Dans cette interview, la ministre de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme aborde des sujets tels l’appui de l’État aux artistes et aux entreprises en cette période de crise sanitaire, la revitalisation du secteur et la relation particulière que sa famille entretient avec la culture…

 

L’Essor : Parmi vos prédécesseurs dans ce département en charge de la culture, il y a Alpha Oumar Konaré, votre père qui s’est illustré à travers beaucoup de réformes. Qu’avez-vous ressenti en vous installant dans ce siège ? Pensez-vous que le temps imparti à la Transition vous permettra de réaliser les réformes envisagées?

Mme Kadiatou Konaré : D’abord, il est important de savoir une chose : la culture, les arts font partie d’un héritage irréfutable. L’optique dans laquelle j’ai été élevée, c’est que la culture, les arts et la créativité ne sont ni une carrière ni un métier. Ce sont certaines orientations universelles, ce vers quoi se dirige l’humanité mais c’est aussi ce que cette humanité accomplit de beau.
Chez nous, la culture, la connaissance, les arts c’est le centre de tout.
Et de mon père, je me souviens de l’acharnement au travail, de l’enthousiasme véhiculé à travers son engagement. J’avais 6 – 8 ans et forcément, cela laisse des traces dans la tête d’un enfant.
Tous les jours, en arpentant les couloirs du ministère – pas que le premier jour, le jour de ma prise de fonction -, je revisite mon environnement familial et amical peuplé d’hommes et de femmes de culture, d’artistes, de créateurs et je me remémore la leçon à jamais retenue : la sacralité de la culture, de la connaissance, des arts.
Cette mission, aujourd’hui, c’est la force d’un serment qui me lie à mon enfance, à mon parcours d’éditrice, de femme du Mali, fidèle à nos valeurs culturelles et à notre idéal du vivre ensemble. Un serment de fidélité, de respect, de loyauté vis-à-vis des hommes de culture, des artistes, des créateurs.
Mon temps de travail sera un temps d’écoute, de partage, un temps à leur service.

L’Essor : Vous venez de boucler une série de 15 séminaires, intitulée : «émergence pour une vision concertée du secteur de la culture, de l’artisanat et du tourisme ». Tous les domaines de la musique à la restauration en passant par le cinéma, le patrimoine culturel, la danse, l’artisanat, la mode et le design, les langues etc. Certains participants ont estimé qu’il fallait tout simplement mettre en application le document de politique culturelle et son plan d’actions.

Mme Kadiatou Konaré : « Ces séminaires émergence pour une vision concertée des secteurs de la culture, de l’artisanat et du tourisme » constituent avant tout un palpitant dialogue qui jette des passerelles entre les différentes entités d’un ministère nouvellement recomposé, en établissant un cadre commun et solidaire de réflexion autour de la culture, de l’artisanat et du tourisme.

Personnes ressources du département, partenaires techniques et financiers, professionnels des différents secteurs, ont à travers des groupes de travail procédé à un diagnostic sans complaisance des différents secteurs et sous secteurs de la culture, de l’artisanat et du tourisme, avec l’accompagnement d’experts vigilants. C’est le lieu de rendre un vibrant hommage à tous les parrains et conférenciers des différents séminaires qui ont mis à notre disposition tout leur savoir-faire, toute leur expertise. Un des objectifs visés – une fois l’état des lieux établi et les recommandations formulées – c’est de dresser un plan d’actions, fruit d’une vision concertée de tous les acteurs concernés.
Le résultat escompté de ce travail serait de redynamiser le secteur de la culture, des arts, de l’artisanat et du tourisme, d’en galvaniser les acteurs sur la durée.
Nous sommes dans une période spéciale, une période de transition qui nous recommande de tirer les leçons du passé pour mieux préparer le futur.

Le document de politique culturelle et son plan d’actions (arrivée d’ailleurs à son terme en 2018) ne sont pas des outils appropriés de travail pour les raisons que je viens d’indiquer. Le travail initié autour des séminaires avait d’ailleurs pour ambition de réévaluer le document cadre de politique culturelle, d’examiner les conditions de prolongation du plan d’actions arrivé à terme en 2018 (le plan étant établi sur une période de 5 ans, de 2013 à 2018). Sa révision est inscrite dans le Programme de travail gouvernemental (PTG) de 2021.
Je ne vais pas tirer de conclusion hâtive, de conclusion définitive, car après Bamako, les séminaires devront se poursuivre dans les régions. Mais, je sais d’ores et déjà que des recommandations fortes plaident plutôt pour la définition de véritables politiques nationales sectorielles notamment dans le domaine de la culture et du tourisme.

