Fondé en 2012, BKO (à l’origine BKO Quintet), poursuit sa relecture libre et joyeuse des traditions, entre donso n’goni et djéli n’goni, entre musique des chasseurs et art des griots. Pour la sortie de leur deuxième disque, Mali Foli Coura, le Lyonnais Aymeric Krol revient sur l’essence du groupe, ses itinéraires, et ses virages électriques.

Sur la pochette jaune électrique du disque, se détache cette citation d’Amadou Hampâté Bâ : “Nous allons entreprendre un voyage dans un monde ‘souterrain’, (…), le monde des symboles où tout est signifiant, où tout parle pour qui sait entendre”. Le Lyonnais Aymeric Krol (batteries hybrides, chœur) – “leseul toubab de l’histoire BKO”, rigole-t-il – explique comment ces mots de l’écrivain résonnent avec leur son : “Notre musique possède cette dimension terrestre. On ne met pas de pédale de distorsion sur le djéli n’goni uniquement pour faire joli, mais plutôt parce que cet effet nous ramène aux viscères, aux entrailles. Si nos arrangements millimétrés révèlent une certaine sophistication, notre son convoque, lui, un côté brut, intuitif, une transe intérieure. Nous reprenons des chants séculaires sauce 2018 ; pour ce faire, nous conservons un aspect analogique, un son d’ensemble. Je me fiche que le son soit ‘beau’. Je veux qu’il soit ‘vrai'”.

Entre chasseurs et griots

La vérité d’un son brut, sans calcul : voici certainement l’un des ingrédients essentiels, aux origines du BKO Quintet – leur nom reprend le code de l’aéroport de Bamako, et le terme “quintet” a depuis disparu. Aymeric en raconte la genèse : “J’étais ce petit toubab qui apprenait la percussion depuis quinze ans auprès de son maître djembefola. Ce dernier, Ibrahima Sarr, m’a dit en substance : ‘mon élève, mon fils, mon ami, j’aimerais que tu rentres dans mon histoire, dans mon idée de mélanger ces deux cordophones que sont le djéli n’goni, le luth des griots, et le donso n’goni, celui des chasseurs. Viens avec ton gros set de percussions bizarres, et essayons.’ Nous avons enregistré une démo en 2012 en huit pistes à Bamako… “.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, nul n’avait jamais imaginé mêler ces deux cultures, hermétiques l’une à l’autre. “Du coup, c’était un super argument marketing ! se réjouit Aymeric, avant de poursuivre. Ibrahima jouait entre les deux univers – avec des chasseurs dans la région Ouassoulou, et dans les mariages avec les griots –, et il ne s’est jamais posé la question de savoir s’ils pouvaient s’accorder. En gros, cette hybridation transculturelle dans un même pays équivaudrait à mélanger des chants de la messe de Clermont-Ferrand, à des bourrées auvergnates. L’art des griots s’assimile davantage à de la musique savante, celle des nobles, alors que celui servi par le donso n’goni reste populaire : une musique de broussards…”. Alors, bien sûr, il a fallu accorder les instruments : ils ont descendu le donso n’goni de plusieurs tons pour faire une basse. “Maintenant, ça sonne rock !”, conclut Aymeric.

Une relecture rock et abrasive

D’emblée, leur transgression des traditions, leurs collusions de répertoires différents subjugue le Mali : “Bien sûr, nous ne sommes pas là en train de piétiner les racines ; ni de découper des frontières arbitraires. Du coup, au Mali, les mélomanes se sont excités ! Nous sommes passés plusieurs fois à la télé. Nos clips tournent en boucle…”

Bien vite, leur son brut, rugueux, joyeux, résolument libre, dépasse les frontières du Mali et de la France. Après leur premier disque, les cinq membres de BKO effectuent 250 concerts dans vingt pays, parfois devant des foules hallucinés comme au Japon ou en Corée du Sud, à Gyeongju, ou devant des publics chauds-bouillants de 15 000 personnes, à Montréal.

Abreuvé à tous ces voyages, tous ces horizons, leur deuxième disque, Mali Foli Coura, aborde des terres davantage électriques, rock’n’roll, abrasives, avec un son de groupe plus unifié. “Nos arrangements aussi, ont évolué : plus modernes, moins traditionnels”, résume Aymeric.

Dans cette succession de titres rugueux, punchy, 100% efficaces, s’invite aussi, sur la dernière piste, le flegme élégant de Mathieu Boogaerts. Le Lyonnais explique : “On se connaissait par des potes communs. On s’était croisés plusieurs fois lors de concerts ; il aimait notre projet. Alors, quand on a écrit ce titre amoureux, un peu fleur-bleue, avec ce côté kitsch très africain, on a naturellement pensé à lui. Et ça fonctionne !”

Sur la pochette du disque, un drôle de dessin, sorte de totem urbain à cinq têtes, aux allures robotiques, rappelle, lui aussi, leur univers musical. Aymeric décrit : “C’est l’œuvre d’un copain de Bamako, Noumouke Camara, dessinateur plasticien. Je trouve ses œuvres géniales. Ce sont des dessins de masques un peu tribaux, un truc abstrait et en même temps super moderne. Sa démarche me rappelle la nôtre : on sculpte des racines et on recrée. Pour moi, la tradition doit toujours rester en mouvement, contrairement à ce qu’en pensent les puristes, qui voudraient la figer, ceux-là même qui se représentent les Africains avec des pagnes et des cocotiers…”

Dans un Mali très affecté par la pauvreté, mais aux couleurs rock, et à l’audace créative intacte, BKO trouve forcément sa place, et trace sa route : une relecture des bases pertinente, colorée, pleine de sève et de fougue !

BKO Mali Foli Coura (Buda records) 2017

 

Source: RFI