La 26e édition du festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) a vécu sur le sol Burkinabé du 23 février au 2 mars 2019, avec la participation de 7 films maliens. Si aucun des représentants maliens n’a pu décrocher l’Etalon d’Or de Yennenga, décerné au Rwanadais Joël Karekezi, les cinéastes maliens ne sont rentrés bredouilles. Car le film ” Jamu Duman ” “Quel valeureux nom as-tu ?” de Salif Traoré a reçu le prix Uemoa.  Dans l’entretien qui suit, le réalisateur malien revient sur la participation du Mali à ce grand évènement culturel. Il fait également un diagnostic du mal qui empêche le Mali de retrouver son éclat d’antan dans le cinéma et n’hésite pas à se prononcer sur quelques défaillances dans l’organisation du Fespaco 2019.  

Aujourd’hui-Mali : Bonjour, pouvez-vous présenter à nos lecteurs

Salif Traoré : Je me nomme Salif Traoré, cinéaste-réalisateur malien. Je suis le secrétaire général de l’Union nationale des cinéastes du Mali. Je suis également le président du Conseil consultatif de la Fédération panafricaine des cinéastes d’Afrique. Détenteur du prix Uemoa du Fespaco 2019 avec le film intitulé “Jamu Duman”.

Vous venez de prendre part à la 26e édition du Fespaco, alors pouvez-vous nous dire comment vous avez vécu cet évènement ?

Cette 26e édition, pour chaque cinéaste présent, était de revisiter encore nos mémoires parce que le thème de l’édition de cette année était de “revisiter les mémoires” et aussi reconstruire un cinéma africain à travers son passif. C’est ce qui été vécu pendant le Fespaco. Nous avons aussi, à l’occasion, revu tous les grands films qui ont fait le cinéma africain par le passé dont nous avons rencontrés certains acteurs qui vivent encore. Le Fespaco est un vivier et c’est toujours enrichissant de participer aux éditions de ce festival où nous rencontrons les acteurs et les vrais défis du cinéma. Je l’ai bien vécu cette 26e édition et je crois que tous les hommes de la culture doivent prendre part à cet évènement qui est un véritable point de rencontre entre les cultures du monde.

Vous avez été le seul réalisateur malien à avoir décroché un prix lors cette 26e édition du Fespaco. De quel prix s’agit-il et quels sont vos sentiments par rapport à cette distinction ?

Je pense que ce n’est pas à moi seul que ce mérite revient, parce que si je dois dédier ce prix à quelqu’un, je le dédierais aux étudiants du Conservatoire. Parce que ce sont eux qui m’ont accompagné dans ce projet qui a été nourri au Conservatoire des Arts Balla Fasseké et qui y a grandi. Ce film a servi de levier aussi pour la formation. Il y a notamment Gaoussou Tangara qui a été mon premier assistant et mon cadreur. Il a non seulement monté le film, mais il était présent à mes côtés du début jusqu’à la fin de sa réalisation. C’est l’esprit de cette jeunesse du Conservatoire qui a soufflé sur ce film et j’en suis fier.  C’est le prix de l’Uemoa

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées en tant que cinéaste lors de ce Fespaco ?

Bon, si je dois parler de difficulté au cours de cette édition, je parlerais de la mauvaise organisation du Fespaco. Ce festival a atteint une certaine maturité avec ses 50 ans d’existence et si son organisation doit encore rester à la traine, c’est vraiment dommage. Les accréditations n’ont pas été faites à temps, le programme n’est pas sorti à temps, des billets ont été mal élaborés. Il y a eu aussi d’énormes carences organisationnelles lors de la cérémonie de clôture. Je crois que tout cela ne donne pas une meilleure image de l’évènement qui fait aujourd’hui la fierté de l’Afrique.

Le cinéma ne va pas sans financement, alors qu’en est-il du cas du Mali ?