L’Essor : Lors de la cérémonie de clôture, vous avez promis que certaines recommandations seront applicables dès ce début d’année…

Mme Kadiatou Konaré : Oui bien sûr, cela a été dit. Toutes les recommandations qui vont dans le sens de la revitalisation des différentes entités du département (relecture de texte, définition de politique sectorielle nationale) seront appliquées. Une attention particulière sera réservée à toutes les recommandations exhortant à l’amélioration et à l’évolution des conditions de vie des acteurs de la culture, de l’artisanat et du tourisme et à leur formation.
Vous en saurez davantage, une fois, les recommandations des différentes régions du pays intégrées.

L’Essor : La question de fond demeure celle des finances. Comment comptez-vous vous y prendre pour l’augmentation du budget du département, comme réclamée par les participants car le secteur bénéficie de moins de 1% du budget national ?

Mme Kadiatou Konaré : Ce sont les recommandations du Dialogue national inclusif (DNI) qui stipulent cette augmentation. Nous saluons ces recommandations et le département ne ménagera aucun effort pour rendre cela concret.
Cependant, malgré cet effort qui sera fourni, la question des finances demeurera une problématique de taille pour l’épanouissement du département et de ses acteurs. Nous nous engageons d’ores et déjà à rendre les secteurs de la culture, de l’artisanat et du tourisme moins vulnérables à travers la création d’emplois. Ces secteurs doivent être pourvoyeurs d’emploi. Les marges de manœuvre sont minces ; il nous faut créer nous-mêmes notre richesse en étant audacieux et créatifs : avoir l’intuition de beaux projets et la sagacité de les mettre en œuvre. Nous n’avons d’autres choix que de travailler, encore et toujours.

L’Essor : Au Mali, la culture et l’artisanat sont marqués par un formidable mouvement de créativité et d’ingéniosité des artistes, artisans et opérateurs culturels. Mais hélas, c’est l’encadrement et le soutien qui font défaut afin qu’ils prennent leur part dans le développement du pays.

Mme Kadiatou Konaré : Il y a 20 ans, j’ai dirigé les travaux d’un guide culturel et touristique sur le Mali intitulé : « Le Mali des talents ». La ligne éditoriale était nette et précise : aller à la rencontre du Mali à travers ses artistes, ses artisans, ses femmes et hommes de culture. Aujourd’hui, la conviction est la même : les artistes et écrivains, les artisans, les créateurs sont les meilleurs atouts, les meilleurs ambassadeurs de notre pays. Ils puisent d’ailleurs leur souffle, leur génie créateur dans leur amour profond pour le pays. Et c’est en cela que je leur rends hommage.
Les problèmes qui sont soulevés sont indéniables et le marasme qui frappe nos différents secteurs, est réel. Mais s’il y a une urgence, un tir à rectifier pour permettre le plein épanouissement de ces secteurs ; c’est de réévaluer la place et le rôle des acteurs culturels, des artisans dans le développement économique et social de notre pays. « Le Mali est un pays de culture » et ne devrait pas se limiter à une formule lapidaire. Une place de première importance doit leur être assignée.

L’Essor : La langue demeure le principal support de la culture. Un des 15 séminaires y a été consacré en collaboration avec le ministère de lʼÉducation nationale. Comment comptez-vous intervenir dans ce domaine alors qu’il ne fait pas partie de vos attributions ?

Mme Kadiatou Konaré : Vous l’avez dit : « la langue demeure le principal support de la culture ! » La culture, c’est d’abord la langue. La langue est un pilier essentiel de notre patrimoine culturel et c’est pour cette raison que nous l’avons intégrée dans les séminaires. Les termes de référence mettent surtout en exergue le rôle que nous pourrions jouer en tant que département en charge de la Culture dans la promotion de nos langues.
Ce séminaire a d’ailleurs été le seul présidé par des ministres notamment ceux en charge de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur car conscients de la tutelle qu’ils représentent. Nous comptons simplement mais efficacement, à leur côté, jouer pleinement notre rôle de partenaire des langues nationales.

L’Essor : Le gouvernement a promit deux milliards de Fcfa pour aider le secteur de la culture, de lʼartisanat et du tourisme sinistré par les restrictions entraînées par le coronavirus. Comment est-ce que cette somme sera-t-elle répartie sachant par exemple que les voyagistes, les agences de tourisme et les hôteliers sont en extrême difficulté depuis le début de la crise en 2012 ?

