Ils exercent généralement ce métier par nécessité, mais n’en sont pas moins fiers de se rendre utiles

La scène relève du déjà-vu. Un soir de septembre, sous l’échangeur du Babemba, une équipe de ramasseurs d’ordures de l’entreprise de nettoyage Ozone Mali s’attèle à débarrasser un tas d’immondices et de gravats. La position de leur camion de transport d’ordures provoque un petit embouteillage mais surtout la colère des usagers de la voie qui n’apprécient guère de perdre un temps fou sur quelques mètres de bitume. Pourtant, le travail de ces petites mains utiles de Ozone Mali doit faire naitre en nous un réflexe de propreté et d’assainissement des grandes artères de la capitale mais aussi des grands espaces publics et autres servitudes pour donner un sens à leur travail.

 

Ces éboueurs qu’on aperçoit à longueur de journée sur les artères principales, au niveau des carrefours et sur les ponts sont reconnaissables à leur tenue. Ils bravent le soleil, cet énorme astre aux rayons lumineux qui brûle la peau humaine après une longue exposition, les intempéries et parfois le sarcasme de certains compatriotes pour répondre à l’exigence de leur devoir, celui d’assainir Bamako, la Coquette. Ils y mettent tellement de fierté à balayer le goudron, sans tricherie, mais avec l’énorme risque de se faire renverser par des automobilistes et motocyclistes qui adorent les courses déjantées.

Pelle et balai à la main, vêtu d’une blouse de couleur verte et rouge de l’entreprise Ozone, Mariétou Konaté, la quarantaine fait partie de ces petites mains utiles qui sautent de leurs lits au premier chant du coq pour donner fière allure à notre environnement, à nos goudrons et autres espaces publics. Cette mère de famille, réglée comme une horloge suisse, exécute admirablement sa besogne quotidienne (le ramassage des ordures) au niveau du rond-point du boulevard de l’Indépendance.

Elle se laisse entrainer petit à petit vers l’Institut français du Mali (ex-Centre culturel français) sous le regard inquisiteur de certains usagers et accepte de se confier à nous. Elle explique n’avoir aucune honte à exercer ce métier parce qu’elle est bien convaincue qu’il n’y a pas de sot métier comme le dit si bien l’adage. Mais, elle s’indigne du comportement de certains compatriotes qui ne semblent pas comprendre que le pays est un puzzle où chaque pièce est bien calée à sa place. Le cardiologue ne fera pas le boulanger parce que chacun a sa spécificité et chacun doit jouer sa partition dans le développement du pays.

«Mais hélas, beaucoup de nos compatriotes ne semblent pas intégrer cette réalité. Ils ne nous respectent même pas parce qu’il suffit de terminer le nettoyage d’un espace pour qu’ils le salissent. Ils le font souvent en notre présence sans aucun scrupule», explique à qui veut l’entendre la ramasseuse d’ordures. Elle ne réclame ni plus ni moins que de la considération pour son job. Les ramasseurs d’ordures sont aussi confrontés à des difficultés existentielles avec des salaires modiques.

Modibo Coulibaly, ramasseur d’ordure à Ozone Mali, déplore le traitement, en termes de salaires, mais aussi de retard dans le paiement. Il pointe également du doigt l’insuffisance de matériel adéquat, voire des équipements pour réaliser la noble ambition de plus assainir le pays. De gros efforts ont été accomplis dans ce sens mais c’est un travail de Sisyphe, dont il est difficile d’apprécier la valeur. Comme lui, ses collègues ramasseurs d’ordures de Ozone Mali réclament aussi de meilleures conditions de travail et de vie.

À l’aise comme un ministre Abdramane Diarra, lui officie depuis plus de 6 ans à Ozone comme ramasseur d’ordure. Il s’autorise une comparaison qui peut paraitre ubuesque surtout très osée. Ce ramasseur d’ordures explique n’avoir aucune honte à balayer. Il se dit à l’aise dans son travail que pourrait l’être un ministre de la République dans ses fonctions. Lui s’accommode pour l’instant de son salaire même s’il ne cracherait pas sur une augmentation substantielle. Cet éboueur indique que lui et ses collègues sont aussi domiciliés dans des banques de la place où, ils reçoivent par virement leurs salaires.

Ils sont aussi inscrits à l’Institut national de prévoyance sociale (Inps) et enrôlés à l’Assurance maladie obligatoire (Amo). Au-delà des travailleurs de Ozone, certains particuliers ont monté des groupements d’intérêt économique (GIE) pour ramasser des ordures ménagères. D’autres évoluent seuls. Ils disposent de charrettes soit à traction humaine, soit à traction animale pour débarrasser les familles de leurs déchets ménagers. C’est le cas d’Alfousseni Traoré qui s’occupe de la collecte des ordures ménagères d’une trentaine de familles à Missara. Il confirme que ce job lui permet de joindre les deux bouts à la fin du mois avec les cotisations des familles. Certaines n’honorent pas leur engagement sous prétexte que les ramasseurs d’ordures ne passent tous les jours enlever les immondices. Il est quasi impossible de pouvoir faire le porte-à-porte quotidiennement relève Alfousseni Traoré qui, en appelle à la compréhension des clients face à la problématique des dépôts de transit d’ordures ménagères.

Mahamadou Diarra, responsable du GIE « Dieya Kankan » de Médina Coura, évolue dans ce secteur d’activités depuis plus de 15 ans. « J’ai commencé moi-même à ramassage les ordures ménagère depuis des lustres. Aujourd’hui, par la grâce du Tout-Puissant, j’ai mis en place un GIE. Mais il y a une insuffisance criarde de dépôts d’ordures qui reste un vrai caillou dans notre chaussure », souligne-t-il. Pour lui la modernisation du secteur se fait désirer pour rendre la ville plus propre.

Les ramasseurs d’ordures ménagères encourent naturellement des risques. Oumar Diallo, entrepreneur, affirme que le ramassage des ordures est un métier à très grand risque de contamination aux maladies infectieuses. Chaka Traoré, médecin généraliste au Centre de santé communautaire (Cscom) de Médina Coura partage ce point de vue mais relativise en expliquant que tous les métiers en comportent.

Il énumère quelques risques comme les infections des voies respiratoires et celles de la peau et la puanteur qui incommode. En outre, il y a le risque de choper le VIH et l’hépatite B, entre autres.
Nonobstant ces multiples risques, les ramasseurs d’ordures sont utiles dans l’assainissement de la ville. Ils doivent être accompagnés avec les équipements nécessaires et la compréhension requise

Baya TRAORÉ

Source : L’ESSOR