Le modèle par excellence du type d’homme dont notre pays a besoin pour relever la tête.
« ?La recherche de l’immortalité est une chose chère à l’âme africaine. Des Pyramides antiques au culte des morts des paysans bantou, Aka, l’africain a toujours cherché à lutter contre le néant de la mort, à vaincre le temps, à s’immortaliser dans sa progéniture et dans son œuvre? », écrivait un célèbre historien africain.

Le Pr Gaoussou Diawara, ce « ?héros? » des temps modernes sorti du terroir Jitoumien (à 80 km de la capitale) a sans doute réussi, mieux que personne de sa génération, à édifier sa propre tour d’immortalité, par une vie exemplaire et une productivité intellectuelle toujours dense et utile. Plus de trente pièces de théâtres édités, dix essais, huit recueils de poésie, sept recueils de nouvelles, quatre romans, une fresque historique sur Aboubakari II, l’empereur mandingue qui fit le voyage en Amérique avant Christophe Colomb. Sa plume féconde et fertile restera sa dernière compagne jusqu’au dernier souffle de sa vie interrompue, le mardi 11 septembre 2018, au Luxembourg.

Ses obsèques officielles ont eu lieu, le lendemain après-midi, à Badalabougou, sous les honneurs et les fastes de la République représentée au plus haut niveau par le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maiga. Celui-ci, très ému et surtout conscient de l’immense perte pour notre pays, sa culture et ses belles-lettres, fit de lui, au nom du président de la République : « ?Commandeur de l’Ordre national du Mali à titre posthume.? » (Sans que dans l’assistance personne ne sache trop pourquoi, à quoi peut bien servir un si grand honneur à titre posthume). Car en bon Soninké d’origine (ses ancêtres ont émigré de Troungoumé, Nioro du Sahel, vers le sud du Mali à Ouélessebougou), Gaoussou Diawara aurait voulu déguster son poisson frais, vivant, plutôt que séché, mais bon…

De famille maraboutique très attachée à l’agriculture et à l’éducation coranique, ses parents contribuèrent au rayonnement de l’islam dans cette région connue sous le nom de Jitoumou, dont il était si fier et où il a vu le jour, il y a soixante-dix-huit années (il est né en 1940). Une chose est sûre : en perdant le Pr Gaoussou Diawara, notre pays perd l’un de ses fils les plus valeureux, les plus créatifs, les plus intègres et les plus rigoureux. Sa mort est une immense perte pour notre pays, son élite intellectuelle, son enseignement supérieur. Il a toujours refusé, pour tous ceux qui l’ont connu, la compromission, l’opportunisme, les facilités et parlait sans cesse au cours de ses « ?savantes causeries? » de redonner au Mali sa dignité, la foi en elle-même à travers sa propre culture, ce socle indiscutable de tout développement économique et social.

La valorisation de notre patrimoine culturel, historique a été, tout au long de sa riche carrière, sa principale obsession. Son engagement sans failles sur tous les fronts de la lutte sociale et démocratique ne relevait pas d’un simple fantasme à satisfaire les seuls élans du cœur. Il était toujours sérieux, sincère et déterminé dans ses combats aussi bien culturels que politiques, car on oublie très souvent qu’il fut un membre très actif du CNID originel, celui d’un soleil levant devenu aujourd’hui spectral.

Le Pr Gaoussou Diawara a, de toute évidence, brillamment rempli son contrat et accompli très noblement ses devoirs à l’égard de sa chère patrie, héritière de trois grands empires ouest-africains. Et comme le dirait l’autre, il a plus que largement labouré sa part de champ et est parti sans crier gare. Cependant son message d’espoir, de paix, d’humanisme devra désormais rester entre nos mains, comme une redoutable charge, un lourd fardeau. Son message culturel, littéraire et philosophique doit interpeller la jeunesse malienne à poursuivre la ligne tracée vers de nouvelles frontières. Il s’agit pour tous d’un défi à relever, pour dépasser la médiocrité et accéder à l’excellence. Tel est en tous cas, le vœu le plus cher au Pr Gaoussou Diawara, la référence première, le symbole éminent des arts et de la culture de notre pays. Son ami et collègue le Pr Oumar Kamara Ka, (une sommité de l’art plastique et figuratif dans notre pays), partage naturellement avec nous cette profonde douleur et exprime sa fraternelle compassion à l’endroit de l’illustre disparu – qui n’était pas moins un des meilleurs « ?allumeurs de feu? » – autour du bon et délicieux « ?café matinal? » servi à chaque visiteur de passage. Il partageait ces rares moments ludiques en notre compagnie, avec une intense jubilation intellectuelle. Animé d’un sens profond du pays et inquiet en permanence de son devenir, il aimait souvent répéter ce message à l’intention de la jeunesse : « ?il y a réussir sa vie et réussir dans la vie. Je pense qu’il sera très important pour la nouvelle génération de pouvoir faire la différence. Il ne s’agit plus pour nous de changer le Mali, mais de changer de Mali.? ».

Le mois d’octobre 2017 marquait ainsi ses cinquante années de service dans l’enseignement, une illustration parfaite du couronnement d’une carrière dense, riche, fertile au service presque exclusif de la création littéraire et théâtrale d’œuvres sublimes. Il rêvait pour cela, d’une belle et grandiose cérémonie de consécration organisée par ses pairs et l’ensemble du corps professoral et artistique malien, mais les contraintes de plusieurs ordres n’ont pas permis sa réalisation.

Passionné de l’histoire du Mandé, de son système de pensée, ses mythes et ses héros, le Pr Gaoussou Diawara était de ceux qui ont compris la valeur stratégique de l’histoire comme discipline ancrée aussi bien dans les concepts fondateurs d’une société que dans sa place concrète au niveau du rapport des forces contemporain. Dans ma quête inlassable de savoir et de vérités historiques, le Pr Gaoussou Diawara m’invitait sans cesse à le rejoindre dans sa propre « ?caverne d’Ali baba? », c’est-à-dire sa bibliothèque géante et savante installée dans son pied-à-terre jitoumien. Le génie est une longue sueur dit-on et, en bon maître, il avait accepté de me prendre sous ses ailes généreuses et protectrices, comme le fit d’ailleurs quelques années avant lui, le professeur émérite Youssouf Tata Cissé (paix à son âme).

Ce beau travail de mémoire allait bien continuer, si la mort ne l’avait emporté, selon les patriarches malinkés, à « ?Tounyasso? » : « ?la maison de la vérité où tous les savoirs et toutes les vérités sont appelés à se fondre à jamais? ». Son corps appartient désormais à l’éternité, car dès que le support corporel tombe, la loi implacable de notre condition humaine s’applique dans toute sa rigueur. Le corps nous échappe, mais l’esprit, le souvenir du grand professeur restera toujours chaud et vif comme un « ?viatique? » sur les chemins d’une nouvelle et vigoureuse refondation sociale et culturelle de notre pays.
Dors en paix Professeur?!

Bacary Camara
Journaliste-chercheur
Correspondance particulière.

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