Le festival ‘’Ogobagna’’ est un évènement culturel dogon. Sa cinquième édition aura lieu du 27 janvier au 2 février 2020 à la Place du Cinquantenaire de Bamako. Pour en savoir plus, nous sommes allés à la rencontre de Amassagou Douyon, président de la commission d’organisation dudit festival. Nous vous proposons de lire l’interview.

Le Pays : Que faut-il comprendre par festival Ogobagna ?

Amassagou Dougnon : Le terme Ogobagna, quand on le traduit littérairement, fait ressortir ‘’ogo’’, qui veut dire le roi, et ‘’bagna’’ qui signifie la « tasse à manger » du roi. Derrière ce terme, l’idée vise l’autorisation pour le développement et les manifestations culturelles. Auparavant, il n’y avait pas d’activités culturelles dans les villages pendant les travaux champêtres. Tout le monde devait se consacrer aux travaux des champs. C’est après les travaux que le roi autorisait les habitants à faire promener sa tasse pour dire : « Le mil est entré à la maison, maintenant, toutes les manifestations pour le développement culturel de chaque classe d’âge sont autorisées ». C’est ce symbole qu’on a voulu donner à ce festival. L’idée du festival est venue à cause de la crise. Depuis près de neuf (9) ans, nous avons constaté que les gens ne vont plus au centre du pays. Ce centre qui est la zone névralgique du tourisme, où beaucoup d’acteurs ne vivent que des fruits du tourisme en vendant des produits artisanaux et des activités culturelles. Nous avons constaté que ce secteur était en train de mourir. Et comme les touristes ne vont plus au centre, nous avons eu l’idée de créer le festival ‘’Ogobagna’’. Il vise à créer une connexion avec le tourisme, soutenir le secteur, et faire venir les artisans du centre à Bamako. La commission d’organisation est composée de toutes les communautés qui viennent de façon volontaire.

Quels sont les objectifs que vous visez par l’organisation de cet évènement ?

Le premier objectif est de valoriser l’art et l’artisanat qui souffrent déjà à cause de la crise. Nous sommes optimistes que cette crise va finir, mais si les acteurs de ce secteur n’ont pas l’occasion ou un cadre d’expression régulier, ils risquent de perdre. Ils vont se reconvertir à d’autres activités qui ne sont pas certainement louables. Nous voulons faire en sorte que les acteurs du tourisme vivent de leur travail. Le second objectif est de faire découvrir au public bamakois, l’une des cultures maliennes, celle du « pays dogon », du vivre ensemble, du brassage culturel, et surtout, de la culture de diversité sociolinguistique du Mali. L’objectif du festival consiste à montrer que le Mali est un grand pays qui a des variétés culturelles. C’est pour cette raison que ‘’Ogobagna’’ n’est pas que dogon. Même si les initiateurs sont Dogons, il compose l’ensemble des communautés qui, ensemble, viennent magnifier la culture.

Y-a-t-il des spécificités pour l’édition 2020 de ce festival ?

Bien sûr, nous avons constaté que la crise à laquelle nous avons voulu pallier par la culture empire jour après jour. 2019 a été une année difficile, surtout dans la région du centre du pays. Nous croyons et restons convaincus que la culture est un élément très important pour vaincre l’axe du mal. Cette année, nous avons mis l’accent sur les évènements culturels qui sont des vecteurs de la cohésion sociale. Ce qui fait qu’à travers ce festival, qui aura lieu du 27 janvier au 2 février, les différentes communautés vont tenir des soirées de cohésion sociale. Par exemple, les Peulhs, les Miniankas se réuniront pour faire une soirée culturelle pendant trois heures. Celles-ci feront appel aux artistes et aux griots de leur communauté en vue d’appeler les uns et les autres à la raison, à la retenue, à se connaitre, pour que les Maliens ne tombent pas dans la dérive, voire dans l’intolérance. Nous allons aussi mettre l’accent sur la sensibilisation, afin que les gens se ressaisissent et se retiennent. On veut, à travers ce festival, montrer au monde entier qu’il n’y a pas de conflit intercommunautaire au Pays dogon. Ce sont des mains invisibles qui, coûte que coûte, veulent nous diviser. Mais à travers la culture, la cohésion sociale, on veut, pendant une semaine, montrer avec toutes les communautés qui y participent qu’il n’y a pas de conflit intercommunautaire. Malgré la crise et les morts d’hommes dans le pays, on veut montrer que la culture va se tenir debout, et qu’on ne nous fera pas taire. Le jour où notre culture va se taire, c’est le jour où on n’existera plus. Parce que notre culture c’est nous.

