L’affaire des 400 millions de F CFA dont votre bihebdomadaire a donné la primaire, il y a de cela deux mois, a bien atterri sur la table du Procureur anti-corruption, après son passage au niveau de l’Autorité de régulation des marchés publics et des délégations de services publics (ARMDS). Voilà toute la raison qui a fait courir Me Baber Gano, le principal suspect « de perception de l’indu« , pour figurer dans le nouveau gouvernement.

 

Le cabinet Me Baber Gano est lié par un contrat d’assistance judiciaire signé en avril 215 avec une grande structure étatique agricole dans la région de Ségou. Ses prestations sont rémunérées à 15 millions de F CFA par an. Mais au-delà de ses honoraires contractuels, ce qui fait aujourd’hui l’objet de scandale, est le paiement de 400 millions de F CFA au cabinet Me Gano en 2017 (deux ans après son entrée comme conseil juridique de la société en question, un contrat détenu initialement par son confrère et doyen, Me Amidou Diabaté).

Depuis lors, un puissant syndicat de l’entreprise « cocontractante » a dénoncé l’affaire qu’il a portée devant l’ARMDS et le Pôle économique et financier de Bamako. Ce qui a suscité beaucoup de doute sur la personne de Me Baber Gano, secrétaire général du RPM (le parti au pouvoir) et nommé ministre de l’Intégration africaine, depuis le 30 mai 2019 dans le gouvernement de Dr. Boubou Cissé.

Au moment où le Procureur Mahamadou Bandiougou Diawara (nommé substitut du procureur à la Cour d’appel de Bamako aux mutations survenues le mardi dernier) était en train d’enclencher la procédure d’instruction, son décret de nomination est tombé comme par enchantement.

Dans une analyse objective, les 400 millions de F CFA, payés dans des conditions jugées de douteuses, sont trop gros pour être pris dans le contexte d’un simple contrat d’assistance judiciaire. La partie contractante et qui a délié le cordon de la bourse a été entendue au niveau de l’AMRDS et du Pôle économique et financier. Elle a justifié la sortie d’argent comme étant des ristournes payées sur des interventions du cabinet Me Gano dans un contentieux relatif au règlement à l’amiable d’une affaire d’apurement d’impayés des impôts d’un montant de 3,5 milliards de F CFA et de cotisations INPS d’environ 379 millions de F CFA.

Cette explication jugée de « sommaire » et de « prétexte fallacieux » a été balayée d’un revers de la main, dans le rapport du président de l’ARMDS, Dr. Alassane Ba et mise en doute par le Procureur anti-corruption sortant, Diawara. Pour la simple raison que ce travail entre dans le cadre normal de ses obligations contractuelles et que des ristournes d’un tel montant ne sauraient être appliquées dans ce contexte précis.

Motivé par ces incohérences sur fond de corruption et de trafic d’influence, le Procureur d’alors avait saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats pour entendre Me Baber Gano. Mais entre l’accord de principe du bâtonnier et la convocation du suspect du délit de corruption, est intervenue la mise en place du nouveau gouvernement où il figure désormais.

La procédure de mise en cause des ministres, même pour des faits commis en dehors de leurs fonctions n’est pas un long fleuve tranquille dans la législation malienne. Il faut obligatoirement la prise d’un décret du gouvernement et le dossier est jugé par la Haute Cour de Justice et non une juridiction ordinaire. La procédure est des plus complexes et peut prendre une éternité.

« Parapluie juridique »

L’article 95 de la Constitution de février 1992 stipule, « la Haute Cour de Justice est compétente pour juger le Président de la République et les ministres mis en accusation devant elle par l’Assemblée nationale pour haute trahison ou à raison des faits qualifiés de délits ou crimes commis dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’Etat. Il est écrit un peu plus loin, « la mise en accusation est votée par scrutin public à la majorité des 2/3 des députés composant l’Assemblée nationale » […]. « La Haute Cour de Justice est liée par la définition des crimes et délits et par la détermination des peines résultant des lois pénales en vigueur à l’époque des faits compris dans la poursuite ».

L’article 613 du code de procédure pénale malien est explicite en la matière. « Les ministres susceptibles d’être inculpés à raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leurs complices de complot contre la sûreté intérieure de l’Etat sont justiciables devant la Haute Cour de Justice dans les formes et conditions définies par la loi fixant la composition, les règles de fonctionnement de la Haute Cour de Justice et la procédure suivie devant elle ».

Ainsi, vu les dispositions de l’article 613 du code de procédure pénale malien, la lutte contre la corruption ou l’enrichissement illicite contre certaines catégories de citoyens relève de l’utopie au Mali.

Très au parfum de cette question de droit (relative à la mise en accusation des ministres) dont il peut tirer profit à son corps défendant, Me Gano a vite fait de s’envelopper de ce « parapluie juridique » sachant que même si la procédure judiciaire est lancée contre sa personne, cela va prendre beaucoup de temps avant d’être bouclée et n’aura peut-être pas la chance d’aboutir devant une Assemblée nationale où son parti (le RPM) est majoritaire. C’est pourquoi, fort de sa position de ministre, il a même eu le toupet de donner de la voix, deux mois après l’éclatement du sulfureux dossier, sous le couvert de son cabinet, se fendant d’un droit de réponse dilué en communiqué de presse. Il a profité de l’occasion pour s’en prendre à des adversaires politiques, notamment l’ancien Premier ministre et président de l’Asma-CFP, Soumeylou Boubèye Maïga et un fonctionnaire assermenté, le président de l’ARMDS, Dr. Alassane Ba, d’être derrière tout ce qu’il appelle « cabale », qui a été écrit contre lui sur les réseaux sociaux.

Ce que Me Baber Gano oublie, l’affaire est malgré tout loin d’être classée sans suite. Il est susceptible d’être  poursuivi à tout moment. Les crimes économiques ou d’atteinte aux biens publics ont un délai de prescription de 10 ans. Son sort reste lié à une simple volonté politique.

Wait and see.

Abdrahamane Dicko

30minutes