Sur l’état actuel de la presse au Mali, des entreprises de presse, les conditions de création de journal, en cette journée mondiale la de liberté de la presse, Diomansi Bomboté journaliste émérite, enseignant à l’Ecole supérieure de journalisme et des Sciences de la communication de Bamako, porte son regard sur ces sujets. L’ancien professeur du Cesti de Dakar revient aussi sur la problématique de l’accès à l’information, qui est toujours “un parcours de combattant au Mali”.

Mali Tribune : Quel est l’état de la presse au Mali ?
Diomansi Bomboté : Le Mali sur le plan de la législation a été en avance en termes de liberté de la presse dans les années 90. Les autres pays qui étaient à l’avant-garde comme le Sénégal venaient copier ce qui se passait ici. L’encadrement démocratique est assez valable mais qu’est-ce qu’on en fait par rapport à la qualité de l’information, à l’impact de cette information sur l’opinion publique ? Aujourd’hui si on fait un sondage sur l’influence des médias sur les choix politiques des Maliens c’est très faible. C’est parce que notre secteur n’échappe pas à la corruption qui est la plus grosse plaie qui plombe la liberté d’expression au niveau de nos médias. La notion de règlement de compte, les journalistes sont un peu dressés pour attaquer mais beaucoup ne raisonnent pas à ça. C’est les grands drames, il faut qu’on sorte de cette spirale.

Sur le contenu, la qualité de nos journaux est assez limitée. Je dirai que les articles ne sont pas au centre d’intérêts du vécu des gens. Dans un pays où beaucoup de choses se passent mais on s’assoie pour dire qu’il n’y a pas de sujets. On attend les invitations, les séminaires qui tuent la presse. Je n’ai rien contre les séminaires, mais pas pour les couvrir. Ils doivent être un prétexte pour faire un sujet sur le domaine.

Ce qui entrave le développement de la presse, c’est aussi la limitation du marché. Nous avons un pays d’analphabète où le pouvoir d’achat est vraiment dérisoire. Ensuite nous sommes un pays pauvre, les journaux moyennement coûtent chers. Un quotidien qui a douze pages est vendu à 300 F CFA mais, vous allez à Dakar à côté, vous allez avoir un journal qui a seize pages et il est vendu à 50 ou 100 F CFA. Le contenu est trois ou quatre fois plus riche, diversifié et il y a plus d’offres à lire. Le niveau de traitement de l’information est meilleur aussi.

Il faut renoncer à la corruption et arrêter les per diem. Ce n’est pas une bonne pratique. Pourquoi ces per diem c’est parce que les journaux ne payent pas bien et donc les journalistes sont obligés de se rabattre sur ça.

Mali Tribune : Est-ce que les entreprises de presse sont viables au Mali ?
D. B. : A la normale peut être bien oui et non. Si on prend un pays comme le Mali, je mets de côté les établissements publics qui bénéficient d’un support de l’Etat avec les équipements et ressources humaines, même là on ne peut pas parler de vrais spécialistes de gestion d’entreprise de presse.
A l’Essor par exemple, il y a un nombre pléthorique de journalistes à la rédaction. Avec le nombre de journalistes qui sont à la rédaction je suis sûr qu’ils peuvent faire trois à quatre quotidiens si tout le monde est en plein rendement. Ils sont bien hyper équipés, avec des journalistes qui ont un niveau assez acceptable, mais je veux dire dans un quotidien je ne sais pas si tous ces journalistes écrivent trois articles par semaine. C’est un gâchis.
Prenez une ville comme Abidjan, avec cinq millions d’habitants, ils ont 25 quotidiens. Sur ces 25 quotidiens, le gros tirage c’est 3 000 et 5 000 exemplaires. Ce n’est pas viable.
Nous avons à peu près 13 quotidiens à Bamako mais il n’y pas de place qu’à trois ou quatre quotidiens. J’ai vu des quotidiens qui me disent tirer à 250 à 3000 exemplaires ça n’a pas de sens. Il n’y a pas de vraies entreprises de presse, ce qu’on a ici ne sont pas des entreprises que de nom. Elles ne remplissent pas les critères objectifs.

Mali Tribune : La pratique de la profession répond-t-elle aux normes ?
D. B. : Globalement, tout le monde a une certaine idée sur les fondamentaux mais pas la grande maîtrise. D’abord, l’encadrement de la rédaction manque de rigueur, de l’exigence. Il faut de vrais rédacteurs en chef qui demandent des comptes aux journalistes. Il n’y a pas de vraie critique de la production. Nous sommes susceptibles et rancuniers.
Il faut qu’il ait de vraie formation. Les stages qu’ont fait ne sont pas de bons stages. Quand je dois faire une formation de stage de journalisme, je ferai une évaluation de connaissance d’abord. A partir de cette évaluation, je saurai ce qui te manque et je vais essayer de combler ça. Hors ces stages c’est des prétextes pour avoir de l’argent. Ce n’est pas suivi ni évalué à la fin. Après on donne des petites attestations mais qui prouvent seulement que vous avez suivi la formation nécessaire.

