Dans le cadre de la mise de son programme BamGire, l’ONG Wetland international a organisé, du 5 au 11 août dernier à Sélingué, la 4e édition de son atelier international sur la gestion intégrée des ressources en eau. Il ressort de la rencontre que la faible pluviométrie et le dragage sont en train de menacer les cours du fleuve Niger en aval, singulièrement le Sankarani.

Pendant cinq jours, des journalistes maliens et guinéens ont échangé sur les enjeux de la gestion des ressources intégrées en eau (GIRE), sous la supervision des experts de l’Agence du Bassin du Fleuve Niger (ABFN) et de l’ONG Wetland international. L’objectif de l’atelier était d’amener les journalistes à réfléchir sur la GIRE et de réaliser des productions sur le sujet pour une meilleure compréhension. Les visites ont porté essentiellement sur le Sankarani, l’un des plus grands affluents du fleuve Niger, ainsi que sur le barrage de Sélingué. L’une des principales missions de cette infrastructure est la régulation du débit des cours d’eau. Mais à cause des déficits pluviométriques, notamment celui de 2017 et le dragage, le barrage de Sélingué peine à jouer convenablement son rôle de partage équitable des ressources en eau. La situation a affecté l’écosystème, comme le confirment les experts.

Le rôle régulateur du barrage de Sélingué
Fonctionnel depuis 1982, le barrage de Sélingué n’a pas qu’une fonction de production d’énergie. Le président du Comité local de l’eau (CLE) de Sélingué, Hamet Kéita, a expliqué que le barrage a des buts multiples parce qu’il assure le développement de l’agriculture, à travers l’irrigation des périmètres ; le développement des activités de l’élevage et de la pêche. Enfin, il régule l’eau du fleuve Niger en facilitant la navigation.
Très engagé dans la protection de l’eau et de la protection des ressources aquatiques, M. Kéita soutient que le barrage de Sélingué permet au Mali de respecter le débit écologique au niveau de Markala, estimé à 40 mètres cubes par seconde au moins par jour. Cela permet aux usagers, qui sont en aval, de disposer de la quantité d’eau nécessaire, a-t-il ajouté.
« C’est Sélingué qui permet d’augmenter le plan d’eau pour que l’onde de crue puisse arriver au niveau de Markala afin que le niveau de l’eau soit rehaussé quand il y a la décrue», souligne M. Kéita qui précise par ailleurs que la régulation du barrage fait l’objet d’une gestion concertée au sein d’une commission tripartite. Celle-ci est composée des acteurs de la société civile, des services techniques de l’Etat ainsi que des experts intervenant dans le secteur de l’eau.
De son côté, Amadou Coumaré, responsable de la centrale hydro-électrique du barrage de Sélingué, debout au milieu de ses machines de production précise que «la régulation du barrage est axée essentiellement sur la retenue et les lâchers d’eau». Et entre août à octobre, les techniciens procèdent suivant les prévisions météorologiques au remplissage de la retenue. Cette année exceptionnellement, informe-t-il, la retenue a démarré à partir du 15 juillet, un peu plus tôt que d’habitude, un signe avant-coureur d’une bonne pluviométrie.
Quant aux lâchers d’eau, ils sont exécutés en considération des principes de la disposition de l’eau, indique M. Coumaré, tout en redressant ses lunettes. Puis, il précise : « Nous procédons aux lâchers en fonction des données reçues depuis les échelles de Mandiana, à la source. Nous faisons le remplissage selon le niveau recommandé de 345 à 500 à la cote. Et tout surplus est relâché dans le lit des cours d’eau ».
L’expert témoigne également que la pratique des lâchers est une question de survie pour certains riverains, qui développent des activités génératrices de revenus, dont la pêche. En même temps, elles peuvent constituer une source de risque d’inondations et d’autres dégâts pour ces personnes, d’où la concertation au sein de la commission tripartite de la gestion d’eau du barrage avant tout déversement du surplus de la retenue, souligne M. Coumaré.
« Pour cette année, nous avons commencé les premiers lâchers le lundi 6 août qui peuvent durer plusieurs jours. Avant, nous prenons toujours soin de faire des communications pour informer les riverains afin qu’ils puissent prendre des précautions», a-t-il assuré.
La mauvaise pluviométrie de 2017 et ses impacts
2017 a été déficitaire en pluviométrie. La Guinée Conakry, qui alimente le Sankarani, a enregistré moins d’eau l’année dernière. Comme conséquence, la situation a affecté le fleuve Niger par l’asséchement de ses cours d’eau. Ainsi, le barrage de Sélingué n’a pas pu réaliser toutes ses missions conformément à ses prérogatives.
« Au cours de la période, nous avons refusé pendant longtemps de faire des lâchers d’eau malgré les plaintes des usagers en amont du barrage», confie M. Coumaré.
Face à la situation, selon lui, ils ont privilégié notamment la production d’eau pour fournir la ville de Bamako qui dépend de près de 80% du barrage de Sélingué pour ses besoins en eau. Une sélection discriminatoire justifiée par la faiblesse de la retenue d’eau même s’ils avaient anticipé sur la crise.
Appuyant les propos de M. Amadou Coumaré, le président du CLE, Hamet Kéita confirme que « les lâchers périodiques, programmés d’août à septembre, n’ont été possible qu’en début d’octobre et durant une courte période, soit moins de dix jours ». Ce qui a été un problème, dit-il. Toutefois, pour pallier au déficit, rappelle M. Kéita, la Commission en charge de la régulation de l’eau a conseillé les usagers, notamment les agriculteurs et l’Office du Niger de minimiser leur culture de contre saison pour une gestion rationnelle de l’eau afin de faire face au déficit. Heureusement, reconnaît-il, les consignes ont été respectées de façon générale. En effet, il a constaté que les « superficies cultivables ont été réduites. Il n’y a pas eu également beaucoup de cultures de contre-saison ».
Ce ne sont pas seulement les populations qui ont souffert de la décrue de 2017. Selon le responsable de la centrale hydro-électrique du barrage de Sélingué, la situation a eu également de graves conséquences sur les espèces aquatiques. « Sans l’eau, c’est la survie de plusieurs espèces qui est menacée», a-t-il déclaré, d’un ton émotif.

