Le 7 septembre prochain, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) sera lancée à Bamako, au Palais de la culture. Sous le parrainage de l’ancien Président du Haut conseil islamique du Mali, la structure se veut le seul représentant et soutien des actions de l’imam de Badalabougou. La suite de son combat pour un nouvel idéal  de gouvernance ?

 

« Sa déclaration du 7 septembre sera le fil conducteur de la CMAS. Quand l’Imam dira d’aller à droite, nous irons à droite, quand il dira le contraire, nous le ferons. C’est donc un outil politique qui est mis à sa disposition pour résoudre les problèmes de notre pays », affirme Issa Kaou N’Djim, porte-parole de l’imam Mahmoud Dicko et coordinateur  général du mouvement  qui sera lancé ce samedi à Bamako. Avec sa verve habituelle, il a rappelé les actions menées par son mentor, notamment la lutte contre le projet du Code de la famille en 2010, l’ouverture d’un cordon alimentaire lors de la crise dans les régions du Nord, les missions de bons offices, la lutte contre le projet d’éducation sexuelle complète et l’organisation des manifestations des 10 février et 5 avril 2019. La coordination entend défendre la vision religieuse, sociétale et coutumière, ainsi que politique, de l’imam.

Un goût d’inachevé 

À la tête du Haut conseil islamique de 2008 jusqu’à avril 2019, l’imam Mahmoud Dicko a beaucoup animé la scène nationaleSa voix porte et son influence n’a de cesse de croître. Son rejet affiché de la gouvernance actuelle du pays et son indignation face aux atteintes aux principes de l’Islam lui font enfourcher un nouveau cheval. Pour Ballan Diakité, chercheur au CRAPES,  la création de la coordination que parraine l’Imam est une manière pour lui de compenser son départ du Haut conseil islamique et de se maintenir sur la scène. « Avec l’influence qu’il a sur la jeunesse musulmane aujourd’hui, il est évident qu’il doit se trouver un cadre de convergence de l’ensemble de ses partisans afin de pouvoir continuer à exercer l’influence qu’on lui a connue ces dernières années. La mise en place de ce collectif révèle l’ambition de l’homme : rester présent sur la scène politique malienne ».

Pour le Dr Gilles Holder, co-directeur du Laboratoire Macoter de Bamako et spécialiste de l’Islam en Afrique,  la création de ce mouvement est loin d’être un pis-aller pour  l’Imam Dicko, qui mène  au quotidien des activités riches et diverses. « La question est comment prolonger au sein de la société civile les actions qu’il a souhaitées mettre en place lorsqu’il était au Haut conseil islamique, et en particulier à faire de ce Haut conseil un espace de société civile religieuse ? C’est-à-dire aller au-delà des aspects sociétaux et moraux pour être dans des aspects plus sociaux, plus citoyens, plus politiques, et politiques au sens noble du terme », explique l’anthropologue.

Un terrain  glissant

Au Mali,  l’imam Dicko veut influer sur  la gouvernance du pays. Un terrain glissant et semé d’embûches. « Il y a beaucoup des choses qui lui ont réussi, Dieu merci, mais  je crois qu’il aura sur ce projet beaucoup de problèmes. Il se lance dans quelque chose qu’il ne maitrisera pas. Il veut faire de la surenchère religieuse, ce qui est très mauvais », confie l’un de ses anciens collaborateurs. Pour le porte-parole de l’imam, le temps est venu pour eux « d’agir sur toutes les questions de la vie politique ». Il pose la question : « comment voulez-vous soustraire la vie politique de quelqu’un de sa foi ? ». Dans sa tirade, Issa Kaou N’Djim proteste contre la diabolisation de l’homme religieux et tire à boulets rouges sur les acteurs de la démocratie. « Il n’y a aucune loi au Mali qui donne un statut aux religieux. Pourquoi donc vouloir les diaboliser ? Un chef religieux qui s’est libéré de ses charges au nom de la communauté religieuse a le droit d’aller sur l’arène  politique », martèle-t-il, ajoutant « la démocratie, c’est le rapport de forces et si la majorité du peuple croit à la CMAS, alors la volonté du peuple se fera ». De son côté, l’islamologue Gilles Holder trouve « qu’on peut être citoyen et musulman. Ceux qui condamnent cela ont mal compris les choses, mais le problème est peut être au-delà, car un projet de société qui voudrait se baser sur la morale islamique pourrait introduire la Charia dans la Constitution », argumente-t-il.

