Bamako, 24 Nov (AMAP) Début novembre. Route du camp de déplacés de Senou-Lafiabougou. Nous sommes obligés, à plusieurs reprises, de demander notre chemin. Après trois arrêts, le chauffeur, les nerfs en pelote, suit les indications, en slalomant entre les nids de poule. Au loin, on aperçoit des tentes de fortune. A quelques encablures du camp, nous croisons une fillette d’environ 8 ans, un fagot de bois sur la tête, qui se dirige vers des abris faits de bric et de broc. Curieuse, elle s’approche du véhicule. Il est 10 heures, ce lundi, jour d’école. Elle explique qu’elle était allée chercher du bois pour sa mère. Pourtant, elle est à l’école « C’est après cette tâche que je vais en classe », explique la petite Malado Boly.

En suivant ses indications, nous nous dirigeons vers un hangar qui sert de lieu d’encadrement des enfants sur ce site. La porte n’a pas de battants, les fenêtres non plus. A l’intérieur, une soixantaine d’enfants nous accueillent, en saluant en chœur. En français.

Dans la classe, en tout, huit tables bancs pour un effectif d’environ 80 élèves. Une grande natte est étalée à même le sol sur laquelle certains élèves sont assis. Certains ont des ardoises, d’autres n’en ont pas.

C’est dans ces conditions que la maitresse essaie, tant bien que mal, d’apprendre à écrire et à lire aux enfants de déplacés. « J’ai été détachée par le Centre d’animation pédagogique (CAP) de Sénou pour suivre ces enfants. malheureusement, c’est dans ces conditions que j’enseigne, comme vous pouvez le constater ». « Nous sommes sous un hangar. Les rayons de soleil entrent dans la classe. Avec le froid qui s’installe, ce ne sera pas facile pour les enfants avec des fenêtres dépourvues de battants. Nous n’avons pas assez de tables-blancs. Le matériel didactique, n’en parlons pas. Les élèves réclament des ardoises, de la craie, des cahiers. Moi-même, je n’en ai pas », témoigne Assoumatou Coulibaly.

L’enseignante explique qu’elle dispense le programme de la 1ère année. « J’ai 80 enfants inscrits. Les cours se déroulent de 8h à 12h et de 15h à 17h. Au début, ce n’était pas facile. Je parle le Bambara et le Français, les élèves parlent le Peulh. Après cinq à six mois ensemble, ça commence à aller », souligne notre interlocutrice.

« Ce camp de déplacés accueille plus de 350 enfants », dit Kola Cissé, président de l’Association Pinal (l’éveil en fulfuldé). Ceux qui sont inscrits au cours d’alphabétisation sont constitués en deux groupes. Le premier compte 80 enfants de 5 à 7 ans. « Grâce à l’aide de la direction du développement social, nous sommes parvenus à avoir du CAP de Sénou une institutrice payée par le gouvernement. Nous avons fait établir des actes de naissance pour les enfants pour qu’ils puissent être considérés comme des enfants scolarisés », explique Kola Cissé. « Il y a un deuxième groupe de 35 enfants qui sont dans une classe spéciale. Il s’agit de ceux qui ont dépassé l’âge de la scolarisation. Ils ont entre 8 et 16 ans », explique-t-il.

L’Etat ne prend pas en charge le salaire des enseignants de ce deuxième groupe. « C’est une association que j’ai mise en place avec l’aide de personnes de bonne volonté qui s’occupe de ce volet. Nous avons deux enseignants que nous payons mensuellement. Un enseignant apprend aux enfants à lire et écrire en français. L’autre s’occupe de l’alphabétisation en fulfulde », a encore dit M. Cissé.

Il ajoute que ce n’est pas l’école formelle mais juste de la formation. « J’ai vu que les enfants trainaient dans la camp. J’ai eu l’idée de les occuper. C’est un bâtiment prévu pour être un poulailler qu’on a aménagé », révèle-t-il. Au début, des nattes servaient de tables-bancs. Le CAP de Sénou a fourni une dizaine de tables-bancs. « On a essayé d’aménager le bâtiment en deux salles de classes et une bibliothèque. L’aménagement n’est pas encore fini. En attendant, les enfants ont commencé la formation », explique Kola Cissé qui invite l’Etat à prendre des dispositions pour la scolarisation de ces enfants. « Ce serait une façon de les sauver », estime-t-il.

