C’est en 1950 seulement que les sujets français des colonies africaines ont timidement eu accès à l’enseignement supérieur avec la possibilité de passer le baccalauréat. Du coup, à la veille des indépendances, les Africains formés pour gérer les nouveaux états étaient des oiseaux rares.

 

L’école normale William Ponty est demeurée pendant très longtemps la seule qui formait des cadres indigènes : instituteurs, commis et autres techniciens. La formation des « médecins africains », des « sages-femmes africaines », des « vétérinaires africains », des « pharmaciens africains » n’était que pour conforter, dès le départ, un enseignement et un statut professionnel fondamentalement inégalitaire et injuste.

Ces cadres, même redoutablement compétents, n’avaient pas les mêmes traitements que les citoyens français. La fonction publique était ainsi devenue une citadelle que les Africains en lutte pour l’émancipation sociale, l’indépendance et la liberté ont pris d’assaut. La loi qui porte le nom du député Lamine Guèye, la loi  no 46-940 du 7 mai 1946, est la consécration d’une intense concertation entre syndicats et partis politiques.

Zoumana Diarra a soutenu en 2014, à l’Université de Grenoble, « Les mutations de la haute fonction publique au Mali : une contribution à l’étude de la réforme de l’état ». Le professeur  Jean-Charles Froment était le président du jury ; les professeurs Eloi Diarra, Jean-Jacques Gleizal et Ousmane Oumarou Sidibé étaient membres du jury. Une partie de ce travail a porté sur la formation des administrateurs africains au service de la France. Il a aussi expliqué le contexte dans lequel les pays africains, notamment le Sénégal et le Mali ont ouvert leurs établissements supérieurs de formation. Longtemps après les indépendances de 1960, « l’encadrement administratif supérieur » dans nos états reste une problématique de recherche non encore véritablement entamée.

 La réalité coloniale

L’administration territoriale mise en place par la France se caractérisait par sa très forte centralisation. Pour l’Afrique occidentale « française », la colonne verticale était basée à Dakar ; c’était le périscope. C’était le siège du gouverneur général, un fonctionnaire de très haut niveau nommé par le ministre des Colonies. Il faut juste faire remarquer que l’AOF est une « création » qui date du 16 juin 1895 sous la forme d’une fédération de huit pays : le Sénégal, la Guinée, le Soudan, la Côte d’Ivoire, le Niger, la Haute Volta, le Dahomey, la Mauritanie.

Le Togo était un territoire allemand confié à la France, après la défaite de l’Allemagne lors de la première guerre mondiale. Dans cet ensemble, il est symptomatique de constater que trois ont changé de nom. Le Soudan français est devenu le Mali, le Dahomey est devenu le Bénin et la Haute Volta est devenue le Burkina Faso. En 1958, la fédération coloniale a cessé d’exister quand l’accession à l’indépendance était devenue incontournable. Le gouverneur général en tant que mandataire de la République, a de grands pouvoirs dont celui d’être le chef des armées, l’ordonnateur du budget, le chef de l’administration générale.

Le gouverneur général avait sous ses ordres des gouverneurs de colonie qui avaient, à leur tour, sous leur autorité les commandants de cercle et les chefs de subdivision. C’était à ce niveau que se jouait l’implacable réalité coloniale. Le Cercle était un maillon essentiel du dispositif. Il était structuré en cantons et en villages. Dans une précédente publication, nous avons évoqué les cantons et ce qui a été leur rôle dans l’exploitation et les brimades dont les Africains ont été victimes du système colonial.

La légalité du chef de canton

Le chef de canton était un « agent administratif » colonial. Zoumana Diarra, fait référence à un arrêt de la Cour d’appel de Dakar, le 20 janvier 1952. Cet arrêt a retenu que  « le chef de canton en AOF a des attributions multiples s’étendant aux domaines administratifs, judiciaires et financiers ; qu’il jouit d’un prestige incontestable au milieu des autochtones, un prestige dû aux pouvoirs étendus qui lui sont confiés par les autorités administratives ; qu’il est indéniable que le chef de canton est investi d’une portion de l’autorité publique ; que, plus particulièrement, il veille au maintien de l’ordre public dans sa circonscription ». La Cour en conclut que l’on peut considérer le « chef » comme « magistrat de l’ordre administratif (Recueil Penant, 1952, n°1, page 149.).

Dans le même ordre, la  Cour d’appel d’Abidjan a rendu un arrêt le 9 février 1953. La Cour, à la fin de l’examen d’un contentieux, a retenu que « la chefferie est une fonction qui a «son fondement dans une attribution légale de compétence». (Recueil Penant, 1952, n°1, page 149. 193 Cité par DIMIER (Véronique), op. cit page 5. 194 Recueil Penant, 1952, op. cit.).

