Au Mali, la junte a bien réussi à imposer sa mainmise sur le pouvoir et à instaurer une transition largement militaire.

Une observation attentive de la scène politique malienne, depuis le renversement d’Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) et le début de la transition, laisse apparaître une forte militarisation du pouvoir. Une conséquence majeure de celle-ci, déjà d’ailleurs observable, est la perte de vue progressive de l’impératif sécuritaire au profit de l’exercice politique par ceux-là même qui sont censés le garantir.

La situation est davantage problématique pour l’armée malienne dont l’objectif de construction (ou reconstruction) – avec l’aide des partenaires internationaux du Mali, notamment à travers le programme EUTM – se heurte à la volonté d’exercice des fonctions éminemment politiques par les militaires.

L’excessive militarisation du pouvoir politique pourrait trouver son explication dans le fait que, hormis les 5 principaux membres du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), une pléthore de membres de l’ombre attendaient à leur tour d’être rétribués. Les deux défis pour les militaires, difficilement conciliables, consiste à la fois à accomplir leurs nouvelles fonctions politiques tout en restant focalisés sur la lutte contre l’instabilité sécuritaire : la situation à Farabougou en est une illustration. De plus, on observe une intensification des attaques des groupes armés, particulièrement dans les régions de Ségou et de Mopti, visant à la fois les FAMa, les forces françaises de l’opération Barkhane et la mission de l’ONU (Minusma).

« Flou »

La nécessité de « comprendre l’armée en tant qu’institution mais aussi et surtout en tant qu’acteur politique aux intérêts, calculs et actions propres » s’impose fortement dans l’analyse des actions du CNSP. Le stratagème a notamment consisté à prévoir dans la Charte de la transition la création d’un poste de vice-président « taillé sur mesure » pour le chef de l’ex-junte, colonel Assimi Goïta. Avant qu’elle ne renonce définitivement aux sanctions, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a exigé et obtenu des nouvelles autorités l’impossibilité pour le vice-président de remplacer le président de transition en cas d’empêchement.

La version définitive de la Charte de la transition précise également que le vice-président n’est chargé que des questions de défense et de sécurité. Mais certains agissements, ci-dessous évoqués, jettent le flou sur les attributions et les actions réelles du vice-président dans l’organigramme exécutif.

Hormis la vice-présidence de la transition détenue par le colonel Assimi Goïta, les quatre autres membres du CNSP détiennent tous des postes clés dans le gouvernement et dans l’appareil législatif.

Profusion des militaires aux postes clés de l’État

Depuis le début de la transition, nous constatons de multiples nominations des militaires à des postes éminemment politiques et au plus haut niveau de l’État. Une grande partie des postes de chargés de missions et conseillers techniques des différents ministères sont désormais occupés par les militaires. Treize parmi les 20 nouveaux gouverneurs de régions, nommés par le gouvernement de transition, sont des militaires.

Le 10 novembre 2020, le ministre de l’administration territoriale, lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga, avait adressé une lettre officielle aux secrétaires généraux des deux principaux syndicats des administrateurs civils : le syndicat autonome des administrateurs civils (SYNAC) et le syndicat libre des travailleurs du ministère de l’Administration territoriale (SYLTMAT). Ils étaient saisis par le ministre pour être avertis du projet de décret portant modification du décret N°2015-0067/PRM du 13 février 2015 fixant les conditions de nomination et les attributions des chefs de circonscription administrative.

Il s’agissait, concrètement pour le pouvoir, d’élargir les conditions de nomination des préfets et sous-préfets – postes dévolus de droit aux administrateurs civils – aux membres des forces armées et de sécurité. Dès le 11 novembre, un décret du Conseil des ministres nommait un militaire au poste de préfet de Niono et consacrait, subséquemment, l’instauration d’un conflit social entre le pouvoir de transition et les administrateurs civils restés longtemps en grève.

On peut s’apercevoir que les postes qui semblent être les plus importants de la transition sont désormais détenus par les militaires. Parmi ceux-ci, on compte le ministère de l’Administration territoriale, en charge de l’organisation des prochaines élections générales et le Conseil national de transition (CNT), qui a pour fonction de légiférer et qui est composé de 121 représentants, tous désignés par le colonel Assimi Goïta.

« Éternel recommencement »

On voit donc bien que, contrairement aux efforts de la Cedeao et d’autres partenaires internationaux du Mali, la junte a bien réussi à imposer sa mainmise sur le pouvoir, et à instaurer une transition largement militaire. Pourtant, comme le mentionne l’écrivain Florent Couao Zotti, « la plupart des pays où les militaires ont interrompu les processus politiques n’ont jamais été exemplaires […] Les militaires reprochent aux civils d’avoir « bordélisé » la République mais quand ils arrivent au pouvoir ils font la même chose, ils s’accrochent au pouvoir et c’est l’éternel recommencement ».

Nous pouvons estimer, compte tenu des différents éléments présentés, que les militaires du CNSP ambitionneraient également de peser sur les prochaines élections. La nomination des gouverneurs militaires (représentants de l’exécutif dans les régions), combinée à la mainmise des militaires sur le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (l’organisateur des élections), démontre à quel point ils détiennent désormais tous les pouvoirs nécessaires pour peser sur les élections générales à venir.

 

Source: benbere