Plus de 400 autres ont été licenciés pour motif économique. Certains employeurs profitent de la situation pour commettre des abus

 

«Nous sommes 12 agents en chômage technique depuis le mois de février. Quand la pandémie a débuté dans les autres pays, bien avant qu’il n’arrive chez nous, l’agence en ressentait déjà les effets car la majorité de nos clients venaient de la diaspora : France, Italie, Espagne, Congo», confie Moussa Traoré, en chômage technique pour cause de Covid-19.

La trentaine, l’assistant comptable dans une agence immobilière, aide aujourd’hui un ami à vendre des articles pour enfants pour pouvoir assurer les dépenses de sa fiancée, de ses frères et neveux. «C’est très difficile de vivre sans salaire. Depuis ma mise en chômage technique, je n’ai reçu aucune rémunération ni bénéficié de mesure d’accompagnement. Il faut être fort mentalement pour s’éloigner du vol», souligne le financier.

Son cas semble être une goutte dans le marigot de personnes affectées par les effets économiques de la maladie à coronavirus. En témoignent les révélations du secrétaire général du comité syndical d’un hôtel de la place. En chômage technique depuis le 1er avril dernier, Moussa Dembélé dépeint le quotidien de ses camarades. «Nous vivons très mal cette situation, après quatre mois sans salaire. Je reçois quotidiennement des appels de collègues menacés d’exclusion par le propriétaire de leur maison ou qui peinent à gérer les frais de condiments. Certains m’appellent étant à la pharmacie pour dire leur ras-le-bol à cause du fait qu’ils peinent à acheter des médicaments pour leurs protégés», souffle l’hôtelier.

Comme Moussa le syndicaliste, 95 employés travaillant pour son hôtel sont également en chômage technique sur un effectif d’environ 120 personnes. Le reste du personnel assure le service minimum. La reprise avait été annoncée pour le 1er juillet, rappelle le jeune homme. Mais vu la chute du taux d’occupation, l’hôtel ne pouvait pas les réintégrer. «Nous étions donc arrivés au stade du licenciement selon la loi. à ma demande, la direction a accepté une prorogation de la durée du chômage technique en lieu et place d’un licenciement économique. Elle a promis des mesures d’accompagnement à cet effet et de faire appel à certains au besoin pour des prestations de service. Nous patientons pour les mesures d’accompagnement», explique-t-il.

Prétexte- Le jeune homme ne cache pas qu’il vit mal la situation difficile vu les charges auxquelles il doit faire face. «Au départ, ajoute-t-il, nous comptions sur l’aide accordée à nos services par l’état afin de nous épargner cette situation. Ils n’ont rien reçu de sa part», affirme Moussa Traoré.
«D’habitude, un hôtelier ne chôme pas. Tu quittes un hôtel, un autre t’engage. J’ai cherché du travail en vain. La situation est générale», s’inquiète Moussa, converti en vendeur de basin le temps de la fête de Tabaski. «J’essaie de me débrouiller pour ne pas rester sur place. Nous espérons sur le coup de pouce de l’état. Nous savons que l’entreprise n’a pas la volonté de nous licencier. Nous savons que ce ne serait pas le souhait de l’état de nous voir licenciés. Car, créer des emplois est difficile au Mali», plaide-t-il.

Comme Moussa Traoré, ils étaient, au mois de juillet dernier, 2.069 agents en chômage technique et 495 licenciés pour motif économique, à Bamako. 142 entreprises étaient concernées par ces mesures, selon Alou Coulibaly, inspecteur du travail.

Les secteurs économiques concernés sont principalement l’hôtellerie, la restauration, les sociétés de gardiennage, les entreprises de BTP, les entreprises de placements, l’industrie alimentaire, la communication, les bureaux d’études, etc.

«Des entreprises maîtrisent peu les dispositions du Code du travail. Elles ont donc mis leurs employés en chômage technique. Un mois après, elles nous écrivent pour nous en informer, sans prendre la peine de communiquer le nombre d’employés concernés par la décision. Elles ont aussi des difficultés à livrer les chiffres lorsque nous les appelons à cet effet», déplore l’inspecteur, précisant qu’une trentaine d’entreprises sont dans cette situation.

Cette façon de procéder viole la loi, précise l’inspecteur du travail. Les textes exigent d’informer par écrit l’inspection, avec en annexe la liste des employés concernés. Celle-ci convie en réunion les délégués du personnel s’il y en a ou les travailleurs concernés, pour les informer des raisons de mise en chômage technique de X ou Y. «Nous menons alors une enquête administrative à notre niveau. Si le motif évoqué est fondé, nous nous assurons du respect de la procédure et prenons acte», confirme Alou Coulibaly. En cas de transgression, l’entreprise s’expose à des payements d’amendes.

