La grève illimitée des magistrats s’approche des 90 jours, soit trois mois de durée. En apparence, les actes posés et assumés, tant du côté des pouvoirs publics que de celui des grévistes en réponse, tendent à faire accroire plutôt à un raidissement des positions. Des décisions arrêtées par le Chef du Gouvernement, il ressort en filigrane une nette détermination à ne pas déferrer à ce que l’autorité, et une bonne partie de l’opinion avec elle, n’est pas loin de considérer comme une dérive et une surenchère des grévistes. Les réponses presqu’en temps réel des magistrats ne tardent pas à fuser, qui assurent d’une détermination tout autant intacte et inébranlable. Pourtant, en stratégie de négociation en général, c’est lorsque les positions sont à cran que l’infléchissement s’amorce. Au Mali, on n’en est pas loin, même si tout plaide pour le contraire.

Selon des sources bien introduites, des bonnes volontés sont activement entremises pour renouer l’inévitable dialogue entre magistrats grévistes et pouvoirs publics. Si le Gouvernement met toujours en avant l’insoutenabilité des prétentions financières des magistrats, il serait de plus en plus enclin à discuter, non seulement, de se pencher plus tard sur la question, mais aussi, et surtout à envisager quelque souplesse dans les retenues salariales consécutives aux arrêts de travail. À condition que le travail reprenne !
De l’autre côté, la Magistrature, au-delà des bras d’honneur, il était question qu’une audience du premier d’entre eux, en l’occurrence le Président de la République et Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, pourrait bien permettre en une séance d’écoute de gommer certaines aspérités des positions par moment rugueuses.
La solution partielle
De fait, tout porte à croire que le Président de la République détient une partie de la solution. En fait, les magistrats, une fois le décret de réquisition annoncé, ont estimé que le Premier ministre et son équipe n’étaient plus des interlocuteurs au dialogue. D’ailleurs, ils n’ont cessé de le rappeler, arguant même que ‘’sa’’ réquisition constituait une violation de la loi, car en tant qu’institution et du fait de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, SBM n’avait aucune autorité à user de cette mesure à l’encontre des magistrats.
Pour autant, les magistrats n’ont eu de cesse d’en appeler à l’arbitrage du Chef de l’État. Ce à quoi ce dernier n’avait encore à ce jour donné aucune suite, car il y avait risque non seulement de désavouer le Premier ministre, mais aussi de s’enfermer dans le piège d’une question catégorielle dont les termes ne sont pas partagés. Et pour cause, l’exécutif dénie aux magistrats toute association à la Commission de l’expert qui a déterminé les échelles financières querellées a fortiori tout engagement souscrit en ce sens.
Pourtant, pour les bonnes volontés commises entre les parties, il était indiqué que le Président IBK accorde une écoute à ses collègues, tout en limitant les cadres de la séance à une simple écoute. D’ailleurs, pense-t-on, ceux-ci, les magistrats, ne demandaient pas mieux, vu que de toute façon, ce n’est pas le chef de l’État, bien que donnant des instructions, qui détermine in fine les cadres financiers du dialogue. Ce qui a eu lieu et visiblement IBK a pu se sortir du piège d’engagements autres que sécuritaires, dont le caractère impératif est reconnu par tous et qui va au-delà des juridictions.
Par ailleurs, les sources indiquent que le casus belli des retenues salariales est au cœur de la timide amorce de dialogue. Et pour cause, avec presque trois mois de salaires envolés des fiches de paie, la facture paraît plutôt salée pour la bourse des magistrats. Les ordres ont déjà été émis pour les retenues.
Toutefois, d’après les informations autour de l’affaire, pouvoirs publics et grévistes, s’accordant sur le bien-fondé juridique des retenues, les magistrats ne l’ont d’ailleurs pas remis en question, seraient disposés à convenir des modalités de prélèvements. Et pourquoi pas à une mesure d’assouplissement sur cette question ? Les vertus du dialogue ouvrent bien des possibilités, nous assure-t-on.
De toute évidence, les développements de ces derniers jours ne sont pas étrangers à une prémisse d’évolution des positions. D’ailleurs, l’affrontement Gouvernement-magistrats grévistes devenait intenable.
En plus des populations prises en étau, voire en otages pour la jouissance de certains de leurs droits, ce sont les institutions, en l’occurrence la représentation du peuple souverain, qui commençaient à en faire les frais, au-delà des contestations qui atteignaient les hautes juridictions elles-mêmes, à savoir la Cour Suprême et Cour la constitutionnelle.
La bouffée d’oxygène
Il faut déjà dire que le Gouvernement a eu une bouffée d’oxygène qui lui permet de tenir encore un certain temps dans le bras de fer qui l’oppose aux magistrats. En prolongeant le mandat des députés de six mois, bien qu’en malmenant considérablement les principes de droit positif, la Cour Constitutionnelle renforce autrement la position de l’Exécutif. En effet, l’épée de Damoclès des législatives en vue, mais impossible à tenir dans ces conditions, conduisait le pays tout droit vers une situation de non-droit, aux conséquences incalculables et pouvant même impacter l’une des seules institutions encore dans les normes, le Président de la République qui vient d’être constitutionnellement installé. Même si on a prétexté, à la fois dans la demande d’avis de l’Assemblée nationale que dans les attendus en réponse de l’arrêt de la haute juridiction, la nécessité réelle (mais non sans questionnement au demeurant, mais ceci est une autre histoire…) de conduire à terme certaines réformes, en réalité, c’est l’impossibilité d’obtenir les documents juridiques nécessaires pour les candidatures et tenir légalement de bonnes élections qui a lourdement pesé dans la balance. Comme pour dire qu’en persistant dans ‘’l’illimitation’’ de leur mouvement, les magistrats savaient pertinemment où frapper et faire mal à l’Exécutif. Si bien que Manassa DAGNOKO et son équipe ont remis à SBM, à travers la demande d’avis de l’Assemblée nationale, de quoi tenir la dragée haute aux magistrats grévistes.

Par Yaya TRAORE

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