ENTRETIEN. Dans ce thriller, le réalisateur franco-malien raconte l’ascension fulgurante d’un jeune chômeur dans le monde des narcotrafiquants au Mali.

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Wùlu. En salle ce mercredi, le premier long-métrage du réalisateur français Daouda Coulibaly est un thriller politique juste, captivant, ancré dans la réalité actuelle du Mali. À travers l’itinéraire de son héros, il révèle le réseau complexe du narcotrafic en Afrique de l’Ouest, ses différents acteurs, notamment l’État, et son rôle majeur dans le déclenchement de la crise du pays. Son titre « wùlu » vient du bambara et signifie « chien » en référence au dernier des cinq niveaux de l’initiation N’tomo. Rite dont l’objectif est de situer la place de l’homme dans le monde en passant par différentes phases symbolisées par des animaux. Pour Le Point Afrique, Daouda Coulibaly revient sur la genèse de ce film à l’intrigue haletante.

Le Point Afrique : Quelle est l’origine de l’histoire de Wùlu ?

Daouda Coulibaly : Je voulais explorer la figure du criminel, thème qui m’a toujours fasciné, notamment en Afrique de l’Ouest. Pour citer James Baldwin, la création la plus dangereuse de toute société, c’est l’homme qui n’a plus rien à perdre. Le déclic a été l’affaire d’Air Cocaïne fin 2009, ce Boeing venant du Venezuela, atterri dans le désert malien, transportant 10 tonnes de cocaïne. Je me suis ensuite installé à Bamako en 2011 pour écrire et me documenter.

Pourquoi ce choix d’un héros jeune ?

Ladji incarne une partie de la jeunesse malienne, voire africaine. Je voulais éviter de faire de ce gangster un modèle d’identification, heureux dans cette vie-là… Pour ne surtout pas motiver d’éventuels prétendants. Et je suis convaincu que les gangsters ne sont pas heureux. Mon personnage ne profite pas de cette richesse, il ne s’y intéresse pas. Il agit par défaut, et surtout par amour, pour sortir sa sœur de la précarité, de la prostitution. Il avait l’ambition et les qualités pour gagner sa vie de manière honnête, mais, contrarié dans ses plans, il embrasse cette voie dans l’urgence. Ce n’est pas quelque chose qui l’attire, dont il est fier.

Le film montre bien la corruption des autorités maliennes…

La collusion entre narcotrafiquants et certains dirigeants explique la profondeur de la crise actuelle du Mali. Il faut comprendre ce qui se trame derrière la façade. On parle beaucoup de terrorisme, mais comment est-il financé ? On connaît les prises d’otages, l’argent des rançons. La question du narcotrafic régional est plus obscure. Vue d’Europe, on a l’impression que l’Afrique raconte toujours la même histoire : pauvreté, coup d’État, instabilité… Et que c’est une fatalité. En vérité, ces situations ne tombent pas du ciel. Un coup d’État peut être entraîné par un dysfonctionnement dans l’armée, lui-même lié à une collusion avec le narcotrafic, à cause d’une corruption très courante… Tout le monde s’accommode de ce système où il trouve son avantage. Même le villageois qui vit dans des conditions très difficiles sans eau ni électricité, avec l’argent de la drogue, il peut s’acheter des panneaux solaires, une moto pour s’approvisionner plus facilement en eau. Ainsi, il vit mieux grâce au trafic qu’avec l’aide de l’État. Mais les conséquences sont désastreuses. Une fois qu’on finance un groupe terroriste, s’il peut y avoir un agenda commun au début, à la fin vous êtes piégés. Car une fois armés, ceux qui ne se contentent plus de faire du trafic veulent un territoire. Et vous devez obéir à leurs nouvelles règles. L’intérêt personnel peut profiter pendant quelque temps, puis il se retourne contre l’intérêt collectif. Les investisseurs du narcotrafic ne développent pas d’autres secteurs légaux, créateurs d’emplois. Et le gouvernement qui peut se servir de ce business comme d’un outil de régulation interne, en montant un groupe contre un autre, finit aussi par le payer.

Par le montage, vous faites un parallèle entre la violence, la mort des personnages et celle d’animaux à l’abattoir…

Je voulais établir une analogie entre le couloir de la mort dans lequel les animaux sont parqués et la voie du crime organisé. Au bout de ces deux chemins, il y a la même issue. La violence qu’on inflige aux animaux nous choque, elle est très prégnante. Celle qu’on inflige à la jeunesse est plus insidieuse. On s’est habitué à voir un gamin, en âge d’être scolarisé, traîner dans la rue. Alors que c’est d’une grande violence. Ne pas lui offrir la possibilité d’aller à l’école, c’est le condamner.

Pourquoi cette référence à un rite d’initiation bambara, de la société du N’tomo, dès l’ouverture du film ?

C’est l’aspect fable de l’histoire, sa morale. L’ambiguïté du terme wùlu (chien) est intéressante : c’est à la fois la dernière étape dans ce rite initiatique, mais aussi, dans le langage courant, un homme sans scrupules. Ladji vient d’une société traditionnelle, avec ses valeurs. Il est obligé de chercher sa place dans une société moderne, avec d’autres valeurs. Il a sans doute trahi celui qu’il est. Sa trajectoire résume son adaptation au monde moderne. Son parcours initiatique.

Quelles étaient vos conceptions esthétiques et narratives ici ?

Le film est construit comme un thriller, avec beaucoup d’actions, de suspense, mais aussi des éléments de la fable. J’ai filmé en scope, pour avoir à la fois cette intimité avec mon personnage, en gros plan, et le capter aussi dans son environnement, sa place dans le monde. Et pour les scènes d’ensemble, notamment celle de la fusillade dans le désert, c’était important de filmer avec du recul, telle une attaque de diligence dans un western. Le cinéma africain a cette réputation de cinéma contemplatif. C’est bien aussi de raconter le continent d’une autre manière.

*Wùlu, de Daouda Coulibaly, New Story (1h35)

avec Ibrahim Koma, Inna Modja

Sortie le 14 juin

PROPOS RECUEILLIS PAR ASTRID KRIVIAN