Acculé dans les cordes par ceux qui ont mis à prix sa tête, pardon son pouvoir et le système qu’il incarne, le président Ibrahim Boubacar Kéita a jeté l’éponge devant la Synergie des syndicats de l’Education signataires du 15 octobre 2016. Le 16 juin dernier, il a pris la décision d’appliquer correctement l’article 39 de la loi N°2018-007 du 16 janvier 2018 qui était la principale revendication de ces syndicats depuis la rentrée scolaire 2019-2020. Et du coup, il a coupé l’herbe sous les pieds de son Premier ministre qui serait pourtant parvenu à un autre accord avec les mêmes syndicats. IBK a-t-il réellement mesuré l’incidence financière de sa décision ? Peu importe ! L’essentiel pour lui en ce moment, c’est de sauver son pouvoir. Et du coup, on passe à côté d’une belle opportunité de remettre l’école malienne sur les rails en négociant un moratoire avec les syndicats et en menant la réflexion autour d’une véritable refondation de notre système éducatif.

Le 16 juin dernier, le président Ibrahim Boubacar K2ita a pris la décision d’appliquer correctement l’article 39 de la loi N°2018-007 du 16 janvier 2018 qui était la principale revendication de ces syndicats depuis la rentrée scolaire 2019-2020. En conséquence, la Synergie des syndicats de l’Education signataires du 15 octobre 2016 mis fin à la série de grèves qui paralysait l’école publique durant près de 5 mois. Une situation aggravée par la pandémie de la Covid 19. Elle a obtenu un accord le 17 juin avec le gouvernement.

Cette décision vise plus à sauver un régime que l’année scolaire déjà escamotée comme celle de l’année dernière. «Les autorités et tous les acteurs de l’éducation savent que c’est fini pour cette année», déplore un parent d’élève. Un avis largement partagé au sein de l’opinion nationale sondée par nos soins.

Mais, loin donc d’apaiser le climat social, cette décision présidentielle expose le gouvernement à de nouvelles revendications catégorielles. Sans compter son incidence financière qui coupe déjà le sommeil aux responsables de l’Hôtel des Finances. En 2018, le crédit de paiement pour les salaires de la fonction publique et pour le personnel du ministère de la Défense et des Anciens combattants (MDAC) était estimé à près de 473 464 839 milliards F Cfa. Et selon des estimations au ministère de l’Economie et des Finances, «l’application correcte» de l’article 39 aura une un incidence financière d’au moins 40 milliards de francs CFA par an.

En prenant une décision pour calmer la rue, le président IBK prive la nation d’une belle opportunité de réellement discuter des problèmes réels de l’Ecole malienne. Un gouvernement responsable ne peut pas continuer à faire semblant de se préoccuper du secteur clé de l’Education tout en fermant les yeux sur des années scolaires dramatiquement écourtées.

La nécessité d’une refondation objective et réaliste de notre système éducatif

Il est donc urgent de sauver l’école. Et cette longue grève des enseignants du public nous en offrait l’opportunité. En effet, les acteurs auraient dû profiter de ce mouvement syndical pour jeter un regard critique sur l’Education au Mali, particulièrement sur le public. L’idéal aurait été de réunir toutes les forces vives autour de l’Ecole pour diagnostiquer les problèmes, envisager des remèdes voire la refondation objective et réaliste de notre système éducatif.

Comment améliorer le niveau général des élèves, par exemple en évitant les grèves répétitives qui tournent généralement au chantage syndical ? Comment recycler les enseignants pour espérer une école performante pour les générations futures ? Cette réflexion aurait pu aboutir sans doute à non seulement un moratoire sur les revendications syndicales du secteur pendant au moins 5 ans (dix ans auraient été l’idéal), mais certainement aussi à une refondation indispensable et urgente de notre système éducatif.

Il ne s’agit plus d’une réforme hasardeuse ou fantaisiste imposée par les bailleurs de fonds comme la Nouvelle Ecole fondamentale (NEF), le Programme décennal de développement de l’Education (PRODEC), le Curriculum de l’enseignement fondamental, l’approche par compétence, la réforme licence-master-doctorat (LMD), mais une vraie et pertinente réforme de rupture comme celle de 1962 dont l’ambition était claire et pertinente. Il faut rappeler que l’initiative de réorganiser les systèmes éducatifs africains était née à l’époque (1961) lors de la conférence d’Addis-Abeba sur l’Education.

La première réforme de l’enseignement au Mali a donc vu le jour en octobre 1962 avec comme objectif de s’attaquer aux aspects qualitatifs et quantitatifs de l’enseignement, à travers cinq objectifs : un enseignement tout à la fois de masse et de qualité ; un enseignement qui puisse fournir avec une économie maximum de temps et d’argent tous les cadres nécessaires au pays pour ses divers plans de développement ; un enseignement qui garantisse un niveau culturel permettant l’établissement d’équivalences de diplômes avec les autres Etats modernes ; un enseignement dont le contenu serait basé non seulement sur les valeurs spécifiquement africaines et maliennes mais aussi sur les valeurs universelles ; enfin, un enseignement qui décolonise les esprits.

