Makan Sidibé vit et travaille à Paris depuis 1981. Ancien président des Maliens de France, Secrétaire Général du Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur et surtout ancien représentant de la diaspora au Conseil Economique, Social et Culturel, M. Sidibé en sait beaucoup sur les questions migratoires. Dans cet entretien exclusif qu’il a bien voulu accorder à Infosept depuis Paris, M. Sidibé, parle entre autres des conditions de vie des maliens de France, les problèmes auxquels ils sont quotidiennement confrontés, de la question de la réadmission aux frontières et du refus par les maliens de France des actions en cours. Il propose aussi ses solutions pour un règlement de la situation des « sans-papiers » maliens en Europe. Il donne, in fine, son éclairage sur la politique nationale d’émigration du Gouvernement malien.

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InfoSept : Pouvez-vous présenter à nos lecteurs ?

Makan Sidibé : je vous remercie M. TEMBELY ainsi que l’ensemble de l’équipe de votre rédaction, en particulier votre Directeur de publication, qui m’a sollicité pour cette interview que j’ai acceptée sans aucune hésitation. Je connais InfoSept et dois avouer que j’apprécie sa ligne éditoriale. La qualité et les compétences des hommes qui l’animent constituent indiscutablement sa principale force. Aussi, je saisis cette occasion que vous m’offrez, pour souhaiter une continuité et longue vie à ce journal, à mi-chemin, entre le journalisme d’investigation et le journalisme générale d’information.

Pour me présenter à vos lecteurs, je dirais tout simplement que je suis né à Diadioumbéra dans la commune deSérodiamanou, cercle Kayes. Je vis et travaille en France depuis 1981. En plus de mon travail de fonctionnaire au sein d’une collectivité territoriale, je milite et dirige plusieurs organisations de la société civile en France. Dans ce cadre, je suis fier d’avoir été Président des Maliens de France, Secrétaire Général du Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur et surtout d’avoir eu le grand honneur de  représenter la diaspora, pendant un mandat, au Conseil Economique, Social et Culturel de notre pays. Je terminerais cette présentation, en disant que sur le plan politique, j’assume également des responsabilités au nom des Forces Alternatives pour le Renouveau et l’Emergence (FARE AN KA WULI), en ma qualité de Secrétaire Général de la section de France, avec mandat pour l’Europe entière. Voilà M. TEMBELY ce que je souhaite dire de moi pour vos lecteurs.

 

InfoSept : Merci, vous vivez en France depuis 1981. Alors, pouvez-vous nous parler des conditions de vie des Maliens de France, les problèmes auxquels ils sont quotidiennement confrontés ?

Makan Sidibé : merci pour cette question. Avant d’aborder le cas spécifique de la France, sur lequel je m’étalerais, parce que c’est là où je vis, je dois tout d’abord admettre que d’autres pays de l’espace francophone présentent des situations à peu près similaires à celle de la France. Comme d’autres populations de l’Afrique de l’Ouest, les Maliens ont une grande tradition migratoire. On parle globalement d’environ 4.000 000  de personnes,  soit près du ¼ de la population malienne en migration internationale, selon INGE de l’institut norvégien MICHELESEN. Il indique que 96% de ces migrants maliens sont en Afrique et seulement 2,7%  des 4.000 000  en Europe dont 60 à 70. 000 en France.

Après ces éléments de contexte, revenons-en aux maliens de France. Dans le cas particulier de la France, les maliens, juste après les indépendances, étaient très peu nombreux. Mais dans les années 1970 de fortes croissances économiques, les industries automobiles françaises notamment, ont connu une certaine compétitivité grâce aux facilités faites aux travailleurs Maghrébins et Sahéliens, notamment maliens et mauritaniens qui ont été très nombreux et particulièrement dans ce secteur.

