Daouda Tékété est l’auteur des plusieurs ouvrages dont Média, école et éducation citoyenne en Afrique et Systèmes éducatifs en Afrique : forces et faiblesses. Ancien journaliste à l’Office de radiodiffusion et télévision du Mali (ORTM), ancien conseiller technique au ministère de l’Éducation nationale, Daouda Tékété a accordé une interview  à Sahel Tribune, la semaine dernière. Il était question de la crise scolaire au Mali et des réformes à envisager. Nous publions la seconde partie de notre entretien.

Sahel Tribune : Le gouvernement a accordé un statut particulier aux enseignants du secondaire, du fondamental, de l’éducation préscolaire et spéciale, depuis 2018. Comment comprenez-vous tous les problèmes autour de la mise en application de ce statut ?

Daouda Tékété : Le défaut de la plupart de nos États africains, dont le Mali, est d’avoir une vision inégalitaire de la gestion des ressources humaines. C’est le fondement même de l’État qui explique la plupart des situations dans lesquelles ces pays africains se trouvent aujourd’hui. Des situations dont ils peinent à s’en sortir.

Les mécanismes politiques établis par ces États africains ne peuvent que générer tous ces problèmes auxquels nous assistons, notamment cette problématique de l’article 39 des syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016.

De quelle vision inégalitaire parlez-vous dans la gestion des ressources humaines ?

L’État est inégalitaire. Au niveau de la gestion des ressources humaines, certaines couches sont privilégiées par rapport à d’autres. Les couches, qui constituent le fondement même de l’économie du pays, ont très peu accès aux ressources qu’elles créent.

Que font les États africains, y compris l’État malien, pour permettre au monde rural (les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs) d’améliorer leur condition de vie ? Pratiquement rien. Alors que toutes les ressources généreuses permettant à l’État de fonctionner sont créées par ces populations. Mais en retour, elles ne bénéficient presque rien des ressources qu’elles créent. Et, pourtant, elles permettent à l’État de vivre.

Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il y  aurait plusieurs articles 39 au Mali ?

Je pense qu’en créant une fonction publique d’État, y compris des collectivités, nous avons essayé d’appliquer des mesures qui ne conviennent pas à notre façon de vivre et de nous gérer. Ces mesures venues de l’extérieur et imposées à nos États font qu’aujourd’hui, ceux-ci n’arrivent même plus à faire face à leur propre fonctionnement.

L’essentiel des ressources que l’État fait créer par les populations au Mali, y compris en Afrique de manière générale, vont dans la satisfaction des besoins de l’extérieur, mais pas de l’intérieur. C’est ce qui me fait dire que le Mali est un État extraverti.

Aussi longtemps que nous allons perpétuer dans un tel système d’État, je crois qu’il y aura plusieurs articles 39 dans ce pays. Il faudrait que nous ayons la force, le courage de refonder complètement l’État.

À la place des autorités en charge de l’éducation aujourd’hui, quelle recette préconiserez-vous pour redresser l’école malienne ?

Il ne s’agit pas seulement, en parlant de redressement, de faire des réformes. Il faut, à mon avis, changer complètement le système éducatif, tant dans sa forme que dans son contenu. En faisant en sorte que notre système devienne de moins en moins extraverti.

Cela ne peut se faire qu’en nous inspirant de ce que nos ancêtres nous ont laissé. Des héritages que nous pouvons adapter au contexte actuel de notre évolution historique. Cela est parfaitement faisable. De façon progressive, il faut un changement radical.

À quoi consiste l’extraversion du système éducatif malien ?

Cette extraversion s’explique essentiellement par le médium d’enseignement. Tout est enseigné dans des langues étrangères. L’Afrique est le seul continent où on enseigne, de la première année jusqu’au supérieur, dans des langues étrangères.

Aussi longtemps que nous allons faire cela, nous allons réfléchir dans leurs visions. Parce que toute langue traduit une vision.

Ce système a fait de nous des esclaves mentaux, sans que nous nous en rendions compte, à des degrés divers. Aussi longtemps que nous allons perpétuer ce système, nous serons des extravertis.

Aussi longtemps que nous allions essayer de nous gérer avec la vision de l’extérieur, avec un système éducatif qui nous est imposé de l’extérieur, nous irons toujours d’instabilité sociale en instabilité politique.

Propos recueillis par Bakary Fomba

Source: Sahel Tribune