Le festival se tiendra où, et quelle est la thématique retenue pour cette année ?

Depuis sa première édition, ce festival se tient à la Place du Cinquantenaire de Bamako. Le thème qu’on a retenu pour cette année est la valorisation de la cotonnade, l’habillement, les valeurs sociales, culturelles et économiques du coton. Au-delà de l’aspect économique, le coton joue un rôle important dans la culture. Il s’agit de montrer ce que donne comme valeur le port du coton.

Comment on doit s’habiller, quel est le symbole d’un habillement ? Tout vient du coton, donc on veut vraiment entrer en profondeur au sujet du coton. Mais d’autres thèmes seront aussi débattus au cours du festival : environnement ; changement climatique ; causes de l’insécurité. À ces questions, nous tenterons d’apporter des réponses.

Pourquoi choisissez-vous toujours Bamako pour la tenue de ce festival ?

Nous avons choisi Bamako pour des raisons de sécurité. Les gens ne vont pas trop au centre. L’idée c’est de créer une connexion entre les artistes et les artisans du centre et ceux de Bamako. Ce, afin que cette ville soit le meilleur rond-point. Aujourd’hui, ‘’Ogobagna’’ fait venir beaucoup d’Européens pendant une semaine à Bamako, sans avoir le courage d’aller dans les autres lieux du pays. Puisque c’est le lieu le plus sûr où ils pourront avoir accès aux artisans et aux différents arts.

Vu la crise du pays, vous ne pensez pas que ça sera mal vu d’organiser un tel évènement par le fait que la population est victime du terrorisme, de vols de bétails et bien d’autres problèmes ?

Le festival est pour nous une réponse. De nos jours, il y a une crise, le pillage, l’intolérance, la destruction des biens, la tuerie. Et si on se tait, c’est le chaos total… Ce festival va être un moment de réflexion sur le vécu du pays. Pourquoi on est arrivé là ? Il sera un cadre idéal où tous les acteurs se regroupent pour discuter des pistes de solutions qu’on peut avoir pour une sortie de crise. En dépit de la crise, nous voulons montrer qu’on est debout, serein, lucide, en puisant sur cette valeur afin de rebondir et de briller encore une fois. Ce festival est un lieu de rendre hommage aux morts du pays. Ce, via les marques qui peuvent culturellement désigner un deuil et non une fête. Les gens doivent s’approprier de leur culture, quand on connait sa culture, on n’est jamais choqué par de tels regroupements de réflexion.

Quel est votre avis sur la culture dogon ?  

La culture dogon va bien grâce à des conservateurs, des familles et villages qui tiennent à la garder et à la protéger. Mais cette culture est aussi attaquée de tous les bords du fait de la mondialisation, de la religion et des guerres qui l’affectent aujourd’hui. Notre rôle est d’être debout et vigilants et de veiller sur ces valeurs.

Votre dernier mot ?

C’est d’appeler les gens à la clairvoyance. L’ennemi, ce n’est pas nous. Nous avons un ennemi invisible qui veut nous diviser afin de nous asservir. Ressaisissons-nous, cherchons à savoir qui sommes-nous. Ayons un même objectif. En faisant cela, on pourra bouter l’ennemi hors du pays.

Réalisée par Mamadou Diarra

LE PAYS