La Cour argue du fait que « le statut administratif du chef de canton se surajoute au statut coutumier et s’en distingue pour faire de ce citoyen un membre de l’administration ; qu’il est reconnu et par conséquent nommé au sens du droit public, par un mode de désignation semblable à celui des autres fonctionnaires des cadres locaux ; qu’il est établi à l’intérieur de ce cadre une hiérarchie ; que les chefs de canton qui peuvent se trouver dans une des positions prévues au statut de la fonction publique perçoivent une rémunération ; qu’enfin les attributions qui leur sont conférées et limitativement énumérées par l’arrêté précité sont des fonctions publiques aux termes de l’article 258 du Code pénal… (Revue juridique et politique de l’Union française, n°1, janvier-mars, 1957, page 146.).  Les chefs de canton n’ont pu agir qu’en vertu des pouvoirs qui leur ont été conférés par l’administration coloniale.

L’enseignement supérieur

Quand les Africains ont pu accéder à l’enseignement supérieur, ils ont pu fréquenter les grandes écoles et universités. L’Institut des hautes études qui allait former la pierre angulaire de l’Université de Dakar a pu voir la promulgation de son décret de création, le 15 avril 1950. L’Université de Dakar était considérée comme la 18è Université française, « une université française au service de l’Afrique ». Elle était pédagogiquement liée à l’Université de Pars et au Rectorat de l’Académie de Bordeaux. Et cette filiation est demeurée bien après 1960, année à partir de laquelle les pays nouvellement indépendants vont se mettre à ouvrir sur leurs territoires des écoles dont les produits devaient être à la disposition des nouvelles administrations. Mais pendant longtemps, Dakar était l’ouverture pour l’enseignement supérieur en plusieurs domaines.

Les étudiants qui avaient choisi de faire une carrière dans l’administration, au niveau supérieur n’avaient pas de grandes possibilités. Certains ont été contraints d’étudier le droit ; d’autres l’histoire ou l’économe. Les privilégiés étaient ceux qui ont pu passer le concours d’entrée de l’école nationale de la France d’Outre-mer (ENFOM), après les lycées préparatoires en France, ou avec une licence.

Abdou Diouf, le futur président du Sénégal, y a fait son entrée en 1958, après sa licence obtenue à Dakar. Sa promotion est sortie en 1960 et il en était le major. Il deviendra gouverneur d’une région du Sénégal, en 1961, alors qu’il n’avait que 26 ans ! Deux ans après, il était le directeur de cabinet du président Senghor.

Amady Aly Dieng, l’économiste, le philosophe et le politique sénégalais, y était un an avant Abdou Diouf. Il a eu pour condisciple le Soudanais Modibo Kane Diallo, dans la section magistrature. En 1960, Modibo Kane devait être le seul ou l’un des rares licenciés. On comprend que l’ENFOM était une école destinée à une élite. Ceci explique que les Africains, notamment les Maliens, alors Soudanais n’y ont pas été d’une grande visibilité.

Les conditions d’accès seules suffisaient pour disqualifier plusieurs candidats. Il fallait avoir entre 18 ans et 26 ans, « satisfaire aux lois sur l’accès aux fonctions publiques », être titulaire du diplôme de bachelier en droit ou de deux certificats de licence d’études d’outre-mer », « justifier de l’aptitude exigée par les règlements en vigueur pour un service dans les régions intertropicales ». (Zoumana Diarra, P.97). L’ENFOM dispensait une culture juridique et administrative, une culture générale et des travaux pratiques. En plus des rares Africains, l’ENFOM était surtout destinée à la formation des Français qui ambitionnaient de travailler dans les colonies.

Les options africaines

En 1959, le Sénégal et le Soudan, dans le cadre de l’éphémère Fédération du Mali, ont ouvert une école de formation, l’école fédérale d’administration du Mali. Cette école avait pour mission de « former les fonctionnaires dits de la hiérarchie A, c’est-à-dire les fonctionnaires d’autorité et de conception appartenant aussi bien aux cadres de l’administration générale qu’à ceux de l’Inspection du travail ou même, éventuellement, de la diplomatie » (Zoumana Diarra, P.101).

En première année, l’EFAM dispensait des cours d’économie, de finance, d’administration, de droit du travail. En deuxième année, les élèves devaient effectuer un « pré-stage » de quatre mois. Les enseignements théoriques de cette année portaient sur des cours théoriques et pratiques. à l’issue de cette formation, l’EFAM délivrait un « Brevet » pour lequel, il fallait être admis à l’examen final.

