L’harmattan a fini par mettre de l’eau dans son vin. Ce vent chaud et sec, qui souffle de l’est et du nord-est sur le Sahara et l’Afrique occidentale, très chaud le jour, plus froid la nuit, très sec et, le plus souvent, chargé de poussière. D’habitude, cet alizé continental souffle depuis janvier. Le changement climatique est passé par là. En ce début de soirée, la poussière reste encore suspendue au-dessus des têtes. Bientôt, les moustiques passeront à l’offensive. Têtus comme des mules, ils sont insensibles aux produits anti-moustiques que les membres du ‘grin’ ont l’habitude de se procurer auprès du boutiquier d’à côté.

 

C’est dans cette atmosphère de promiscuité avec les culicidés que le ‘grin s’est, de nouveau, installé au bout de la rue, dans le quartier bouillant de Magnambougou. Les nerfs sont à vif, en cette fin de journée. Il n’y a pas plus de cinq membres de ce groupe, tant connu des passants de cette petite voie, récemment aménagée par la municipalité, reliant le marché de ce quartier populaire à l’Avenue de l’OUA. Le fourneau rempli de braises incandescentes au bon milieu du ‘grin’. Un parfum léger de thé en ébullition s’échappe de la théière par le couvercle et le bec.

L’arrestation du désormais tristement célèbre prêcheur enflamme le débat. L’information de son transfert vers la Maison d’arrêt vient de tomber. Le tout Bamako en parle : Bandiougou Doumbia est arrêté pour avoir fait allégeance aux chefs terroristes. Le ‘grin’, en ébullition, en fait ses choux gras. Les réseaux sociaux s’enflamment. Les internautes n’ont de débit que pour ce sujet. De quoi s’agit-il au juste ? Pour faire court, un marabout à la réputation sulfureuse se donne la mission de venir au secours de familles menacées de déguerpissement. Un projet de construction de logements sociaux est prévu sur le site.

Les habitants de cette portion de terre étaient à mille lieux de croire que ce prêcheur allait commettre l’irréparable. Devant le micro de quelques hommes de médias, le religieux, tout à l’ivresse de la parole, s’en est donné à cœur joie. « Au commencement était le verbe », disent les Ecritures saintes. Dans notre culture, les sages enseignent qu’il faut remuer sept fois la langue dans la bouche avant de parler. « La parole est plus dangereuse que l’épée », disent d’autres. Les sages bouddhistes préconisent carrément le silence.

MANU MILITARI. Visiblement débordé par son énergie, le prêcheur a déserté la mosquée pour se découvrir un talent de justicier. Une concurrence déloyale à l’opposition politique. Haranguant sa foule, il déclara être d’avis avec les terroristes qui tuent, de sang froid, nos braves soldats. Il ne se contenta pas d’insulter le président de la République et sa famille mais alla jusqu’à inciter à la violence contre les institutions. Les âmes sensibles ne peuvent écouter la déclaration incendiaire, d’une rare violence verbale et d’une telle intensité, dont il s’est rendu coupable..

« Il est déjà transféré à la prison centrale », lance Madou qui fait le thé. De son domicile, Il y aurait été conduit manu militari. Les talibés qui s’y sont opposés sont également embarqués par la Brigade d’investigation judiciaire. “Mêmes les poules n’ont pas été épargnées”, exagère le jeune homme qui commença à servir l’infusion. Il a mis du cœur dans sa préparation. La mousse déborde du verre. Avec le thé vert chinois, il a atteint le sommet de son art. Madou, pourtant critique virulent du régime d’IBK, admet que le prêcheur a “dépassé les limites”.  Le doyen du ‘grin’ lui arrache la parole d’autorité pour dire combien sa déception fut grande lorsque, sur son smartphone, il visionna la vidéo du prêcheur. “Il est connu pour être un gueulard mais de là à soutenir un criminel, un djihadiste, un terroriste… C’est vraiment abuser”, renchérit le doyen enfoncé dans sa chaise.

Il bondit de son siège et lança que le fils de son meilleur ami est tombé dans une récente attaque de terroristes dans le Centre du Mali. “Regardez-moi ça !”, vociféra-t-il, tout en allumant une mèche de cigarette qu’il coinça entre ses lèvres, d’un geste éclair. Un autre fit remarquer que les membres de la famille voisine à celle de ses beaux-parents sont encore inconsolables après l’attaque de Boulkeissi qui fut fatale à leur benjamin. “Quel est le Malien qui n’a pas perdu un frère, un cousin, un ami ou une simple connaissance dans une attaque terroriste ?”, s’emporte le jeune Madou.

Ablo n’a dit mot depuis le début de la soirée. Il navigue sur la toile. Facebook lui prend le plus clair de son temps. Il glisse, sans arrêt, ses deux pouces sur l’écran tactile de son smartphone bon marché. Il partagea avec les autres les dernières nouvelles de la communauté virtuelle. Il donna lecture d’un post sarcastique : “un nouvel imam est désigné pour la prison centrale de Bamako”. Un bloggeur bien connu recommande que le prévenu soit traité sur un pied d’égalité que les autres. “Dura lex Sed lex (la loi est dure mais c’est la loi)”. L’auteur fait référence à la recentre rencontre du Haut conseil islamique qui s’est réuni autour du sujet. Cette association de leaders musulmans reconnait que le prêcheur a commis une faute lourde. Toutefois, elle sollicite la clémence de la justice.

