La demande exprimée le vendredi dernier par Bujumbura pour l’arrestation du haut représentant de l’Union africaine au Mali, est assimilable au plus grand test que la justice malienne ait connu. Sollicitée ainsi par le mandat d’arrêt lancé contre l’ancien président burundais Pierre Buyoya et la demande de son extradition, à répondre sur la scène internationale pour la première fois de son histoire, la justice de notre pays se retrouve une fois encore devant la rude épreuve censée jauger son indépendance, son impartialité et donc sa crédibilité.

Le Mali va-t-il protéger l’ancien président burundais contre la justice de son pays pour ainsi lui servir de terre d’asile en lieu et place de terre de mission qu’il lui a constituée depuis octobre 2012 jusqu’ici ?  Va-t-il opter pour sa bonne image à l’international en le mettant à la disposition du procureur général du Burundi ? Le moins que l’on puisse dire pour l’heure est que les yeux sont une fois encore, après le cas Sanogo, rivés sur notre pays au niveau de son appareil judiciaire. Ce, à compter de vendredi 30 novembre 2018 après que le procureur général du Burundi ait demandé l’arrestation de Pierre Buyoya et de seize autres responsables pour leur implication éventuelle dans l’assassinat de l’ex-président Melchior Ndadaye, en 1993.

Au Mali où cette demande faite depuis Bujumbura a eu l’effet d’un dossier déposé sur la table de nos décideurs, c’est la justice qui se retrouve à la croisée des chemins. Elle a beau fuir son premier véritable test en faisant preuve d’une certaine nonchalance dans le procès du gros poisson Amadou Haya Sanogo ; mais elle a fini par être rattrapée par un autre dossier, celui plus mastodonte du putschiste récidiviste du Burundi ; lequel dossier l’expose plus que jamais aux yeux de la communauté internationale en général et de la Cour Pénale Internationale (CPI) en particulier.

En effet la justice malienne a déjà failli dans son parcours à plus d’un titre. Outre le fait qu’elle ne veut visiblement pas juger Amadou Sanogo parce que l’on craint peut-être des révélations çà et là, il y a eu aussi la cuisante déroute subie par la lutte contre la corruption via l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (Oclei). À peine mis en place en mars 2017, cette structure a rapidement courbé l’échine huit mois plus tard sous la pression du Syndicat national des travailleurs des administrateurs d’État (Syntade), hostile à l’obligation de déclaration de revenus. La justice et le Gouvernement de la République ont ainsi mis l’Oclei en sommeil pour laisser perdurer de petites cuisines internes. Autre constat d’échec, la relaxe déconcertante de l’activiste Ras Bath abonné aux critiques acerbes sans aucun fondement et aux injures de l’autorité publique. On se croirait dans une république bananière où il suffisait d’être fils d’un dignitaire pour ne plus être justiciable.

Avec ces constats d’échec qui matérialisent ce qu’on peut appeler « verticalité du système judiciaire » ; laquelle verticalité favorise une inféodation directe au pouvoir quand on sait que tous les hauts magistrats sont nommés par décret présidentiel, il y a de quoi trouver en ce dossier Buyoya un test grandeur nature pour la justice malienne. Et, en demandant au Mali d’extrader Pierre Buyoya, le procureur Sylvestre Nyandwi qui soutient que l’actuel patron de la MISAHEL pourrait être impliqué dans la mort de Melchior Ndadaye il y a 25 ans de cela, n’est pas sans savoir que sa demande peut faire objet d’une fin de non-recevoir de la part des autorités maliennes. Celles-ci pourraient éventuellement prendre les services rendus par l’accusé à la nation malienne et au Sahel pour motif valable méritant sa protection. Toujours est-il que la justice est vivement attendue sur ce dossier.

Pour rappel, Pierre Buyoya, né en 1949 de nationalité burundaise, est le Haut représentant de l’Union Africaine pour le Mali et le Sahel depuis le 25 octobre 2012. Il est, à ce titre, chef de la MISAHEL. Il a auparavant été le chef de la MISMA du 30 janvier au 1er juillet 2013. Il participe en outre au Groupe de mise en œuvre de haut niveau de l’Union africaine (AUHIP) sur le Soudan et le Soudan du Sud, après avoir été médiateur dans le conflit tchado-soudanais. Il a auparavant été président du Burundi de 1987 à 1993 puis de 1996 à 2003.

Androuicha

L’Enquêteur