Les chefs d’État de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest avaient promis des ‘’mesures fortes’’ ; elles sont tombées à l’issue d’un sommet extraordinaire organisé hier par visioconférence. À l’analyse, il apparaît qu’elles présentent de grandes faiblesses.

 

I-‘’La démission immédiate des 31 députés dont l’élection est contestée y compris le Président du Parlement’’.
Cette mesure enfonce davantage le Président IBK et crée un précédent fâcheux. En effet, l’élection peut être contestée ; mais le contentieux est porté devant le juge constitutionnel qui statue dessus et rend son arrêt. En sortant de ce cadre légal, il est très risqué, sur la base de contestations d’amener des députés à démissionner. C’est une boîte de pandore. La preuve, après la reconnaissance du Collectif des députés spoliés par la Cour Constitutionnelle ; des candidats qui avaient tourné la page des élections législatives, tenant leur sucre d’orge ont vite formé un Collectif dit des députés spoliés par l’administration et par la Cour Constitutionnelle (CODESAC).
Une autre faiblesse de cette mesure, c’est le nombre de députés victimes de l’Arrêt de la Cour constitutionnelle qui est variable selon qu’on est de la CEDEAO ou du Collectif même des députés spoliés. En effet, alors que l’organisation sous régionale a arrêté son décompte à 31 députés spoliés, le Collectif lui-même arrête son compte à 30 députés. La CEDEAO serait-elle alors plus royaliste que le roi ? C’est intrigant.
Dans la série des faiblesses de la mesure prises (pas préconisée), la CEDEAO s’inscrit dans la dynamique des élections partielles.
Mais ce n’est pas ce que demandent les députés spoliés par la Cour constitutionnelle. Ils veulent être remis dans leur droit. En clair, qu’on prenne en compte leurs suffrages, qu’on leur restitue purement et simplement les sièges dont ils ont été spoliés. À défaut, il faudrait dissoudre l’Assemblée nationale et qu’on rebelote. De ce point de vue, la présente mesure ne donne satisfaction ni aux plaignants ni au Gouvernement.
La CEDEAO parle de ‘’démission immédiate’’. En fait, il s’agit de démission sous 72 heures. Donc les députés ‘’persona non grata’’ ont jusqu’à demain mercredi à minuit pour démissionner. Dans de telles conditions contraignantes, la démission n’est alors ni plus ni moins qu’une destitution des députés.
Au niveau de cette première mesure, on peut lire : ‘’la Majorité Présidentielle devra mettre tout en œuvre pour obtenir cette démission qui ouvrira la voie à des élections partielles’’. Il y a quand même là une stigmatisation de la Majorité présidentielle. La CEDEAO laisse croire que seule la Majorité présidentielle a profité de la magnanimité de la Cour constitutionnelle. Les faits sont sans équivoque. À Sikasso, c’est la liste RPM, CODEM, URD qui a été élue. L’URD n’est pas de la Majorité présidentielle. À Mopti, c’est la liste ADEMA, URD, RPM qui a gagné. Là encore, il y a l’URD qui est de l’Opposition républicaine et démocratique. À Tenenkou, c’est la liste RPM, URD qui a été élue. En interpellant de la sorte la Majorité présidentielle, la CEDEAO ne fait que mettre de l’huile sur le feu. C’est le grand n’importe quoi.
La CEDEAO donne 3 jours aux 31 députés contestés y compris le Président de l’Assemblée nationale. Mais, celui-ci est élu pour 5 ans. Aussi, autant la Constitution ne prévoit pas la démission du Président de la République, autant le Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale ne prévoit pas la démission du Président de l’Institution parlementaire.
C’est le lieu de rappeler que le Mali a toujours été le terrain de prédilection des missions d’observations électorales de la CEDEAO. Lors des élections législatives de mars-avril 2020, sa mission d’observation était bel et bien présente au Mali. Pourtant, elle n’a pas publié un rapport qui laissait croire qu’il fallait reprendre les élections dans les circonscriptions où les résultats sont contestés.

II- Une recomposition rapide de la Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions constitutionnelles du Mali.
À ce niveau également, la CEDEAO se plante, en faisant manifestement une fixation sur les députés contestés qui doivent retourner à la case des partielles. ‘’Le Parlement proposera ses représentants après la démission des 31 membres dont l’élection est contestée’’. Ce n’est pas de la fixation ça ?
Mais, là où l’organisation sous-régionale se plante vraiment, c’est en suggérant au Président de la République de recourir à l’article 50 de la Constitution du 25 Février 1992 qui dispose : ‘’lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances, après consultation du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée nationale et du Haut Conseil des Collectivités ainsi que de la Cour constitutionnelle.
Il en informe la nation par un message.
L’application de ces pouvoirs exceptionnels par le président de la République ne doit en aucun cas compromettre la souveraineté nationale ni l’intégrité territoriale.
Les pouvoirs exceptionnels doivent viser à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement dans les brefs délais du fonctionnement régulier des institutions conformément à la Constitution.
L’Assemblée nationale se réunit de plein droit et ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels’’.
Il faut noter : ‘’le président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances, après consultation du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée nationale et du Haut Conseil des Collectivités ainsi que de la Cour constitutionnelle’’. Dans le schéma de la CEDEAO, il faut dégommer le Président de l’Assemblée nationale et le décret de nomination des membres de la Cour constitutionnelle est abrogé. Sur quelle base le Président pourrait-il actionner l’article 50 ? Aucune. La CEDEAO, à ce niveau, serait mieux inspirée de confier la désignation des 3 membres de la Cour constitutionnelle au Bureau de l’Assemblée nationale.

III- ‘’La mise en place rapide d’un Gouvernement d’union nationale
’La mise en place rapide d’un Gouvernement d’union nationale avec la participation de l’opposition et de la Société civile. (…) Compte tenu des nombreux défis auxquels fait face le pays, certains membres du Gouvernement pourront être nommés avant la formation du Gouvernement d’union nationale. Il s’agit de ceux en charge de la Défense, la Justice, les Affaires Etrangères, la Sécurité intérieure et les Finances’’.
On y est, un Gouvernement en pièces détachées, après plus d’un mois d’attente. Ce Gouvernement a minima présente des faiblesses. Comment pour un pays à vocation agro-sylvo-pastoral, on peut se permettre de former un Gouvernement sans ministre de l’Agriculture ni ministre de l’Élevage ? Comment en pleine crise de Maladie à Coronavirus, peut-on former un Gouvernement sans ministre de la Santé ?

IV- La mise en place d’un Comité de Suivi de toutes les mesures ci-dessus prises qui comprendra des représentants du Gouvernement, du Parlement, de la Société civile, de la Magistrature, du M5-RFP, des femmes et des jeunes, avec la participation de l’Union Africaine et des Nations Unies, sous la présidence de la CEDEAO.
Dans l’incapacité de se mettre d’accord sur l’essentiel, voici à présent le peuple digne, debout du Mali qui doit se résigner face à sa mise sous tutelle de la CEDEAO. Le commandant en chef du Comité de Suivi de toutes les mesures ci-dessus prises. Il ne serait pas surprenant que des Maliens qui disent aimer le Mali applaudissent des deux mains, cette nouvelle caution morale qui n’est en réalité que l’expression de la pire forme d’humiliation pour un peuple qui a connu la gloire, la renommée.

PAR BERTIN DAKOUO

Source : INFO-MATIN