Le lundi 12 septembre prochain, la grande famille islamique mondiale, la Oumah islamique plus précisément, doit fêter l’Aïd Elkébir ou Tabaski qu’on appelle aussi communément “Séliba” (littéralement grande prière) par différenciation à la fête de la fin du Ramadan appelée “Sélifitini” (littéralement petite prière). Cette distinction, au vu de la traduction littérale, reste très significative au vu de la différence dans les contraintes imposées au musulman à l’occasion de ces deux grands jours saints de l’Islam.

marche mouton mali

C’est vrai que pour les deux, les habits neufs sont de mise, ainsi que les chaussures, pour toute la famille. C’est la période dorée pour les couturiers qui s’accommodent des brimades et autres remontrances des clients lorsque les habits ne sont pas prêts à l’heure du rendez-vous. C’est ainsi que des clients déménagent carrément chez leur couturier qui pédale nuit et jour pour satisfaire cette demande exceptionnelle. Mais “ qui trop embrasse mal étreint “. Parfois aussi, c’est pour ne pas respecter le rendez-vous et plonger des clients, surtout les femmes aux coutures compliquées, dans la détresse.

Les femmes font la queue devant les salons de coiffure où même ceux d’entre eux qui ne voient une tête à arranger qu’en de rares occasions dans l’année, affichent le plein au niveau du carnet de rendez-vous. Qu’importe donc la qualité de la coiffure ! L’essentiel étant que, le jour-j, on fasse ressortir sur sa tête tout un amas de cheveux artificiels pour être dans la fête.

C’est d’ailleurs l’occasion pour les femmes de la génération actuelle de montrer combien elles savent faire dans la fausseté : faux cheveux, faux ongles, faux cils, faux teint, faux seins et même maintenant de fausses fesses et fausses hanches, parce qu’il existe des culottes spéciales à utiliser comme dessous pour se donner des rondeurs illusoires.  Pourvu que cette fausseté généralisée reste toujours à l’extérieur, superficielle, si non…

Les hommes de leur côté, assimilent la fête de Tabaski au casse-tête de l’acquisition de moutons. Surtout que les polygames, lorsque leurs épouses ne vivent pas dans la même concession, sont obligés de payer plusieurs moutons. S’il faut en rajouter celui qu’on offre généralement au père ou à la mère, cela devient un véritable parcours du combattant. C’est plus grave à Bamako où, avec la promiscuité, il n’y a plus d’espace pour élever un mouton, encore moins le garder durant quelques jours. C’est pourquoi, on attend toujours le dernier moment pour organiser une ruée vers le foirail. Mais c’est en ce moment aussi que les vendeurs de moutons se frottent les mains et commencent à spéculer sur les prix, parce que conscients de tenir leurs clients à la gorge, avant que ceux-ci ne s’acharnent à leur tour, le jour de la fête, sur la gorge du mouton.

Mais il n’y a pas que le prix du mouton qui monte. La pomme de terre, les oignons, la banane plantain (aloco) et tous les autres condiments qui accompagnent la cuisson de la viande de mouton voient leur prix grimper dans l’ascenseur pour une ascension vertigineuse. Et chaque année, c’est le même cérémonial. Qu’on le veuille ou non, il faut que, par le fait des gens, une crise s’installe quelques jours avant la fête, pour disparaître sitôt les moutons égorgés. La cause de cette crise, c’est donc nous-mêmes.

En effet, s’il vous arrive de vous promener dans les marchés quelques jours après la fête de Tabaski, lorsque les vendeurs auront fini de digérer le bénéfice illicite amassé avant “Séliba”c’est à peine si on ne vous agresse pas en vous essayant de vous attirer vers leurs tables souvent mal achalandés en ces lendemains de fête. La dureté du ton d’avant la Tabaski disparaît subitement pour laisser la place à des implorations. Mais l’autre crise qui accompagne la Tabaski, c’est au niveau de l’environnement. Deux jours après la fête, cela schlingue de partout à cause des déchets jetés n’importe comment dans la rue. Les matières fécales extirpées des entrailles du mouton, le sang versé à même le sol, les débris de peaux de moutons et autres saletés se mélangent, se décomposent ensemble, pour donner un parfum irrespirable. Ça aussi, c’est la Tabaski à Bamako.

C’est dans cet environnement que les hommes, fauchés et fâchés pour avoir dépensé tout leur argent, se lancent dans une débrouille au quotidien pour tenir  jusqu’à la fin du mois. Mais là aussi, gare aux découverts bancaires et autres prêts contactés auprès des vendeurs de vêtements, chaussures et autres produits avec la fameuse formule si prisée par les commerçants qui parcourent les lieux de travail pour placer leurs marchandises : “Jusqu’à la fin du mois”.

C’est dire que lors de la Tabaski, il n’y a pas que les moutons qui en souffrent par le respect de la tradition du sacrifice d’Abraham. Mais avec la conjoncture économique devenue austère, c’est vraiment la Tabasse-crise. Mais au fait, dans ce jeu, qui tabasse qui ? En attendant d’avoir la réponse, bonne et heureuse fête d’Aïd el kébir à tous nos lecteurs !

                                               Amadou Bamba NIANG

Source : Aujourd’hui-Mali