Sur le plan financement du cinéma au Mali, il faut reconnaitre que des efforts sont en train de se faire, mais il faut encore plus pour que le cinéma malien puisse retrouver son éclat d’antan. Vous savez pendant un certain, le cinéma malien était au sommet du cinéma africain et nous sommes toujours nostalgiques de ces films, mais il faut reconnaitre que ces réalisateurs étaient des créateurs indépendants.

Je crois cette crise liée au financement du cinéma on la vit partout, pas seulement au Mali et en Afrique. Je crois que le développement du cinéma malien doit passer par les fonds nécessaires qui doivent sortir d’un accompagnement de l’Etat. C’est un appui institutionnel qui ne doit pas faire défaut. Néanmoins, l’Union Africaine est en train de mettre en place une commission du cinéma et un fonds panafricain qui va être créé.  En plus, l’Union Africaine est en train d’élaborer un projet qui va demander à chaque Etat membre d’allouer des locaux au Cinéma. C’est très important. Ainsi les cinéastes pourront avoir un financement raisonnable dans leur pays et pourront aussi prétendre à un fonds panafricain. Ce qui va sans doute booster encore plus le cinéma africain.

Selon vous, au de-là du financement, qu’est ce qui manque au cinéma malien aujourd’hui ?

Vous savez, les pionniers du cinéma malien ont bénéficié de bourses pour faire des études en cinématographie et depuis un certain temps l’Etat ne donne plus de bourse digne de ce nom. Cela fait un certain temps que nous n’avons pas reçu au Mali d’étudiants rentrés au pays avec une formation purement axée sur le cinéma. En plus, la plupart des jeunes sont formés sur le tard. Nous avons vraiment besoin de formation aussi dans ce domaine. Car pour pouvoir réaliser une vraie production, un vrai film, il faut un vrai scenario. Et si une personne veut venir dans le cinéma alors qu’il ne sait pas écrire un bon scenario, je pense qu’on passe complètement à côté de la plaque. Il faut d’abord résoudre ce problème et c’est ce que nous essayons de faire au Conservatoire des Arts Balla Fasséké.

Qu’est ce qui empêche le cinéma malien de rivaliser avec ceux des autres pays africains ?

Le cinéma malien a toujours a placé la barre très haut. Il faut le reconnaitre. Je prends un seul film comme “Yeleen” de Souleymane Cissé qui a été classé 49e mondial et depuis il n’a pas été détrôné. Ce film est enseigné dans les écoles en France. Il y a deux ans, ce film était un sujet de baccalauréat en France. C’est vrai qu’il y a des lacunes, notamment sur le plan de la formation, mais malgré ce manque de formation et de financement j’ai toujours de l’espoir quant au cinéma malien car il n’y a pas d’édition de Fespaco sans le Mali et je vous fais remarquer aussi que les jeunes sont en train de booster ce cinéma à leur niveau, aujourd’hui.

Je pense que le cinéma malien est en train de tirer son épingle du jeu. Il y a eu au moins six Maliens qui ont présenté des films au Fespaco cette année et c’était avec leurs propres moyens. Ça, c’est déjà un succès et l’avenir du cinéma malien reste prometteur. Ces jeunes ont du potentiel. Ils ont seulement besoin de l’accompagnement de l’Etat pour aller plus loin dans le cinéma africain et mondial.

Quel sera votre dernier ?

J’exhorte les hommes de presse à repenser le cinéma malien avec les acteurs et d’accompagner cette cinématographie car les medias ont ce moyen. Il y a beaucoup de potentiel à exploiter dans ce domaine. Que les jeunes cinéastes sachent qu’ils ont certes les avantages des nouvelles technologiques pour faire des films, mais que c’est tout esprit qui est caché dernière la réalisation d’un film. Je demande aux jeunes de revisiter les anciens, notamment les films maliens.

Réalisé par YOUSSOUF KONE  

 

Source: Aujourd’hui-Mali