez-vous à voter si vous n’êtes pas au deuxième tour ?

– Avant de choisir les hommes, je choisis les projets. Si quelqu’un veut une alliance, qu’il vienne me voir. La sécurité, le dialogue et la réconciliation, le développement sont au cœur de mon projet : il n’y aura pas de compromis sur ces éléments. Je gagne mieux qu’un ministre ; ce que je veux, ce n’est pas l’argent, ce n’est pas le pouvoir en soi, c’est un changement de société. De toute façon, je suis sûr que je serai au deuxième tour. Car cette fois la jeunesse va voter. D’habitude, la participation des jeunes atteint à peine 10%. A Bamako, là où je suis le plus fort, elle est de 20%. Cette fois, j’espère bien qu’elle atteindra les 70% !

Qu’est-ce qui vous fait penser que les jeunes vont voter pour vous ?

– Je suis jeune. Et puis, j’ai une certaine éthique. Contrairement à certains candidats qui ont fait de nouveau preuve, pendant la campagne, d’une débauche de moyens, perpétuant les travers de la démocratie mercantile dans laquelle le Mali s’englue depuis des années. Mais, cette fois, j’espère que cela va moins compter qu’auparavant.

Craignez-vous que le scrutin se passe mal ?

– Je ne vois qu’Oumar Mariko [chef du parti SADI, d’extrême gauche, NDLR] comme fauteur de trouble. C’est le seul anarchiste qui n’a pas intérêt à ce que le pays soit stable. Il représente même plus une menace que la junte, qu’il faut faire revenir dans les casernes. Il faut faire cesser cette anormalité qui règne au camp militaire de Kati où la junte fait régner sa loi.

Et à Kidal, le bastion des rebelles touaregs ?

– Tout le monde en fait sa condition : l’élection doit se tenir aussi à Kidal. J’étais de ceux qui pensaient que si les élections ne pouvaient être proprement organisées à Kidal, il fallait les reporter. Il faut que l’accord signé à Ouagadougou entre Bamako et les rebelles soit respecté. Par les deux parties. Cet accord est un premier pas. Mais je ne suis pas favorable au tête-à-tête qu’il instaure entre les autorités maliennes et les groupes armés. Je pense qu’il faut un accord inclusif, qui s’ouvre à toutes les parties maliennes, du Nord comme du Sud.

Comment remettre l’armée sur pied ?

– Elle est par terre car elle a été myope dans un Etat myope. Je suis fils de militaire, l’apocalypse ne m’a pas surpris. Au Nord, les militaires étaient tous devenus des complices des trafiquants, ils trayaient la vache car ils estimaient ne pas être assez payés… Il faut que l’armée soit configurée pour les menaces terroristes qui vont venir du Nord. On a besoin d’une armée légère, mieux équipée, bien dotée en renseignement et en aérien, avec une bonne capacité de projection. La communauté internationale va rester au moins 5 ans. Il faut que lorsqu’elle partira, notre armée soit prête pour les défis qui l’attendent.

La question religieuse a occupé le devant de la scène cette année : au Nord, il y a eu les terroristes islamistes radicaux et, au Sud, la montée en puissance de l’organisation religieuse du Haut Conseil islamique. Si vous êtes élu, comptez-vous vous attaquer à cette question ?

– Le poids politique du Haut Conseil islamique est surestimé. Mais il n’en reste pas moins que la question religieuse doit être soulevée dans les années à venir. Il faut qu’on définisse une nouvelle forme de laïcité dans ce pays. Il faut aider les citoyens à avoir une bonne compréhension de la religion. Le salafisme politique prend en envergure au fur et à mesure que l’Etat recule. Il faut donc que l’Etat cesse de reculer.

Nombre de Maliens estiment avoir besoin d’un président “à poigne”. Comment interprétez-vous cette demande ?

– Après la débandade de cette année, les gens ont besoin d’autorité, de stabilité. Mais, la poigne, c’est la capacité de conduire un pays avec justice.

Propos recueillis à Bamako par Sarah Halifa-Legrand – Le Nouvel Observateur