Jusqu’à une date récente, le Malien avait de la dignité à revendre. Ce qui fait que nos dirigeants, quels que soient ce que les Maliens peuvent leur reprocher, ont toujours donné du fil à retordre aux présidents français de leur époque.Ainsi, le président Alpha Oumar Konaré a-t-il refusé de rencontrer Jacques Chirac à Dakar, au Sénégal, pour manifester son désaccord contre ce qu’il a appelé «la convocation des élèves par leur maître».

Et jusqu’à sa chute le 22 mars 2012, le président Amadou Toumani Touré n’a pas cédé aux menaces et à la pression de la France de Nicolas Sarkozy pour signer un accord de réadmission de nos émigrés avec l’ancienne puissance coloniale. Il avait posé ses conditions pour signer tout document sur la migration entre nos deux pays. C’est d’ailleurs l’une des raisons fondamentales de la rébellion touareg dont la gestion a entraîné sa chute à quelques semaines de la fin de son mandat.

Le général Moussa Traoré avait clairement manifesté son opposition au discours de la Baule de François Mitterrand imposant à l’Afrique une démocratie inadaptée à nos réalités sociopolitiques, économiques et culturelles. Il ne pouvait pas concevoir la démocratie comme une camisole de force qu’on impose à des Etats souverains. Même si son « entêtement » lui a valu d’être balayé par le « Vent de l’Est » sous forme d’une insurrection populaire sous les tropiques.

Le président Modibo Keïta pouvait aussi regarder le général de Gaule dans les yeux et lui dire son opinion. On comprend alors aisément qu’au-delà de l’hypocrisie diplomatique, le Mali ait toujours été le malaimé de la France. Ainsi, avons-nous toutes les raisons de croire que la rébellion armée par l’Hexagone et le processus de paix d’Alger ont offert à cette puissance impérialiste l’opportunité de prendre une revanche historique sur un peuple rebelle depuis la conquête coloniale.

C’est à la faveur de la crise qui secoue le Mali depuis janvier 2012 que la France a véritablement signé son retour triomphal avec notamment la signature de l’Accord de défense et de plusieurs conventions dans le domaine économique au grand désavantage du Mali.

Aujourd’hui, la communauté internationale (une expression désignant de façon imprécise un ensemble d’Etats influents en matière de politique internationale) offre à l’Elysée et à son Quai d’Orsay un bouclier confortable pour enfin dépecer « L’Hippopotame » (signification du nom MALI en bambara ou malinké), pardon, de morceler le Mali afin de l’avoir entièrement et éternellement à sa merci. Le projet de redécoupage administratif (devenu un avant-projet suite aux mouvements de protestation) est la plus récente traduction de cette volonté de diviser notre pays entre « Blancs » et « Noirs », entre le Nord et le Sud, pour caricaturer.

Difficile de dissocier ce projet de partition du pays du «Pacte pour la paix au Mali» signé le 15 octobre 2018 entre le gouvernement et les Nations unies en vue de donner un nouveau souffle à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger.

«Ne faisons pas dire à l’Accord de paix ce qu’il n’a pas dit… Il traite du fond de nos problèmes et non de l’écume de nos égoïsmes personnels», a rappelé l’ancien Premier ministre Moussa Mara dans une tribune publiée la semaine dernière.

En effet, comme il le prouve si bien, l’Accord évoque les pouvoirs et compétences des régions (article 8). Il traite de la question des moyens et des ressources à donner aux régions (articles 13, 14, 15). Son article 16 aborde le dispositif des transferts des services et des ressources humaines (dossier inscrit il y a quelques mois à l’ordre du jour d’un conseil des ministres et retiré ensuite).

La cendre de « Antè Abana, touche pas à la Constitution » est toujours chaude

Et même si tel était d’ailleurs le cas, les praticiens du droit ne disent-ils pas qu’il faut faire la part des choses entre la loi et son esprit ? Le rôle d’un juge, c’est justement de contrebalancer la Lettre de la Loi par l’Esprit de la Loi pour que «la justice soit la plus équitable possible».

La lecture littérale des textes peut non seulement conduire à des aberrations mais aussi et surtout peut modifier dans le mauvais sens les rapports entre les hommes (méfiance, hypocrisie, mensonge, cupidité…), les institutions, voire la rupture définitive entre un régime et le peuple. L’Esprit d’une Loi, d’un Accord, d’un Traité ou d’un Pacte ne doit pas être occulté car il est le symbole de la Justice et de l’Equité, donc facteur de stabilité sociopolitique !

Par cette initiative inopportune et moins pertinente, le gouvernement rouvre la boîte de pandore refermée de justesse en renonçant au projet de révision constitutionnelle. Si la présidentielle de juillet et août 2018 semble avoir divisé profondément les acteurs du Mouvement « Antè Abana, touche pas à ma Constitution », le président IBK et son stratège politique, Soumeylou Boubèye Maïga, doivent comprendre que la cendre est encore chaude pour pouvoir rallumer le flambeau de la révolte populaire contre la partition du pays.

Le ton est déjà donné par la création de la Coalition des forces patriotiques (COFOP) dont certains initiateurs sont de la mouvance présidentielle car représentés au gouvernement actuel. Une alliance qui a entrepris de consulter l’ensemble des forces vives de la nation pour ratisser large. Ainsi, après les magistrats grévistes, la COFOP a-t-elle rencontré la CSTM, l’UNTM et le Patronat. Et plusieurs rencontres sont également prévues avec les partis, les syndicats, les associations et mouvements prêts à «s’engager dans le combat contre le mépris des autorités face au peuple souverain». D’ailleurs, la coalition est en train de donner également la parole aux citoyens, «seules victimes des agissements hasardeux du régime».

Même si, pour l’instant, rien n’a filtré officiellement de cette série de rencontres, certaines indiscrétions annoncent un front commun pour la sauvegarde des droits fondamentaux en souffrance comme l’éducation, la santé, la justice, le bien-être social, la sécurité dans tous ses aspects.

La prorogation du mandat des députés et le projet de découpage unilatéral du gouvernement semblent être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

D’ores et déjà, plusieurs associations et mouvements qui ont fait leur preuve lors de la lutte contre la révision constitutionnelle avortée sont visiblement séduits par le combat de la coalition. Comme le disait le week-end dernier un jeune confrère sur les réseaux sociaux, «les jours prochains s’annoncent donc décisifs pour les patriotes qui fourbissent leurs armes lentement mais sûrement».

Les marches et les meetings de protestation du week-end dernier à Bamako et dans la diaspora malienne, à Paris notamment, prouvent la détermination des animateurs de ce nouveau front à en découdre avec un régime qui aurait dû d’abord œuvrer à conforter sa légitimé nationale !

 

Source: Le Matin