L’une est restauratrice, mariée et mère de deux enfants; l’autre orpailleur, veuve qui vit avec ses six enfants. Leur point commun : une détermination à toute épreuve dans un monde de mâles, une volonté de réussir. Deux femmes battantes que tout oppose ! Ou presque. Aoua Sy et Saiba Sissoko sont des amazones aux origine et parcours différents.

 

Nos deux amazones contemporaines ne sont pas des filles d’Ares, fils de Zeus et de Era. Elles n’en sont moins des battantes, d’un courage olympien, refusant de porter la robe de la fatalité de femme au foyer. La première est issue d’une famille aisée, bien connue dans le Tambaoura. Aoua Sy est d’une famille aisée. A Kéniéba, les Sy ont réussi en affaires. Ils sont dans l’hôtellerie, la restauration, le commerce, l’immobilier pour ne citer que ces quelques activités.

Saiba Sissoko est née griotte. Sa mère n’a vécu que de cette tradition qui consiste à assister les nobles et à faire leurs louanges, lors des cérémonies et vivre des récompenses et dons. Loin d’être oisive, elle a perpétué la tradition telle qu’elle lui a été apprise par ses parents.

A priori, tout oppose Aoua Sy et Saiba Sissoko. Pour être plus fin, l’une a une peau claire et est ronde, l’autre noire et mince. La première est en couple, l’autre veuve.

L’orpaillage traditionnel est, pour le commun des mortels, une activité exclusivement d’hommes. Pour se convaincre du contraire, il suffit de faire un tour dans la Région de Kayes. Chétive, cheveux courts exposés aux quatre vents, Saiba Sissoko est une femme qui ose. Le confort de la profession du statut de griotte, volant d’un mariage à un autre comme un papillon dans la prairie, ou attendant le prix de condiments d’un mari avare… Ce mode vie n’est pas le sien. Depuis sa tendre jeunesse, elle a décidé de descendre dans l’arène pour tirer son épingle du jeu. Aujourd’hui, du haut de ses 46 ans, cette dame s’impose dans le paysage aurifère de sa contrée. « Au temps du général Moussa Traoré, nous alternons les activités d’orpaillage avec les travaux champêtres. De nos jours, les champs sont désertés », raconte Saiba devant son immeuble.

LE FLAIR DES AFFAIRES – Awa Sy, le cordon bleu de Kéniéba, a le flair des affaires. Dans sa famille, le business vient avant tout. Même l’école. Déjà en 5ème année fondamentale, la jeune fille déserta les cours primaires. Pour elle, c’est une perte de temps. Dehors, l’argent l’appelle. La tentation est si forte qu’elle n’eut pas la patience de décrocher le Certificat d’études primaires (CEP). L’avenir lui donnera t-elle raison ? Cela se saura. Dans la foulée, ses parents la donnent en mariage à un jeune prétendant. Elle avait à peine 15 ans. Son mari ne vit pas d’un bon œil les nombreux voyages de sa femme dans les pays limitrophes pour son commerce. Plutôt chanceuse.

Si la restauratrice a bénéficié d’un désintéressé mais généreux coup de piston de la famille Sy, la griotte, elle, a dû avaler des couleuvres. Très pauvre, elle a perdu, très tôt, son père. Elle a vécu une enfance difficile dans une maison où elle a fini par être chassée comme un mal propre. Adulte, elle n’a pas mille solutions. Il faut se battre. D’accord pour le principe, mais avec quels moyens ? L’enfance perturbée devient la source d’énergie de la griotte qui prend la décision de chercher de l’aide.

Il y a une dizaine d’années, une association a fait confiance à Saibo Sissoko en lui accordant un prêt remboursable de 10 millions. Elle a décidé de partir au Sénégal, à Karakina, pour développer ses activités d’orpaillage. Manque de chance, les Sénégalais les ont chassés sans ménagement du site. « A mon retour, j’ai décidé de voler de mes propres ailes chez moi. Je suis griotte mais je refuse de vivre au crochet des nobles. Je me suis donc engagée dans l’aventure de l’or en achetant une parcelle de 5 ha à Dabia », raconte-t-elle. Et toute sa vie changea. Sa parcelle est un don du ciel, un filon. La ruée des chercheurs d’or fera sa fortune.

GORGÉE D’OR – En creusant un puits dans ma parcelle, je me suis rendu compte que la terre est gorgée d’or ». Après un long procès, la battante a consolidé sa propriété avec un titre foncier aux frais de 35 millions de Fcfa. « Je paye toutes les taxes en qualité d’exploitante minière. Elle a cherché des partenaires financiers (marchands d’or) et ensemble, nous avons pu encaisser des bénéfices. Mes chiffres d’affaires font plusieurs dizaines millions de Fcfa», explique-t-elle.