Après le premier choc pétrolier de 1973 qui annonçait une récession mondiale, la France sous M. Giscard d’Estaing, a commencé à introduire les premiers signes de sédentarisation des immigrés. C’est à partir de cette période que les conditions d’entrées et de séjours devinrent draconiennes. Apparaissent alors les exigences de titres de séjour, d’autorisations de travail avec en corolaire les difficultés de logement. Ces durcissements se sont poursuivis avec les socialistes dans les années 1982-1983, avec des pressions exercées pour le retour des immigrés clandestins. Ceci en raison notamment de la médiatisation des slogans lepéniste, du nom de LE PEN, un homme politique français de l’extrême droite. L’apparition de cette législation contraignante sur laquelle je ne m’étendrais pas, a eu des conséquences néfastes sur les conditions de vie des migrants tant sur le plan juridique que matériel, conduisant parfois à des expulsions massives vers les pays d’origines, sans compter les refus de régularisation administratives de parents d’enfants nés sur le sol français, les refus d’inscriptions dans des établissements scolaires des enfants arrivés hors regroupement familial, les suspensions de prestations sociales à expiration du titre de séjour …etc.

Ce sur quoi j’aimerai m’étendre dans cette interview, va concerner ce que j’appellerais ici

«conflits de valeurs », car cette thématique m’apparait comme faisant partie des rares sujets n’ayant jamais abondamment été traités. Elle demeure, me semble-t-il, inconnue de nos compatriotes de l’intérieur. Et s’illustre par des pratiques qui continuent d’opposer les migrants aux autorités et populations du pays d’accueil. Ces conflits sont liés entre autres, à l’arrivée des femmes, grâce au regroupement familial qui en France a été rendu possible à partir de l’arrêt officiel de l’immigration et qui marqua le début de la sédentarisation des immigrés de l’Afrique francophone. L’arrivée de femmes subsahariennes majoritairement d’origine rurale, ignorant tout des codes et réalités de la société d’accueil, restant sur des modèles traditionnels qui consistaient à obéir, écouter le mari devenu le seul représentant de la famille restée au pays. Pendant longtemps et encore maintenant pour certaines, ces femmes subsahariennes ont suivi les conseils de soumission traditionnels à l’époux. Elles font et élèvent les enfants, alors que leurs maris travaillent et perçoivent les prestations familiales. En venant en France, elles perdent une fonction économique et se cantonnent à une sorte d’enfermement autour de leur seule fonction maternelle. Cependant, autour d’elles, elles voient vivre d’autres femmes, elles élargissent progressivement leur perception de l’environnement et commencent à s’y chercher une place. Elles découvrent de nouvelles valeurs en contradiction avec leur réalité socioculturelle et cherchent peu à peu à sortir de leur isolement et de leur dépendance vis-à-vis de leurs maris. Elles fréquentent les services de protection de l’enfance et les écoles. Ceci a conduit à une évolution des mentalités, du fait de l’influence de cet environnement. Certaines d’entre elles commencent à travailler et gagner parfois de l’argent plus que leurs maris sans pour autant contribuer aux charges du ménage, en s’abritant derrière des règles traditionnelles de fonctionnement de notre société africaine où les charges du foyer incombent principalement à l’homme. Conformément à cette  tradition, elles gardent l’entièreté de leurs salaires et même, parfois, les prestations familiales.

Cette confrontation entre la tradition et les valeurs normées de la société d’accueil est mal perçue par  les hommes qui dénoncent ces attitudes nouvelles de leurs épouses et l’ont exprimé avec force lors du colloque de l’association Afrique Partenaire Service, le 20 mars 1997 en France dans les locaux de l’UNESCO.

Ils ont aussi exprimé avec force et violence leur ressenti selon lequel les assistants de services sociaux casseraient leurs familles et seraient à l’origine de l’émancipation de leurs femmes. Cet accompagnement social, selon eux,  se traduisant par des conflits qui conduisent très souvent à des divorces. Les hommes seraient mis à la porte, disent-ils, des logements qu’ils ont cherchés pendant très longtemps.

A ces déséquilibres s’ajoutent d’autres contradictions, en particulier concernant les enfants qui sont partagés entre deux modèles de familles à savoir : le modèle français de famille nucléaire, qui comme tout modèle dominant, suppose des modes de consommation que ces enfants souvent issus de familles nombreuses ne peuvent atteindre et qui leur sont en permanence inculqués par l’environnement, l’école, la télévision, la rue, etc. Et le modèle africain de famille élargie qui se caractérise, pour eux, par un logement dont la taille est inadaptée pour la plupart avec une promiscuité risquant d’être aggravée par les tensions entre coépouses dont ils peuvent être enjeux, victimes ou même parties, dans certains cas.

