Celui qui a présidé à la destinée du Mali de novembre 1968 à mars 1991, après avoir renversé le père de l’Indépendance, feu Modibo Keïta, qui décédera dans ses cachots, en mai 1977, a tiré sa révérence, hier matin, à l’âge de 84 ans, des suites d’une longue maladie.

 

Moussa Traoré est entré dans l’histoire du Mali à la faveur du coup d’Etat du 19 novembre 1968. Jeune Lieutenant de 32 ans, il prend la tête d’un Comité militaire de libération nationale (CMLN) composé pour la plupart de Lieutenants comme lui et de quelques capitaines. Les tombeurs de Modibo Kéita affirmaient vouloir restaurer les libertés publiques et individuelles alors confisquées par  » le régime dictatorial de l’US-RDA  » et organiser des élections libres et démocratiques dans un délai de six mois.

Ils instaureront une dictature pire que celle qu’ils dénonçaient. Un régime répressif et sanguinaire sera mis en place, de Novembre 1968 à février 1978. Le CMLN, à la fois organe exécutif et organe législatif, a régné par la terreur durant cette période.

Toute velléité de contestation était réprimée avec une sévérité extrême des militaires, ainsi, le célèbre capitaine Diby Sylas Diarra (qui s’est fait remarquer durant la première rébellion touarègue de 1964) et Jean Bollon ont été arrêtés dès mars 1969 parce qu’ils ont estimé, lors d’une conférence des cadres de l’Armée, que les auteurs du coup d’Etat n’étaient pas représentatifs de l’ensemble de l’Armée malienne et qu’il fallait donc élargir le comité militaire, mis en place, à des cadres militaires plus valeureux. Ils réclamaient aussi la libération de Modibo Kéita et de tous ses camarades emprisonnés. Ils ne réapparaitront plus sur la scène publique.

Les contestataires brimés et soumis à d’impitoyables exactions

Le capitaine Yoro Diakité, qui fut le chef du gouvernement provisoire mis en place après le coup d’Etat de 68, sera lui aussi arrêté, emprisonné jusqu’à ce que mort s’en suive. De même que certains de ses proches. Les syndicalistes, qui réclamaient le retour à une vie constitutionnelle normale, seront enlevés, embastillés, torturés et contraints de chanter l’hymne à la gloire de l’Armée malienne sur les ondes de radio Mali. Les étudiants et élèves contestataires, étaient brimés et soumis à d’impitoyables exactions. C’est ainsi que leur leader de l’époque, Abdoul Karim Camara dit Cabral, étudiant en 4è année de philosophie, décédera sous la torture au Camp des Commandos parachutistes de Djicoroni.

Le père fondateur de la République du Mali, Modibo Kéita, lui-même mourra après neuf longues années de détention dans les camps militaires de Kayes, Kidal, Sikasso, enfin Bamako, des suites probablement d’un empoisonnement. C’était le 16 mai 1977.

 » Des Faucons  » éliminés par Moussa Traoré

Il faudra attendre le 28 février 1978 pour que le prétendu comité militaire de libération nationale vole en éclats. Dans la perspective du retour du pays à  » une vie constitutionnelle normale « , après une décennie de suspension de la constitution de la première République et de toute activité politique, un conflit surgit en son sein. Il oppose, d’un côté, les militaires qui désirent composer avec les civils pour continuer à gouverner le pays au sein de nouvelles institutions constitutionnelles et ceux qui estiment qu’après dix années de gestion exclusive des affaires par les militaires, ceux-là n’avaient plus rien à prouver et qu’ils devaient tous regagner les casernes.

Président du CMLN et Chef de l’Etat, Moussa Traoré était le meneur du premier groupe, celui qui projetait de s’attarder au pouvoir. C’est ainsi qu’il entreprendra d’éliminer ses adversaires qu’une certaine presse a désignés à l’époque sous le sobriquet du clan  » des Faucons « . Il comprenait les Colonels Kissima Doukara, ministre de la Défense, de l’intérieur et de la sécurité, Tiécoro Bagayogo, tout-puissant Directeur général des services de sécurité et bras séculier du régime (c’est lui qui menait toutes les répressions en son nom), Charles Samba Sissoko, alors ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Karim Dembélé, ministre des Transports. Tous seront arrêtés le 28 février 1978, à la suite d’un piège que leur a tendu Moussa Traoré, s’appuyant sur les colonels Youssouf Traoré et Sékou Ly. Arrêtés, bâillonnés et ligotés dans le bureau même de Moussa Traoré, à la Maison du peuple, ils seront tous condamnés à mort à la suite de procès expéditifs, envoyés dans les bagnes de Taoudéni et de Teghargar où ils mourront l’un après l’autre dans des conditions atroces. Les dizaines d’officiers supérieurs de l’armée, de la gendarmerie et de la police, qui ont été arrêtés dans la foulée, seront eux aussi condamnés à de lourdes peines de prison après avoir été radiés des effectifs. La plupart décéderont dans la misère, réduits quasiment à la mendicité.

Débarrassés de leurs adversaires, Moussa Traoré et ses compagnons victorieux vont mettre en place une nouvelle constitution qui donne naissance à  » un parti unique et constitutionnel « . C’est l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM), qui verra le jour le 30 mars 1979. C’est une première en Afrique qu’un parti est à la fois unique et inscrit comme tel dans une constitution pour en faire une institution de la République.

Moussa Traoré entend garder le pouvoir pour lui, sa belle-famille et leurs proches         

La mise en place du nouveau système, ne change fondamentalement pas la nature du régime. Les militaires contrôlent toujours les postes de commande et quelques civils triés sur le volet, souvent dans le proche entourage de Moussa Traoré même, font de la figuration. Le pays s’enfonce dans la misère, la privation, l’absence de libertés publiques et individuelles, l’UDPM est un corset insupportable comme son devancier le CMLN. Les Maliens dans leur grande majorité veulent profiter du vent de la liberté qui souffle sur le monde après l’effondrement du bloc de l’Est européen. Après 20 ans passés au pouvoir, Moussa Traoré entend le garder pour lui, sa belle-famille et leurs proches. Des associations voient le jour, notamment les marcheurs ou les fous de la démocratie et, de façon formelle, le CNID Association qui entreprendront de défier le pouvoir en menant le combat pour la restauration des libertés et de la démocratie à visage découvert.

Elles seront rejointes plus tard par les élèves et étudiants groupés au sein de l’AEEM et les travailleurs organisés au sein de l’UNTM qui amplifieront les manifestions et les grèves. Comme à son habitude, le Général Moussa Traoré réagit par la répression brutale. Elle fera 208 victimes tombées sous les balles des forces de l’ordre, selon un bilan officiel. Pour arrêter le massacre, le saccage des services publics et la destruction des entreprises industrielles, un groupe d’officiers conduit par le Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré s’est résolu à déposer Moussa Traoré dans la nuit du 25 au 26 mars 1991. Au plan économique, l’on retiendra que le régime de Moussa Traoré se sera évertué par le biais d’une  » politique de libéralisation  » à démanteler l’important patrimoine qu’avaient laissé au pays Modibo Kéita et ses collaborateurs après seulement huit ans d’exercice du pouvoir. Ce patrimoine était composé de dizaines d’entreprises industrielles, commerciales, agricoles, touristiques, de transports, etc. Elles procuraient des emplois aux Maliens, généraient des ressources pour l’Etat, et faisaient la fierté du Mali dans le monde.

Abdoulaye DIARRA

Source : l’Indépendant