Cependant, le co-directeur du Laboratoire Macoter de Bamako estime que l’imam n’a pas intérêt à se jeter dans l’arène politique. « On dit que quand on entre dans le marigot des caïmans c’est fini. Le fait de ne pas y avoir trempé son pied le sauve et lui donne une autorité morale, même si elle est contestée », relève l’islamologue. Il croit également que le mouvement en gestation guette les élections législatives à venir. Car, ajoute-t-il, Mahmoud Dicko et son équipe savaient qu’ils allaient quitter le HCI, vantant au passage leur savoir-faire organisationnel depuis  toujours. « Ce que je sais est qu’il entend animer la chose publique, pour le moment, dans le cadre de la société civile et, dans cette animation, tenir compte des valeurs religieuses. Il peut trouver son compte dans cela, mais s’il s’engage sur le terrain politique, il se cassera le nez d’emblée, car une fois dedans il sera confronté à des très dures réalités et décevra forcement », pense pour sa part Woyo Konaté, Docteur en philosophie politique et professeur à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako.

Des analyses qui ne calment pas les ardeurs du porte-parole de l’Imam dont la conviction sur les atouts de son guide semble totale. « C’est le peuple qui décidera. C’est lui qui est souverain et à lui seul appartient la légitimité », dit N’Djim. Il ajoute « ce mouvement, c’est d’abord arrêter ce qui est inacceptable et proposer ce qui est la solution. Nous sortons de la contestation, nous voulons la solution. Il s’agit d’assurer l’intégrité du territoire national, d’organiser un véritable dialogue national et ensuite d’imposer les conclusions de ce dialogue, parce que c’est la volonté du peuple ».

Quel projet ?

Le changement de gouvernance passe par un projet novateur, pouvant redonner au peuple la confiance entamée. Mais la classe politique, majorité et opposition, a déçu. D’où ce qu’appelle Issa Kaou N’Djim « la troisième voie », l’Imam Dicko. « Est-ce que ce sont les religieux qui sont à la base de cette corruption généralisée ? Ceux qui se réclament acteurs de la démocratie, qu’ont-ils apporté dans leur majorité, si ce n’est le sang, le chaos, l’humiliation et la perte de notre souveraineté nationale. En 1991, pourtant, le Mali était souverain sur l’ensemble de son territoire. Aujourd’hui, toute la communauté internationale est chez nous à cause de l’incapacité de nos dirigeants à gérer notre pays », accuse le coordinateur de la CMAS.

Une désolation sur laquelle compte surfer le natif de Tombouctou pour faire miroiter son projet face à un peuple fatigué des scandales et de la mal gouvernance. « Ce qui caractérise Mahmoud Dicko, et cela on le sait depuis longtemps, ce n’est pas qu’il soit wahhabite, mais le fait qu’il ait un projet de société. Et ce projet est partagé par une minorité agissante et très bien formée. Son objectif est de moraliser la vie publique, politique, en disant qu’on a perdu toutes les valeurs et que seul l’Islam peut rétablir ces valeurs, qui sont nécessaires au développement et à la paix dans le pays. En disant que ce n’est pas l’homme qui a un libre arbitre, mais Dieu qui arbitre », détaille l’anthropologue Gilles Holder, qui considère que le mouvement se restructure en parti pour porter ce projet.

Cette coordination est désormais en marche. L’avenir nous dira sur quoi elle va déboucher.

Journal du mali