Mali Tribune : Qu’est-ce qu’il faut faire pour améliorer l’entreprise de presse au Mali et la pratique journalistique ?
B. B. : Généralement même dans les pays développés on prend des spécialistes en gestion d’entreprise qu’on vient plaquer à des entreprises de presse. Ce ne sont pas des spécialistes en communication, mais les bagages initiaux qu’ils ont, ils s’adaptent assez facilement.

Mon dada à moi c’est deux choses : il faut qu’il ait une formation spécifique en gestion d’entreprises de presse. Quelle que soit la qualité de journaliste qui anime une entreprise de presse, leur niveau de culture générale, leur maitrise de la profession, la gestion de la composante économique est fondamentale.

Pour cela, il faut s’attaquer à la racine. A quoi ça sert de former les attachés de presse dans les ministères si ceux qui les emploient ne savent ce que sait que la communication, l’information, un journal ? Il faudrait commencer par former les ministres, voire les initier un petit peu, que les chefs soient aussi initiés au fonctionnement d’une entreprise de presse réellement.
Deuxième chose, on doit réviser les conditions de création de journal. Actuellement, il suffit d’une déclaration et payer 300 000 F CFA. Je crois que désormais, il faut éviter ça. D’abord, il faut justifier une qualité de personne ressource en qualité et en nombre.
En journalisme, il y a la qualité de la formation. Par exemple, il y a une association de professeurs de français à Bamako. Il faudrait que la profession accepte, que chaque journal donne dix exemplaires tous les jours pendant six mois. Ces professeurs lisent et voient quelles sont les fautes de syntaxe, de grammaire et de français qui sont les plus récurrentes. Ils vont élaborer un cours à partir de là. Ce n’est pas pour devenir littéraire, mais pour maitriser la langue française.
Aussi que chaque rédaction s’impose une politique de culture générale. Une fois qu’on a la carte de presse on croit qu’on est affranchi et on ne va plus apprendre non au contraire.

Au sein de chaque rédaction, on peut envisager pour le plaisir une fois par trimestre un journaliste va prendre un sujet et venir faire un exposé soit sur le plan économique, politique… vous échangez entre vous pour s’enrichir mutuellement. Le journal ne va pas se transformer en école, mais une ou deux fois par an pour améliorer la culture générale. C’est ça qui nous manque.
Il y a une chose qui me préoccupe aussi c’est la mondialisation de l’information, la multiplication de l’information. L’informatisation est un phénomène auquel nous n’échappons pas. Il y a à la fois du bon et du mauvais dedans. Dans un pays comme le nôtre, le taux de pénétration à l’internet est très bas donc nous en profitons. Il y a un segment de la société qui connait et ces dernies raisonnent et propagent l’information. Malheureusement on voit le monde à travers leurs analyses. Alors la conséquence c’est l’avènement des fake news.

Mali Tribune : Comment en tirer profit ?
B. B. : Dans un pays comme le nôtre, il faut légiférer. Il faut prendre le devant pour contrer les fausses informations. On ne doit pas permettre la diffusion de l’information sans contrôle, recoupement ni vérification. Pour la pénétration de l’internet dans notre société, je pense qu’il faudrait au moins de manière ponctuelle à l’école fondamentale une initiation à la connaissance des médias.
En ce qui concerne l’accès à l’information, l’administration centrale en général est assez perverse. Il y a l’omerta qui est rependue au niveau de l’administration. Il y a une loi des Nations unies qui combat cette pratique. L’information doit être accessible au citoyen, il ne s’agit pas seulement pour faire des journaux, mais même quelqu’un qui, aujourd’hui a besoin d’un bulletin de naissance, d’un document administratif c’est le parcours du combattant.

C’est fondamental aujourd’hui d’adopter une loi sur ça au Mali, car il n’y a pas de démocratie sans médias responsables, il n’y a pas de médias responsables sans accès aux sources d’information. Si l’information est de mauvaise qualité c’est que ceux qui sont détenteurs de la vérité de l’information ne la donnent pas au professionnel et le professionnel également ne l’exige pas.

Propos recueillis par
Kadiatou Mouyi Doumbia

Source: Aujourd’hui-Mali