Le procès tant attendu du Général Amadou Aya Sanogo et coaccusés dans l’affaire de disparition des bérets rouges, qui était prévu pour débuter le lundi 13 janvier 2020, est finalement reporté à une date ultérieure. L’annonce de ce report a été faite à travers un communiqué du Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako, Idrissa Arizo Maïga, rendu public le jeudi dernier. Un report qui surprend plus d’un, ce d’autant plus que les raisons avancées semblent ne pas convaincre nombre de nos compatriotes. Parmi ceux-ci, un praticien de droit, en l’occurrence l’avocat Alassane Diop, qui n’a pas manqué de verser son dossier dans cette affaire en passe de devenir une sorte de « danse de la mort » pour le régime en place. Nous vous proposons donc son analyse qui met en évidence la collision flagrante entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, deux pouvoirs pourtant supposés être indépendants. Lisez plutôt !

 

« Le procès Amadou Aya SANOGO et autres, renvoyé il y a 3 ans pour des motifs procéduraux, il est aujourd’hui reporté sine die sans motif. Tout le monde aura su que quelque chose de totalement ridicule vient de se passer au Mali. D’un tweet malheureux à un communiqué malheureux, serait-on tenté de dire. Quelque chose de banal, un simple communiqué qui frise le déni de justice par la justice elle-même. Une débauche de communication, une condamnation ferme de la situation carcérale des co-accusés qui gardent prison au-delà de tous délais légaux et en violation flagrante des droits de la défense consacrés par la constitution du Mali.

Après avoir engagé des millions de nos francs dans l’organisation pratique de ce procès en termes de logistique, dans les frais de citation d’huissiers et déplacement des témoins et accusés, la projection et le déplacement de la presse nationale et internationale ainsi que des organisations des droits de l’homme, la mise en œuvre des ordonnances de prise de corps et la matérialisation des derniers interrogatoires. Et surtout à quelques heures seulement de l’ouverture de ce grand procès, c’est par un petit communiqué au contenu énigmatique que les litisconsorts apprendront en même temps que le public, le report sine die (ajourner sans fixer une nouvelle date) et sans aucun motif juridique pertinent du procès tant attendu qui devrait s’ouvrir ce lundi (ndlr : 13 janvier).

Il y a 3 ans, le même procès qui se tenait à Sikasso, avait été renvoyé pour des motifs de procédure, notamment la reprise de l’expertise médico-légale qui constituait une pièce essentielle du dossier. Apparemment ce motif a été satisfait comme on a l’habitude de le dire dans le jargon juridique et rien ne s’oppose à la tenue régulière du jugement. Mais le renvoi de l’audience du 13/01/2020 à quelques heures de son ouverture officielle a un quelque chose de combine politique. Si le motif avancé dans le communiqué avait la moindre chance de passer, il revenait aux magistrats composant la Cour d’assises déjà saisit par l’arrêt de renvoi de se prononcer sur une telle demande formulée par le Procureur au terme d’un débat contradictoire tenu en bonne et due forme à l’égard de toutes les parties citées, les co-accusés entendus. Mais non !

Au Mali, on préfère bafouer les règles de forme, le respect des droits des accusés qui ont droit à un procès équitable tenu à bref délai et le droit sacro-saint des parties civiles au nom desquelles la Justice est rendue et qui ont droit, elles aussi, à ce que leur cause soit jugée dans un délai raisonnable.

Dans la parution de Mali Canal.com ci-dessous relative à un entretien sur ce dossier, les mots sont forts. On parle de « rançon de l’imposture », d’un « orgueil démesuré » de « vanité » et « peur du gouvernement ». Sont-ce là les vrais motifs de ce renvoi singulier imposé aux parties à deux doigts de comparaître ? Je m’interroge.

Monsieur le Procureur général près la Cour d’appel de Bamako, Monsieur le Ministre de la Justice, vous le savez déjà, parce qu’élèves du Doyen Carbonnier, la forme en droit n’est que le fond qui remonte à la surface. Elle détermine tout, on gagne et on perd en la forme sans examen au fond. On dit d’ailleurs magnifiquement à ce sujet que « la forme est la rançon du droit ». Veiller au respect scrupuleux des délais imprescriptibles de la détention préventive et au respect du droit d’être jugé lorsque le dossier est en état, sont des servitudes qui pèsent sur chaque citoyen de la République. La raison d’État ne met pas l’Etat, sujet de droit, au-dessus du droit et au mépris des droits d’autres sujets de droit.

Un groupe d’individus à qui on reproche les mêmes crimes commis ensemble, se trouve divisé en deux sous-ensembles, ceux qui sont encore des hommes, libres de leurs mouvements et qui présumés innocents, occupent des fonctions nobles dans la société, et ceux qui ne sont encore que des sous-hommes, qui gardent prison au mépris de la loi même présumés innocents. L’avocat que je suis, ne peut se taire sur une telle discrimination inqualifiable.

Rétablissez l’équité et la justice, libérez-les tous, parce que les gens de la justice que nous sommes, n’avions pas peur de juger. Nous l’avions fait avec les Tiécoro Bagayoko et Kissima Doukara, princes de l’armée malienne d’un autre temps, nous l’avions refait avec Moussa Traore et sa clique comme cela fût dit en son temps. Libérez-les tous si le gouvernement n’a pas le front de regarder son propre reflet dans le miroir. Ayayien! Libérez-les, en attendant un procès digne de ce nom, au nom de la Justice et de la Constitution, loi fondamentale du Mali. La justice du Mali se portera mieux ». Signé Me Alassane Aldior DIOP !

On ne saurait en dire autant, sinon que nous sommes simplement dans un État voyou !

Seydou DIALLO

Source : LE PAYS