Pour le tenant du poste de thé, cette énième interférence de ce regroupement religieux dans les dossiers pendants devant la justice n’est plus acceptable. “Il doit rester en prison”, tranche son voisin de chaise. Celui-ci argumente sa position : ” Ce pseudo marabout n’est pas à son coup d’essai. Sous ATT, il s’est fait une réputation en insultant père et mère le président de la République. Le régime de l’époque ne lui a rien fait. Après, il s’en est pris à Ras Bath. Aujourd’hui, il se permet de faire allégeance publiquement à un chef terroriste. Trop c’est trop !”.

MASSACRES – Madou ne décolère pas contre le prêcheur. Il jura qu’il lui administrerait une gifle qu’il n’oubliera pas, si de tels propos avaient été tenus en sa présence. Mais hélas ! “Tous les jours que Dieu fait, nous apprenons la mort de militaires que nous connaissons. Ils sont généralement jeunes. Fauchés par des tirs ennemis, ils perdent la vie en défendant notre pays. Et ces massacres de civils ? Oh mon Dieu ! Et dire qu’il y a encore des Maliens qui les soutiennent, je n’en reviens pas !”, éructe Madou, d’un ton d’adjudant.

A l’autre extrémité de la gigantesque ville de Bamako, le même sujet passionne des gens dans un garage d’automobiles usagés. C’était la veille. Une demi miche de pain dans la main gauche, cet homme chauve et moustachu défend que le marabout mérite la guillotine. Selon lui, le marabout ne s’est pas contenté de soutenir les terroristes. Il a poussé la hardiesse jusqu’à donner la formule de fabrication d’une bombe artisanale. “Il n’a pas raison aujourd’hui, il n’a pas raison demain”, tranche l’homme qui avale dans ménagement son sandwich.

Le jeune mécanicien est d’avis qu’il lui soit infligé une bonne correction. En revanche, l’idée de la guillotine n’a pas rencontré son assentiment. Le pardon est toujours possible, de son point de vue. C’est d’ailleurs ce que les groupements religieux recommandent, après avoir reconnu que le prêcheur a vraiment fauté. “Tous ceux qui soutiennent le prêcheur n’aiment pas ce pays”, charge à nouveau l’orateur qui prétend que le marabout est son “petit”.

Le chauffeur de taxi qui vient dépanner son tacot s’est dit dépassé par la teneur du propos. “Il est vraiment temps que les hommes de Dieu se contentent de prêcher la bonne parole et éviter de jouer aux faux justiciers. En tout cas, c’est mon avis. A en croire la radio, Bandiougou fera un bon bout de temps en prison”, dégoise le chauffeur de taxi, avec une once de provocation.

LA TOILE S’ENFLAMME – Aux dernières nouvelles, l’intéressé médite sur son sort dans une des cinq chambres de la Maison centrale d’arrêt. Bandiougou Doumbia regrette ses propos, selon un utilisateur des réseaux sociaux qui ajoute que le Haut conseil islamique du Mali demande sa libération. C’est encore Ablo, ce mordu d’internet qui découvre le post résumant parfaitement la situation. “Auteur de propos qualifiables, d’apologie du terrorisme et d’incitation à la violence, le prêcheur Bandiougou Doumbia est incarcéré pour ces faits en attendant son procès. Le Haut conseil islamique du Mali (HCIM) a plaidé ce 19 février pour la libération de son membre”, écrit l’auteur du tweet.

Il poursuit, en rappelant, que Bandiougou Doumbia était déjà connu pour la virulence de ses interventions. Mais la semaine dernière, il s’est exprimé de manière inédite allant jusqu’à affirmer son soutien aux terroristes Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa qu’il estime « plus justes » que les autorités. « Des propos inacceptables », d’après le Haut conseil islamique du Mali (HCIM). « Des propos qui ne doivent même pas être tenus par des personnes ordinaires, à plus forte raison un prêcheur censé être sage », a reconnu l’organisation qui demande, malgré tout, la clémence des autorités pour les « erreurs » de leur collègue. Aussi, se borne-t-elle à implorer le pardon de tous ceux qui ont été offensés par les déclarations polémiques et assure que l’auteur a exprimé ses regrets.

A Magnambougou, les lampadaires tentent de remplacer le soleil évanoui sans y parvenir. La lune n’est pas au meilleur de sa performance d’éclairage. Les paupières s’alourdissent, signe que le corps réclame du repos. Les anges arrivent toujours au bon moment. Le plus jeune du ‘grin’ débarqua avec de généreux morceaux de viande fumante. Après avoir honoré le “dibi”, le ‘grin’ se dispersa, laissant pantois les milliers de moustiques qui bourdonnent sur les têtes dégarnies.

AC/MD

(AMAP)