Sans poser d’apriori ni de jugement, les constats soulevés ci-dessus posent toute la question liée à  la problématique de l’intégration et de l’assimilation, de l’identité et de l’universalité.

En ce qui me concerne, je pense que si l’intégration n’est pas synonyme d’assimilation ou d’uniformisation, les communautés maliennes doivent et peuvent s’intégrer en France, sans s’opposer de manière frontale aux valeurs de leur pays d’accueil. Voici ici mon point de vue sur cette question des « conflits de valeurs » qui nous posent tant de problèmes en France.

 

InfoSept : que pensez-vous de la question de la réadmission, son refus par les maliens de France et les actions en cours ?

Makan Sidibé : comme vous le savez, la publication d’un communiqué conjoint entre l’Union Européenne et le Ministère malien des Affaires étrangères, de la coopération et de l’intégration Africaine, en décembre dernier a jeté  dans l’esprit de nos compatriotes, en particulier ceux de France et d’Europe, un grand trouble qui a donné lieu à des actions de masses, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Dans l’inconscient du plus grand nombre de nos compatriotes, il s’agit d’une attitude de trahison de la part du gouvernement vis-à-vis d’une catégorie importante de la population, qui, au risque de sa vie, a tout donné pour assurer l’entretien de nombreuses familles et au-delà, contribuer au développement économique et social du pays.

Le mécontentement général généré par ce document a conduit partout en Europe et même à l’interne au pays, à des actions plus ou moins importantes, selon les lieux. En France, pays de liberté, des droits de l’homme et des lumières, nous avons fait connaitre notre mécontentement sous la forme de manifestations devant les locaux de l’Ambassade du Mali dans un premier temps.

Dans un second temps, les jeunes maliens de France, à travers une association baptisée

«mains propres » ont occupé les locaux du Consulat. Le gouvernement ayant pris conscience de l’ampleur du mécontentement, a dépêché le ministre de tutelle des Maliens de l’extérieur et après lui, celui du domaine de l’Etat et des affaires foncières, M. Mohamed Aly Bathily. Aucun des deux n’a pu convaincre de la bonne foi du gouvernement, lors des rencontres houleuses qu’ils ont tenues.

Notre conviction ici à Paris est que, signature ou pas, le document publié est parti d’un sentiment et d’une volonté d’agir dans la même direction que l’Union Européenne. Pour elle, qui a poussé ses frontières au-delà de ses propres limites territoriales, son souhait aujourd’hui comme toujours est de satisfaire son opinion publique en vidant l’Union Européenne de tous les Africains musulmans pour les remplacer par d’autres catégories de migrants de culture judéo-chrétienne. Cette tentative ancienne et régulière de l’Union Européenne s’est toujours heurtée aux refus catégoriques de plusieurs chefs d’Etats africains et plus particulièrement de la part de notre ancien Chef d’Etat Amadou Toumani Touré. En signant un communiqué conjoint sur cette question, nos gouvernants, à nos yeux, ont fait preuve de légèreté ou d’aveuglement sur les véritables enjeux de la présence des migrants maliens en Europe. Par ailleurs, nous suspectons le gouvernement de se servir de cette question pour tenter d’assoir une politique d’émigration qui mette en avant le développement économique des zones d’immigration. Cela ne saurait se faire au détriment des migrants. Sur cette question comme sur tant d’autres, le gouvernement ne consulte pas, alors que la gestion de l’immigration ne peut être juste et efficace que si elle repose sur ses trois pieds : autorités des pays d’origine et d’accueil et représentants des migrants. En oubliant cette règle essentielle on se confronte à des manifestations parfois violentes telles que celles qu’a connu le ministre des maliens de l’extérieur fin décembre 2016 dans les locaux de l’hôtel de ville de Montreuil.

Pour rester en alerte, nous avons réuni l’ensemble de nos structures associatives et politiques importantes dans une coordination de veille pour lutter contre ce projet de réadmission à l’échelle européenne. Des actions de sensibilisation sont prises en charge dans le cadre de cette structure, tant avec la presse qu’avec les décideurs maliens et européens.

 

InfoSept : Quelles solutions pour régler la situation des « sans-papiers » maliens en Europe?

