Ce n’est pas parce que la population malienne est extrêmement jeune qu’il faudra à sa tête un président jeune. Mais c’est aussi parce qu’un certain personnel politique s’est installé, se partage et se réserve les accès aux positions de pouvoir que le Mali s’est effondré à cause de la mauvaise gouvernance, de la privatisation de la justice par une élite politique et économique corrompue.

En politique, la jeunesse n’est pas gage de qualité et d’efficacité tout comme l’expérience ne prouve pas la compétence et la responsabilité. Ce n’est pas parce que la population malienne est extrêmement jeune qu’il faudra à sa tête un président jeune. Mais c’est aussi parce qu’un certain personnel politique s’est installé, se partage et se réserve les accès aux positions de pouvoir que le Mali s’est effondré à cause de la mauvaise gouvernance, de la privatisation de la justice par une élite politique et économique corrompue et du creusement des inégalités. Si les jeunes veulent donner un nouveau destin au Mali, il leur revient de se montrer à la hauteur de cette ambition. Il ne s’agit pas de vendre sa jeunesse, de prôner un changement des visages mais de démontrer cette capacité de FAIRE , cette volonté de rompre avec ces pratiques irresponsables qui ont transformé un pays indépendant et souverain en un État failli et assisté.

Pour paraphraser Yann Gwet -chroniqueur à Le Monde Afrique- ce Mali « si corrompu et dysfonctionnel est une gérontocratie ». Un pays dirigé par des acteurs du Mouvement démocratique de 1991 qui contrôlent et verrouillent les accès aux ressources politiques et économiques, une mainmise sur ce qui reste de l’État malien, qui leur permet de tenir une certaine jeunesse en laisse. Mais ce qui est abusivement appelé le Mouvement démocratique n’est pas véritablement un groupe homogène en ce sens qu’ils n’ont pas tous été associés à la gestion du pouvoir, le philosophe et ancien ministre de l’éducation, Feu Mamadou Lamine Traoré, ne disait-il pas que « la lutte unit, le pouvoir divise ».

Partant du contexte camerounais, le chroniqueur Y. Gwet analyse qu’« un citoyen camerounais, peu importe son âge, peut être considéré comme “jeune” dès lors qu’il n’a jamais appartenu à aucun des gouvernements de Paul Biya. L’argument politique de la nécessité d’un rajeunissement de l’élite politique demeurera, et la jeunesse biologique rencontrera la jeunesse politique (puisque ceux qu’on peut qualifier de “jeunes” sont nombreux à n’avoir jamais trempé politiquement dans le système Biya), sans pour autant que les “vieux” “compétents” ne soient exclus. »

Ce qui reviendrait à exclure, dans le contexte malien, ces « nouveaux » acteurs politiques qui politisent la question de la jeunesse jusqu’à l’essentialiser dans une certaine mesure. Car, ces acteurs qui tiennent le discours du « renouveau » ont, pour certains, participé à la gestion du pouvoir aux côtes de ceux qu’ils veulent pourtant remplacer. Ce qui est maladroitement appelé « système post-1991 » englobe des réalités bien plus complexes dans la mesure où les uns et les autres qui appellent à sa destruction ont tous participé directement ou indirectement à sa consolidation sinon à son maintien.

« La jeunesse n’est qu’un mot » puisqu’en réalité, selon Pierre Bourdieu, l’un des plus grands sociologues français, « les divisions entre les âges sont arbitraires. La frontière entre jeunesse et vieillesse est dans toutes les sociétés un enjeu de lutte. Dans la division logique entre les jeunes et les vieux, il est question de pouvoir, de division (au sens de partage) des pouvoirs. »

Si au Mali, certains veulent créer un clivage politique autour de cette opposition jeunesse/vieillesse, l’objectif est de conquérir un pouvoir politique, celui du Président de la république en particulier. Donc, l’âge est un argumentaire politique et la question de « l’élite politique doit être traitée comme un problème politique » comme le souligne le chroniqueur camerounais Y. Gwet. Car, « L’âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable ; et que le fait de parler des jeunes comme une unité sociale, d’un groupe constitué, doté d’intérêts communs, et de rapporter ces intérêts à un âge défini biologiquement, constitue déjà une manipulation évidente », rappelle le sociologue P. Bourdieu.

De fait, les stratégies de valorisation ou de dévalorisation du « changement », de la « jeunesse », de « l’expérience », de la « stabilité » ne suffisent pas, sauf qu’à reléguer au second plan le vrai enjeu de cette présidentielle, la bonne gouvernance de laquelle dépend le bien-être des Malien.ne.s. Il est vrai que cette donnée est incontournable, la population est extrêmement jeune, elle est compétente et elle veut le démontrer. Parmi cette jeunesse, certains ont eu à occuper des positions de pouvoir, ils ont pris des risques, ils se sont exposés. Et il ne s’agira pas d’évaluer leur âge mais leur crédibilité et leur efficacité à gérer les affaires publiques. Ont-ils gagné la confiance des populations, ont -ils été à la hauteur de leurs tâches ?

Si d’aucuns entendent politiser leur jeunesse « biologique » et non « politique », ils s’y prennent mal, au fond, ce que voient les Malien.ne.s, ce sont des acteurs assoiffés de pouvoir ne roulant que pour leurs seuls intérêts étroits et égoïstes. Si les jeunes, malgré leur nombre qui doit être leur force, n’arrivent pas à se faire une place dans la République, ils ne sont donc pas prêts ou paraissent-ils aux yeux des citoyens comme des héritiers des mêmes pratiques qui ont conduit le Mali dans le chaos.

Le sociologue allemand Max Weber résume ce qu’on ne peut et ne doit pas faire avec l’âge, « … Je n’ai jamais admis qu’au cours d’une discussion on cherchât à prendre l’avantage en exhibant son acte de naissance (…) Ce n’est pas l’âge qui importe, mais d’abord la souveraine compétence du regard qui sait voir les réalités de la vie sans fard et ensuite la force d’âme qui est capable de les supporter et de sauver d’elles ».

 

Source: mediapart