Mme Kadiatou Konaré : Nous saluons ici les efforts des plus hautes autorités de la Transition à vouloir accompagner des secteurs qu’ils savent profondément secoués par la crise. En réalité, ce sont trois mesures fortes qui soutiennent le département. La première concerne les entités qui sont en redressement fiscal et qui ont des pénalités à payer. Si elles payent de façon régulière leurs impôts de 2021, les pénalités accumulées sur les années précédentes tombent automatiquement à 100% au lieu de 50%.
En second lieu, le programme Jigiseme Yiri qui s’adresse aux personnes démunies, à celles qui ont perdu leur emploi du fait du chômage (agents d’hôtels, artisans), aux couches les plus défavorisées. De façon générale, ce programme concerne un million de Maliens et consiste au versement d’une somme de 90 .000 à 100. 000 Fcfa sur leur compte Orange money.
L’appui d’un milliard et non de deux aux acteurs des secteurs de la culture, de l’artisanat et du tourisme. Cet appui s’adresse à toutes les structures reconnues par l’État, avec un identifiant NIF. Ces appuis ont pour objet de soutenir les structures afin qu’elles ne sombrent pas. Nous avons mis en place une commission composée du département et des faîtières afin de dégager de façon transparente la clé de répartition de ces différentes mesures.

L’Essor : La problématique de la représentativité se pose aujourd’hui avec acuité dans le domaine de la culture. De plus en plus, des voix s’élèvent pour dire qu’ils ne se reconnaissent pas dans la FEDAMA et dans lʼUAAPREM. Il existe dʼailleurs un regroupement qui réclame clairement la création dʼun Conseil national des arts et de la culture. Que comptez-vous faire pour résoudre ce problème ?

Mme Kadiatou Konaré : Sans faîtières fortes et structurées, il sera difficile d’asseoir les ambitions d’épanouissement que nous caressons pour les différents acteurs. La solidarité entre elles, la prise de conscience de la responsabilité des actions en partage sont des facteurs déterminants de l’essor de la culture et des arts.
Dès les premiers jours de ma prise de fonction, j’ai rencontré les faîtières, toutes les faîtières et mon discours a été le même : le besoin d’union, d’entente sacrée afin de nous permettre en tant que département de jouer pleinement notre rôle de tutelle. Je prône depuis, le dialogue, l’échange afin d’aider les faitières à trouver l’organisation qui leur convienne. Au niveau du département, nous serons à leur coté pour les accompagner, les soutenir et proposer nos services de médiateur, de facilitateur.
J’ai bon espoir, car je sais que nous avons la même préoccupation, la même ambition : faire de la culture, des arts, un tremplin pour l’émergence du Mali.

L’Essor : Le projet de document de la classification/certification et la labellisation des activités et établissements culturels de notre pays, vient d’être bouclé. Sa mise en application, qui permettrait de mettre de l’ordre dans le secteur, nécessite des moyens énormes en terme de ressources humaines, de création de lois et décrets et bien sûr d’infrastructures. L’avez-vous inscrit dans votre agenda ?

Mme Kadiatou Konaré : Le projet de document de la classification/certification et la labellisation des activités et établissements culturels de notre pays est une priorité pour le département de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme.
En effet, il faut signaler que malgré l’existence de textes législatifs et réglementaires régissant l’activité culturelle au Mali, plusieurs dysfonctionnements ont été constatés dont l’inexistence de la carte d’artiste etc.
C’est dans l’optique d’envisager des solutions à ce problème que le ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme, a initié un atelier de validation des documents référentiels sur la classification des domaines de la culture et la certification/labellisation des activités et établissements culturels au Mali, après plusieurs semaines de travail collégial encadré par la direction nationale de l’action culturelle, en partenariat avec le projet Donko Ni Maaya de la GIZ.
Ce référentiel sur la classification des domaines de la culture et la certification/labellisation des activités et établissements culturels au Mali permettra, plus précisément, de connaître l’ensemble des domaines, sous-domaines, catégories et métiers de la culture. Aussi, la labellisation permettra aux événements et aux établissements culturels de bénéficier d’un cadre réglementaire pour évoluer vers une meilleure professionnalisation. Et c’est dans cette dynamique qu’un atelier de validation dudit document a été organisé le mardi 29 décembre 2020 au Palais de la culture Amadou Hampâté Ba.
Le chantier est certes vaste, mais des avancées sont constatées. Le département se donnera les moyens à court, moyen et long termes pour sa mise en application en fonction de la disponibilité des ressources.

Propos recueillis par
Youssouf DOUMBIA

Source : L’ESSOR