Sur sa parcelle de 5 ha, la désormais patronne d’un site d’orpaillage dispose de pas moins de 13 équipes de 6 personnes. « Je suis femme. Donc, je ne peux pas résider sur place avec les orpailleurs. Avec les équipes, on a trouvé un consensus. Chaque mois, chaque équipe me verse 10 grammes d’or. Je ne cherche pas à savoir ce qu’elle gagne. Le plus important est de faire en sorte que tous les travailleurs trouvent leur compte ».

« En 2016, une de mes équipes m’a fait une découverte de 7 kilogrammes d’or. Le gramme coûtait 10.000 Fcfa », raconte avec fierté l’exploitante qui précise qu’elle n’a reçu que 30 grammes sur les 7 kg d’or. La petite fortune de Saiba est profitable aux autres. Elle dit avoir réalisée trois forages au bénéfice des villages environnants. Elle a placé une partie de ses revenus dans l’immobilier.

Aoua Sy, la patronne du restaurant qui fait dos à l’hôtel Falémé a pris le temps d’installer son empire, multiplie les activités. En plus du commerce, elle annexe le restaurant de l’hôtel de son grand frère. Aoua y injecta du capital et donne au restaurant « Falémé » ses lettres de noblesse. Depuis 2006, elle s’est installée en ce lieu stratégique pour vendre de la nourriture à une clientèle diverse: voyageurs affairistes, miniers, orpailleurs …

« Je suis native de cette ville. J’ai abandonné l’école lorsque je passais ma 5 ème année à l’école fondamentale. Ma famille fait du commerce. J’ai pris en main ce restaurant, en collaboration avec le promoteur de l’école qui est mon grand frère », explique, avec une légitime fierté, Aoua Sy, 41 ans. Avant d’ouvrir le restaurant, elle faisait du commerce de divers produits de beauté et de tissus. Dans une vie antérieure, elle parcourt le Sénégal, Gambie, Togo et le Burkina Faso à la recherche de bons plans. “J’ai rencontré mon mari lorsque j’avais 15 ans. Depuis, nous sommes en couple. Mon mari, avec qui j’ai eu deux enfants dont une fille de 20 ans, me soutient beaucoup dans mes activités”, explique, reconnaissante, Aoua Sy.

Aoua la restauratrice et Saiba l’orpailleur sont toutes deux fières de leur parcours. A force de croire en elles, la réussite leur a ouvert sa porte. « Les affaires prospèrent », reconnaît, très joviale, Aoua qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. “Mes principaux clients sont les travailleurs des mines et les clients de l’hôtel. Je leur propose du poulet, poisson, riz, viande, couscous, fritures, etc. », explique-t-elle qui se félicite de la variété de son menu auquel travaille la 13 personnes dont une dizaine de femmes.

ENCORE PLUS LOIN –Pour l’instant, le souhait de Saiba Sissoko est d’achever son immeuble dont la construction a démarré depuis deux ans. « En ce moment, les affaires ne marchent pas comme je le souhaite. Tout ce que je gagne est distribué aux agents municipaux, gendarmes et les agents des Eaux et Forêts » se plaint-elle, dénonçant la cupidité de certains fonctionnaires.

La minière espère, dans les prochains jours, rencontrer un partenaire crédible qui dispose de ressources suffisantes pour exploiter l’or de sa parcelle. Des tonnes d’or sont encore cachées dans ses entrailles. Il faudrait les extraire pour assurer un avenir à ses progénitures. « Je suis leur père et leur mère», martèle-t-elle, avec un sens aigu de la responsabilité.

Aoua Sy peut économiser, après toutes les dépenses 400.000 à 600.000 Fcfa. Parallèlement à ses activités de restauration, elle continue à voyager. “Récemment, je m’étais rendue à Dakar pour acheter des habits et des chaussures de femmes. Je les ai exposés dans ma boutique en face du Lycée public de Kéniéba”, dit-elle. La plus grande fierté de Aoua Sy est d’avoir pu payer intégralement les études de ses enfants à Dakar et à Accra. Tous les deux sont revenus au bercail avec de bons diplômes. “Ma fille travaille dans une mine et le garçon gère l’hôtel de son oncle”, dit-elle fièrement.

Sur le plan des affaires, elle veux aller toujours plus loin: décrocher la lune. “Dimanche prochain (3 février), je dois inaugurer mon deuxième restaurant, non loin de la gare routière. A Bamako, j’ai acheté une parcelle qui sera bientôt bâtie et j’en ferais un grand restaurant (rez-de-chaussée) et en logements à l’étage. Pour elle, travailler est la seule recette pour être autonome et pouvoir aider le mari dans la prise en charge des besoins de la famille.

AC/MD

(AMAP)