Makan Sidibé : cher Monsieur, comme vous le savez très probablement, l’immigration relève de la souveraineté nationale de chaque pays. Cela veut dire que les pays d’origine et d’accueil sont libres de décider de ce qu’il y a de mieux pour leurs ressortissants, à la seule condition que ces décisions soient conformes  et respectueuses des droits humains ainsi que des traités internationaux en vigueur. Les « sans-papiers » avant qu’ils n’en deviennent, appartiennent d’abord à leurs pays d’origine.

Pour le cas spécifique des ressortissants de notre pays, il n’est pas rare que certains émigrent en raison de crises politiques majeures. D’autres quittent souvent  notre pays par tradition, avec comme objectif de se réaliser dans les pays d’accueil. En Europe, ils prennent le sobriquet  de « migrants économiques ». La France qui accueille le plus gros contingent de migrants en Europe, depuis 1981, a connu une seule régularisation massive.  C’est celle que François Mitterrand a décidé après sa première élection à la magistrature suprême en mai 1981. On peut dire que cette régularisation est d’origine idéologique, car M. Mitterrand, homme politique de gauche, a voulu par ce geste, inscrire la gestion des flux migratoires dans des préoccupations politiques de soutien aux pays du tiers-monde pour satisfaire une certaine opinion de la Gauche ayant soutenu sa candidature. Pleine de connotation politique, la régularisation de 1981 répondait également à un besoin économique, en ce sens que le premier critère exigé pour obtenir la régularisation, était la possession d’un contrat d’engagement professionnel délivré par un employeur. Ceci pour dire que de tout le temps, l’économie française a su et pu absorber les migrants irréguliers sur son sol.

C’est avec l’apparition des idées lepénistes, en début des années 1980, que la thématique

«immigration » est apparue comme un « fonds de commerce » électoral assez porteur en voix. Pour moi, il n’y a de solution en dehors de la capacité des entreprises françaises à absorber les migrants irréguliers.  Plus il y en a, mieux c’est pour les entreprises françaises afin de réguler leurs besoins de mains d’œuvres concernant des emplois non qualifiés et sous-payés.

Que ce phénomène soit médiatisé ou pas, la France a toujours recouru à l’immigration clandestine pour les besoins de son économie. Tous les régimes qui se sont succédé, de Gauche, comme de Droite, ont mis en place des législations pour la régularisation des migrants, lorsqu’il s’agissait de répondre à un besoin économique. Il en fut ainsi pour Mitterrand, Chirac, Sarkozy et maintenant Hollande.

 

InfoSept : quel est votre point de vue sur la politique nationale d’émigration du Gouvernement Malien ?

Makan Sidibé : La politique nationale de l’émigration adoptée par le gouvernement de notre pays, selon les échos qui nous parviennent aurait comme objectif de tout faire pour maintenir à la source les candidats à l’émigration. Le moyen pour y parvenir réside dans l’engagement du gouvernement et les partenaires bilatéraux et multilatéraux à investir massivement pour développer les terroirs d’origine.  Cette préoccupation qui part du bon sens, ne peut que retenir notre attention et même acquérir notre soutien.

Comme évoqué précédemment, cette politique, comme d’autres concernant les expatriés maliens, doit être préalablement soumise à discussion pour avoir un sens et recueillir une adhésion massive. On me dira qu’il en a été ainsi. Je pense personnellement que la discussion doit traverser l’ensemble des courants de pensées de notre pays pour aboutir à une stratégie politique consensuelle de la gestion des flux migratoires. Nous avons vu avec l’occupation du consulat du Mali en France en décembre 2016, que la question de l’immigration est une préoccupation nationale transversale qui dépasse tous les clivages.

Ainsi, si je dois résumer, je dirai que je partage la philosophie de la politique actuelle mais j’émets de sérieuses réserves quant à la manière de sa mise en œuvre. La signature conjointe Mali-Union Européenne sur la réadmission m’interpelle. Elle est l’illustration parfaite de ce qu’il faut éviter, à savoir mettre les parties devant le « fait accompli ».

 

Au terme de cet entretien, je remercie l’ensemble de votre rédaction pour m’avoir permis de m’exprimer sur ce sujet important de la situation de nos compatriotes de France. En leur nom, je dis merci à tous vos lecteurs qui prendront le temps de me lire. Quant à Infosept, votre journal, je lui souhaite longue vie et beaucoup de courage aux acteurs qui l’animent.

 

Réalisé par Dieudonné Tembely