L’EFAM n’a pas eu le temps de montrer toutes ses capacités quand la Fédération du Mal a éclaté en 1960, et chacun des deux pays a créé sa propre institution. Celle du Mali a pris le nom d’école nationale d’administration (ENA) en 1961.

L’ENA, depuis, a rendu des services d’une grande qualité en matière de formation. Les magistrats, les administrateurs civils, les économistes qui y ont été formés ont rendu service à l’état. à la même époque, en 1963, le Mali a ouvert sa propre école normale supérieure (ENSUP) avec pour mission de former des enseignants pour le cycle secondaire. Formés à l’ENSup, les professeurs d’histoire-géographie, de philosophie, de psycho-pédagogie, de mathématiques, de physique-chimie, de français, de russe, d’anglais, d’arabe, d’allemand, de biologie ont fait leur preuve tant au niveau national que sous régional.

En 1962, l’école des travaux publics, l’école fédérale de l’Afrique occidentale francophone a connu une réforme ; elle sera désormais l’école nationale d’ingénieurs. 1962 est aussi l’année d’une réforme originale de l’éducation dans notre pays.

Complément d’information

à la lecture de notre parution sur l’enseignement supérieur colonial,   « L’Essor » du 26 juin 2020, nous avons reçu de Dr Mohamed Salia Maïga, diplômé de l’école nationale d’ingénieurs de Bamako, auteur d’une thèse de doctorat soutenue en 1983 à Centrale Paris, les informations suivantes :

Sur Boubakar Ba

Boubacar Ba a été le premier président d’un jury de doctorat soutenu au Mali, à l’exception des thèses médecines et de pharmacie. Il s’agit de la thèse de doctorat présentée en 1973 par Bakary Traoré. Cette thèse a été soutenue au Centre pédagogique supérieur, dans le cadre d’une collaboration entre l’Unesco et le gouvernement du Mali pour la formation des enseignants du supérieur. Bakary Traoré a travaillé sur le thème des « Courbes généralisées de L.C. Young et Contrôle optimal ».  Bakary Traoré faisait partie d’une cohorte qui a compté dans ses rangs, Niamanto Diarra et Tiémoko Mallé. élève brillant, Bakary Traoré a été admis au DEF en 1963. C’était la première promotion de ce diplôme, juste après le BEPC de 1962.

Il a enseigné dans les écoles primaires avant de réussir son admission, en tant qu’étudiant professionnel, à l’école normale supérieure, Option mathématiques. En 1970, il a été retenu dans le programme universitaire cité plus haut. Donc, il lui a fallu dix ans pour arriver au sommet. Il a assumé d’importantes responsabilités avant d’être nommé ministre de l’éducation nationale. Bakary Traoré a perdu la vie dans des circonstances douloureuses, lors des évènements de 1991 qui ont vu la chute du régime de Moussa Traoré. Nombreux sont ses anciens étudiants et ses camarades qui pensent que l’homme doit être réhabilité.

L’actuel président du Niger, Mahamadou Issoufou fait partie de la première promotion des étudiants nigériens inscrits au Centre d’enseignement supérieur ouvert par Boubakar Ba. Il y a débuté des études de mathématiques avant d’opter pour l’école des mines à Saint-étienne.

Les normaliens maliens

D’après Dr Mohamed Salia Maïga, il faut inscrire sur la liste d’excellence le Pr Harouna Kanté, ancien directeur de l’ENI et ancien ministre de l’Enseignement supérieur pendant la Transition de 2013. Feu Harouna Kanté était diplômé de l’école située à Cachan. Il était spécialiste du génie civil.

Leopold Sedar Senghor

De Dr Ibrahim Sagayar Touré, ancien du lycée Henri IV et deux fois admissibles au concours d’entrée à l’école normale supérieure de Paris, en juin 1975 et juin 1977, actuellement professeur de philosophie à l’école normale supérieure de Bamako, nous avons reçu la précision suivante : Senghor ne s’est pas directement inscrit au lycée Louis-le-Grand, à son arrivée à Paris. Il a commencé par la Sorbonne.

Il ne se retrouvait pas confortablement dans le programme et les méthodes pédagogiques de cette université. Alors, il demanda conseil à un de ses professeurs qui l’orienta vers le lycée Louis-le Grand. Et là, il est allé directement en deuxième année. Il n’a pas fait Hypokhâgne. C’est dire qu’il avait beaucoup de mérite.

Dr Ibrahim MAÏGA

Source : L’ESSOR