SOUS UN HANGAR – A la différence du site de Sénou, les camps de Niamana, Faladiè Garbal et de l’ex-Centre Mabilé bénéficient de l’accompagnement du Conseil appui pour l’éducation à la base (CAEB), une ONG nationale, grâce à un financement de l’ONG internationale Oxfam.

Kadiatou Anne Malet, agent de développement, indique que le projet des personnes déplacées a débuté en juillet 2019. “Nous travaillons dans le cadre de l’éducation des enfants déplacés internes de 7 à 12 ans en leur donnant des cours de rattrapage sur les différents sites de Faladié, Niamana et Sogoniko. Cette formation permettra de les transférer, immédiatement, dans des écoles primaires publiques », explique-t-elle. “Nous sommes en collaboration avec les CAP, le service social, et beaucoup d’autres acteurs du secteur éducatif”, révèle Mme Kadiatou Anne Malet qui ajoute que la formation professionnelle des jeunes de 13 à 18 vient de débuter.

Courant novembre, un jeudi. Nous sommes sur le site de Faladié Garbal qui accueillent de nombreux déplacés. Sous un hangar, un enseignant apprend à lire à une cinquantaine d’élèves. Aliou Alassane, c’est son nom, explique que c’est l’ONG CAEB qui finance cet apprentissage. « Ça concerne plus de 100 enfants. Ceux qui étaient scolarisés et ceux qui ont atteint l’âge. L’âge limite est fixé à 12 ans », précise-t-il tout en déplorant l’absentéisme de certains enfants. « Au début, on avait plus de 100 enfants. Certains ne viennent pas à cause de la faim », témoigne-t-il, ajoutant qu’il est, souvent, contraint d’arrêter les cours quand les enfants se plaignent de la faim.

Certains enfants, qui n’ont pas eu la chance d’intégrer le programme de l’ONG CAEB, se font assister par un autre enseignant. Dans une cour, sous un hangar, des enfants sont entassés sur une natte pour suivre les enseignements. « Comme vous le constatez, nous n’avons pas de tables bancs. C’est difficile pour l’écriture. On n’a pas de matériels scolaires. J’essaie d’acheter certains outils, moi-même », confie le maître Tiénou Francis.

Sur le site de Niamana, derrière le marché à bétail, les conditions sont similaires. Ici, une centaine d’enfants sont suivis dans le cadre du projet de l’ONG CAEB. Sur le site officiel des déplacés, à l’Ex-Centre Mabilé, une soixantaine d’enfants bénéficient, également, de l’appui de CAEB. Là, vivent 349 âmes. Des enfants en majorité. Ceux qui bénéficient du projet de CAEB, sont repartis entre trois salles de classes. L’ONG CAEB paie le salaire des enseignants et met à disposition les fournitures.

Tiémoko Traoré, administrateur de l’action sociale et coordinateur des sites de personnes déplacées à Bamako, explique qu’en réalité, beaucoup d’enfants ne fréquentaient pas l’école avant d’être déplacés. « L’école classique n’est pas leur vocation. Quand nous avons eu l’initiative, la majorité préférait l’école coranique. Nous n’avons pas eu de partenaire prêt à financer cet aspect-là », explique-t-il.

M. Traoré explique que les enfants, qui fréquentaient l’école, avant leur déplacement et qui ont atteint le niveau secondaire, ont été inscrits au groupe scolaire de Sogoniko.

Pour encourager l’apprentissage sur les sites de déplacés, l’ONG CAEB a mis en place, il y a quelques jours, un système d’encouragement qui consiste à procéder à un transfert monétaire aux parents des enfants qui sont à l’école. De quoi motiver les plus réticents.

ADS/MD (AMAP)