Le dragage compromet les données hydrologiques
A côté des effets du changement climatique, des pratiques non conseillées sur les cours d’eau comme le dragage sont aussi avancées par des experts pour justifier le faible rendement du barrage de Sélingué. Sur le Sankarani, des dizaines de site de dragage sont installé à la recherche de l’or.
Malgré la saison pluviométrie où l’activité est beaucoup plus risquée, Souleymane Dembélé ignore ces dangers et s’adonne à fond à la pratique. Il reconnaît des effets néfastes de leur activité sur les cours d’eau, mais il la justifie par la pauvreté et le chômage. «On n’a pas de travail, c’est pourquoi nous faisons cette activité pour subvenir au besoin de nos familles », soutient-il. Et pourtant une décision de suspension de l’activité a été prise par les autorités du pays.
« Ce sont les autorités communales qui nous donnent des autorisations », se défend M. Dembélé.
De son côté, le maire de la commune urbaine de Baya, Magette N’Diaye dément qu’il n’a jamais donné d’autorisation pour l’utilisation de la drague dans sa circonscription. D’ailleurs, à plusieurs reprises, rappelle-t-il, il a demandé le concours des forces publiques pour chasser les propriétaires de drague.
« J’ai l’impression qu’il y a une grande complicité entre des agents des forces publiques et des propriétaires de drague », soupçonne-t-il.
Très opposé à cette pratique, le président du CLE soutient que le dragage est en train d’augmenter le taux de boue ou la vase dans le Sankarani. Cet envasement, commente M. Kéita, fausse les données pour le respect des consignes du débit écologique par Markala. Car poursuit-t-il, la forte présence des vases donne « l’impression qu’il y a une grande quantité d’eau disponible dans le Sankarani alors qu’en réalité elle ne représente pas grande chose ». Pour preuve, soutient-t-il : «On parvenait à respecter le débit écologique avec certaines cotes. On a ces mêmes cotes présentement, mais le débit écologique n’est pas respecté. Nous pensons que les cours d’eau contiennent beaucoup de vases ; ce qui expliquerait le problème».
Pour sa part, Baradji N’Diaye, expert à l’Agence du Bassin du fleuve Niger (ABFN) déclare que le Mali doit aller au-delà d’une simple suspension du dragage. Les effets nuisibles de la situation ne sont plus à démontrer et par conséquent les autorités doivent s’assumer pour décider de son interdiction.
« Je me réjouis déjà que la relecture du Code minier du Mali prévoit des dispositions pour interdire le dragage sous toutes ces formes. Après son adoption, il faut que le pays aille à son application », a conseillé M. N’Diaye. Il pense que l’une des solutions est l’abandon de l’activité sur les cours d’eau au Mali, à l’image de la Guinée voisine.

Par Sikou Bah

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