Beaucoup de Maliens ont été surpris de découvrir l’existence de groupes de personnes faisant outrage à la foi d’autrui. C’est la première fois que le Mali fait l’expérience de poursuites judiciaires en matière de blasphème. Dans ce contexte, le vendredi dernier, des milliers de musulmans ont pris part à un rassemblement à Bamako pour dénoncer des propos blasphématoires contre l’islam.

Avant ce rassemblement, Mama Dembélé, le coupable, dans une vidéo, a profané le Coran, le livre saint des musulmans, et tenu des propos injurieux contre plusieurs symboles de la croyance des musulmans. Le jeune homme qui se dit Kamite appartient à un courant de pensée afro centré. L’auteur du blasphème est en fuite est l’homme le plus recherché du Mali depuis la diffusion de sa vidéo. Il est à la fois recherché par les forces de sécurité et les fidèles musulmans.

La vidéo a provoqué la colère des oulémas du Mali. Cherif Ousmane Madani Haïdara, le président du Haut conseil islamique, a vivement dénoncé l’acte en invitant les autorités à prendre les mesures qui s’imposent pour punir l’auteur du blasphème et ses complices. Il a d’ailleurs porté plainte contre l’écrivain Doumby Fakoly Doumbia, considéré par beaucoup comme le père spirituel des Kamites.

A en croire le leader du Haut conseil islamique, Doumby Fakoly Doumbia a apporté son soutien au jeune Mohamed Dembélé. Haïdara a expliqué qu’il suit de près l’évolution du dossier que le ministre des Cultes et des Affaires religieuses a promis de punir. Aux dernières nouvelles, Doumby Fakoly et 5 autres personnes ont été mis sous mandat de dépôt par le procureur de la République près la commune IV du district de Bamako. Selon les textes, le blasphème n’est pas autorisé au Mali et aucun texte ne permet à quelqu’un de s’en prendre à la croyance d’autrui.

L’acte du jeune Mohamed Dembélé a également provoqué la colère de l’imam Mahmoud Dicko, l’ancien président du Haut conseil islamique et influent leader de la communauté sunnité du Mali. Ce dernier a lancé un appel à la mobilisation à la veille du rassemblement qui a eu lieu à la place de l’indépendance le vendredi dernier. Pour l’imam Dicko, tous les musulmans du Mali devraient témoigner de leur colère contre l’acte grave commis contre l’islam et dont les conséquences pourraient être graves pour le pays.

Le blasphème prend son sens à travers ce qu’il reflète du point de vue religieux et de l’état politique du pays où il est davantage une hérésie ou bien une atteinte à l’ordre public. Dans l’intervention au nom de l’ordre public, l’accusation de blasphème relève de l’interdiction de la liberté d’expression et constitue un instrument du pouvoir politique.

Le blasphème, un délit

Beaucoup d’idéologies, qu’elles soient religieuses ou non, conduisent à délimiter un domaine sacré exclusif du domaine profané. La protection de ce domaine sacré se caractérise par un système d’interdits. Par rapport à ces interdits, la société, lorsqu’il s’agit d’une société théocratique, peut intervenir pour « protéger Dieu » ou pour « protéger les pratiquants ». Dans une société nationaliste où la nation est au cœur de l’idéologie, c’est par exemple le « drapeau » ou l’hymne national qui sera sacralisé. On diabolise dans ce cas le « délit d’outrage au drapeau ou à l’hymne national ». Dans les États à religion officielle, lorsque le fait religieux est au centre fondateur de la société, la loi protège la religion.

Dans ce contexte, le blasphème peut être un délit, parce qu’il s’attaque au fondement même de l’ordre social. Lorsque l’État ne se fonde pas ou plus sur la religion mais sur un droit non divin, le blasphème peut constituer un préjudice pour les fidèles en tant que citoyens protégés par la loi qui les autorise à posséder leurs propres croyances. Le blasphème peut engager la responsabilité civile de celui qui le profère, lequel peut se trouver condamné s’il contrevient au droit de libre croyance.

Un blasphème n’est tel que de la part d’un membre de la communauté religieuse concernée qui ne se soumet pas aux règles et croyances d’une religion qu’il ne respecte pas. Venant de l’extérieur, les propos irrespectueux ne peuvent atteindre les croyants ni leur foi s’ils émanent de quelqu’un qui ne partage pas cette même foi. C’est pourquoi, il est impossible pour le droit de définir le blasphème. Ce dernier ne se comprend que de l’intérieur, au sein d’une religion et d’une croyance, et d’une communauté religieuse. En dehors d’elles, l’idée même de blasphème est difficilement perceptible par les non-croyants.

Un blasphème conscient trahirait, aux yeux des institutions religieuses, une volonté d’agression délibérée, un rejet de l’« autre » et de ses valeurs. À ce titre, un État théocratique peut être conduit à lutter contre le blasphème, tandis qu’un État laïc peut le sanctionner, mais indépendamment de toute considération religieuse, afin de préserver la paix sociale si nécessaire. La prévention du blasphème tend à la mise en place d’une censure dans les États théocratiques ou nationalistes. Selon ses défenseurs, « la liberté de conscience implique la liberté d’expression. Chacun est donc libre de s’exprimer, y compris sur des sujets religieux ». Ce principe conduit les laïques à considérer que la liberté, de pensée ou d’expression, est absolue ou elle n’est pas.

Nampaga KONE

Source: La Preuve