Un enseignement adapté aux ambitions du pays

La structure de l’éducation nationale a alors changé avec un enseignement fondamental, un enseignement secondaire général, un enseignement technique et professionnel, l’enseignement supérieur, l’éducation spéciale, l’enseignement normal et l’alphabétisation. La réforme de 1962 voulait ainsi mettre en place une formation adaptée aux réalités du pays et aux exigences de son développement scientifique et technologique. Elle permit à beaucoup d’enfants en âge scolarisable d’aller à l’école et aux autres de bénéficier des programmes d’alphabétisation.

Cependant, en dépit de ce changement d’esprit de l’école malienne après l’indépendance, la réforme rencontra un certain nombre de difficultés. En effet, malgré la volonté affichée, les contenus d’enseignements n’étaient pas adaptés aux réalités du pays. L’enseignement resta plus théorique que pratique car il est difficile d’obtenir un enseignement de qualité avec des classes à effectif pléthorique. Les expériences d’enseignement dans les langues nationales, initiées à travers le pays dans certaines écoles depuis les années 1980, demeurèrent timides et sources de nombreuses discordances.

Ainsi, avec l’avènement de la démocratie, on a tenté de corriger ses dysfonctionnement sans grand succès parce qu’il y a trop de tâtonnement pour trouver la voie à suivre. Comme si nous n’avons pas d’expertise et d’expérience à capitaliser. Au lieu de l’améliorer, les réformes entreprises depuis n’ont jamais été satisfaisantes. Elles ont au contraire porté préjudice aux acquis de la réforme de 1962.

A commencer par la «Nouvelle école fondamentale» (NEF) initiée à la suite des journées de réflexion du 27 au 30 octobre 1994. La NEF avait pour finalité de «faire de l’école malienne le lieu d’émergence du citoyen patriote et bâtisseur d’une société démocratique, profondément ancré dans sa culture et ouvert aux autres cultures, maîtrisant les savoir-faire populaires et apte à intégrer les connaissances et compétences liées au progrès scientifique et à la technologie moderne…».

Un bel énoncé qui visait à supprimer toute dichotomie entre éducation formelle et éducation non formelle et à mettre en place un ensemble de disciplines et de contenus d’enseignement permettant à tous les enfants d’acquérir, à travers un multilinguisme fonctionnel, des compétences les rendant capables de s’insérer dans le système de production moderne et de s’adapter aux impératifs de changement de l’environnement.

Des modules ont été créés, parmi lesquels les activités locales, le renforcement scolaire, l’environnement, la création et l’expression, les activités sportives approfondies, la gestion du quotidien et de l’infrastructure collective, la maintenance des outils et des appareils, les artisanats non implantés localement et les techniques nouvelles.

Des réformes bâclées ou inadéquates

Une réforme qui n’a pas produit les effets escomptés  comme d’ailleurs toutes les autres initiées par la suite. Il s’agit du Programme décennal de développement de l’éducation (PRODEC) ; du Curriculum de l’enseignement fondamental ; l’Approche par compétences ; La Réforme licence-master-doctorat (LMD). A travers le Prodec, le Mali a entamé une approche curriculaire par compétences, dans le but «d’améliorer la qualité de son système éducatif». Qu’en est-il de nos jours ?

Quant à l’approche par compétences, elle visait à développer les compétences des apprenants en tenant compte au moment de l’élaboration des programmes. Dans le curriculum, la compétence se définit comme étant «un ensemble de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être constatés et mesurés, permettant à une personne d’accomplir de façon adaptée une tâche ou un ensemble de tâches».

Dans ce pays nous avons le complexe des grandes formules qui, dans la pratique, se révèlent toujours être des coquilles vides.  A l’image du système LMD institué  (ou imposé par le CAMES) dans notre enseignement supérieur public par le décret N° 08-790/RM du 31 décembre 2008. Il s’agissait de «répondre aux exigences de la mondialisation en matière d’enseignement supérieur».

Si au fil de ces réformes les taux brut et net de scolarisation ont été améliorés, le pays n’a pas toujours été proche d’atteindre ses objectifs de l’éducation pour tous. Ainsi, en 2013, le taux brut de scolarisation du Mali était de 81,5 % avec 89,1 % pour les garçons et 74 % pour les filles. Le taux net de scolarisation était de 62,1 % au niveau national avec 68 % pour les garçons et 56,4 % pour les filles. Si encore ses statistiques sont fiables puisqu’il n’est pas rare de gonfler les chiffres pour bluffer les Partenaires techniques et financiers (PTF).

Si les effectifs grimpent, le niveau n’a jamais cessé de dégringoler. Jadis cité en exemple pour son niveau, l’Ecole malienne est à la traîne avec un système qui est sans doute l’un des plus médiocres de la planète.

«Si vous voulez détruire un pays, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et coûter cher en vies humaines. Il suffit de détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption. Ensuite, il faut attendre vingt ans et vous aurez un pays constitué d’ignorants et dirigé par des voleurs. Il vous sera très facile de les vaincre», conseilla un sage chinois à son empereur. Le Mali est dans cette logique depuis 1991, malgré une soi-disant démocratie instaurée. Hélas !

Moussa Bolly

Source: LE MATIN