Feu Ganda Fadiga, cette bibliothèque de la culture et de l’histoire soninké, aimait susciter la soif de l’aventure chez les soninkés, Toungarankow (émigrés) depuis tous les temps. Dans ses innombrables envolées lyriques, sortes d’épopées de son terroir, qui s’étend sur un vaste territoire situé dans les trois pays Mali-Sénégal-Mauritanie, cette virtuose de la guitare, ce véritable maître de la parole assurait indéniablement à la fois une mission de rampe de lancement des soninkés vers l’émigration, et de corde de rappel de tous vers la terre de leurs ancêtres.

Ce qui fait dire aux acteurs associations et politiques des maliens à l’extérieur cette formule désormais célèbre : tout émigré vit avec sa valise dans la tête !

Plusieurs années de migrations, le mode de vie dans les pays d’accueil, la sociologie de l’émigration, la révolution technologique ont considérablement changé les relations du Tougaranké au monde qui l’entoure. Sa pleine conscience de son rôle dans la création de meilleures conditions de vie au Mali est avérée. En France, malgré des difficultés multiples, beaucoup s’engagent dans les associations, syndicats, partis politiques. Des coalitions de lutte ont permis de participer à bien des évènements majeurs en parfaite synergie avec les maliens à l’intérieur.

Lorsque le Mali fut menacé dans son intégrité territorial avant la révolution de mars 1991, les maliens à l’extérieur ont tiré la sonnette d’alarme et d’agir pour le changement. Depuis l’avènement de la 3ème République, ils n’ont jamais cessé d’être présents sur tous les fronts. La grave crise de 2012-2013, qui a failli emporté le pays, a vu les maliens à l’extérieur debout sur les remparts aux côtés de leur compatriotes de l’intérieur.

Autre phénomène notable, certains ont entamé le retour vers  le pays natal sous diverses formes, avec des projets multiformes. La récente vague a concerné la scène politique. En effet, beaucoup de candidats aux dernières élections pluralistes du Mali étaient des maliens à l’extérieur.

Ainsi le coup d’Etat du 18 août 2020, diversement apprécié par les maliens à l’extérieur, constitue aujourd’hui la nouvelle donne pour l’avenir du Mali, notamment à travers la transition en gestation. A la différence de la conférence nationale de 1991, les journées de Concertation nationale des10-11-12 septembre 2020 ne suscitent pas autant d’engouement et d’espoir auprès des maliens à l’extérieur. Ces derniers ne disposent pas d’informations officielles en provenance du pays, et se considèrent de ce fait ignorés par les Autorités actuelles.

Ils ressentent ainsi une double exclusion du processus de mise en branle de la transition. D’une part ils n’ont pas bénéficié d’espace d’échanges et de propositions semblables à celui mis en place lors du Dialogue National Inclusif DNI, à l’instar des autres régions du Mali. D’autre part, jaloux de leurs contributions diverses à la vie du Mali, les Maliens à l’extérieur trouvent injustifiés leur mise à l’écart des grandes décisions de la Nation. Le Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur (HCME), organisation faîtière sensée leur permettre de se faire entendre et de faciliter leur participation efficace à la gestion des affaires de ce pays, est en crise permanente depuis sa création en 1992. Il n’arrive donc pas à mobiliser les maliens à l’extérieur autour des grands enjeux nationaux. Pire, on assiste à une démultiplication de structures concurrentes pour la simple raison des divisions au sein du HCME et du manque de perspectives partagées par beaucoup de maliens à l’extérieur. Or, pour mener des actions d’envergure et porter des projets ambitieux, il faut se rassembler pour mettre les efforts en synergie. Triste illustration, lors des journées de la concertation nationale de septembre 2020. On assiste à une concurrence des projets et des propositions entre deux organisations au nom de maliens à l’extérieur.

Ces faiblesses et ces difficultés ne mettent pas en cause la bataille menée par le HCME pour inscrire les maliens à l’extérieur dans la liste des organisations membres du Conseil national de transition CNT. Belle réussite. A suivre.

Plusieurs autres voies et moyens de plaidoyer ont permis aux maliens à l’extérieur d’impacter les décisions déterminantes pour une transition réussie. Ainsi la Confédération générale des Maliens de l’Extérieur COGEMEX dont le siège se trouve aussi à Bamako a pu se faire entendre et proposer des idées aux organisateurs de la Concertation nationale. Ce qui a permis à cette autre plateforme, regroupant des maliens vivant dans plus de 40 pays, de participer aux débats, mieux de faire des propositions pertinentes relatives, entre autres, copier coller sur bamada .net à la nomination des maliens à l’extérieur dans toutes les instances et organes en charge de la gestion de la transition. La COGEMEX met en avant l’expertise avérée de beaucoup de cadres et intellectuels maliens à l’extérieur, un capital qui fait cruellement défaut au Mali. Il est impératif que le HCME et la COGEMEX travaillent en synergie pour l’application des acquis inscrits dans la Charte de la transition.

Depuis les veillées de feu Ganda Fadiga en faveur du voyage vers la fortune pour revenir bâtir le pays de leurs ancêtres, que de mutations et de péripéties au sein de la société !  L’émigré actuel n’est pas exclusivement soninké. Il est moins marqué par une seule culture ethnique, il est riche de la diversité et fortement citoyen. Son rêve du Mali uni et démocratique, juste et égalitaire a toutes les chances de s’imposer un jour. Car les maliens à l’extérieur se retrouvent au cœur des préoccupations de l’intérieur. C’est une force !

Maamudu Sise

Paris, le 12 août 2020

Source: Journal le Républicain-Mali