«L’inspection du travail a été rarement confrontée à de telle vague de licenciements ou de mises en chômage technique. La dernière remonte à 2012 avec le début de la crise. C’est préoccupant et nous en sommes tous affectés. Nous avons des frères et sœurs qui sont dans cette situation», se désole l’inspecteur du travail. Pour minimiser les dégâts, un décret en préparation envisage la possibilité de prorogation du chômage technique. «Les textes seront effectifs dans les jours à venir», assure-t-il.

Certaines entreprises prétextent la maladie à coronavirus pour procéder à des licenciements abusifs. Conseiller juridique, Mahamadou Koné assiste des travailleurs se trouvant dans cette situation. «La pandémie de Covid-19 est venue conforter certains entrepreneurs qui ont libéré des milliers de travailleurs revendiquant leurs droits, bien avant la pandémie», confirme le juriste.

Activité professionnelle, le travail est régi par des législations nationales, des traités de l’Organisation internationale du travail (OIT) signés par notre pays, le droit communautaire et les conventions collectives, rappelle Mahamadou Koné. Ces lois sont, déplore-t-il, violées par beaucoup de structures au vu et au su des services censés préserver les droits des employés et des employeurs. Il cite l’exemple des ténors du comité syndical d’une entreprise dont certains affichent plus de 14 ans de service. Ils demandaient, depuis 2013, à être inscrits à l’Institut national de prévoyance sociale (INPS) et à l’Assurance maladie obligatoire (AMO).

L’assistant juridique rapporte qu’une société de fabrique de jus a aussi mis en chômage technique ses employés qui demandaient une réduction des heures de travail ou le paiement intégral des heures supplémentaires.

Aminata Dindi SISSOKO

 

Chômage technique : CE QUE DIT LA LOI

Au Mali, le chômage technique est prévu par l’article L.35 du Code du travail. Il stipule que l’employeur peut décider de mettre en chômage temporaire, tout ou partie de son personnel, pour des raisons économiques ou techniques.
Le chômage technique se définit comme une interruption collective du travail résultant d’accidents survenus aux matériels, un arrêt de la force motrice, les sinistres, les intempéries. Le chômage économique, lui, résulte de l’impossibilité pour l’employeur de faire travailler normalement les travailleurs, en raison d’une pénurie de travail, dont la cause est économique.

En la matière, l’employeur qui souhaite mettre tout ou partie de son personnel en chômage technique ou économique, doit requérir l’avis des délégués du personnel (s’il en existe) ou le comité syndical. Elle doit tenir informé au préalable le directeur régional du travail compétent, de sa décision.
L’objectif visé est d’éviter le licenciement des travailleurs, explique le chef de la division appui conseil à la direction régionale du travail de Bamako. Le chômage dure trois mois sans salaire, explique Moctar Konaté. L’inspecteur du travail et de la sécurité sociale précise qu’il peut être renouvelé avec l’accord du ou des travailleurs. En cas de non acceptation, le licenciement incombe à l’employeur.

Toutefois, il n’existe pas de mesure de compensation à l’heure actuelle. «C’est justement à ce niveau qu’il faut une nécessité de révision du Code. Par exemple, en cas de relecture du Code, nous pouvons mettre sur place un système d’allocation chômage technique qui pourra permettre au travailleur de bénéficier de son salaire ou d’un pourcentage de son salaire pendant la période d’interruption. Pour le financement de cette contribution, on pourra peut-être créér une cotisation de 0,5% sur les travailleurs ainsi que pour l’employeur. L’Etat subventionnera ce fonds à hauteur d’un milliard de Fcfa», suggère l’inspecteur. Pour lui, le moment est favorable pour toutes les parties (travailleurs, syndicats, employeurs et État) de s’accorder sur les modalités de ce régime d’allocation.

En cas de licenciement, après la période de chômage technique, l’employeur est-il tenu d’indemniser la personne à licencier ? En la matière, les droits dus sont notamment le préavis (article L.41). En fonction de la catégorie de l’agent, il peut aller de huit à 15 jours, un, deux ou trois mois, selon l’inspecteur. L’employeur n’est pas tenu au paiement du préavis si le travailleur l’a observé après notification, précise-t-il.

L’indemnité spéciale pour motif économique (L.48) équivaut à un mois de salaire brut du travailleur, ajoute Moctar Konaté. Sont également des droits dus le congé non joui (article L.157), l’indemnité de licenciement (article L.53) pour tout travailleur ayant une année de service au moins. Le montant est fonction de l’ancienneté, explique-t-il. à ces droits peut s’ajouter le salaire de présence si le travailleur a des jours de service.

A. D. S.

Source : L’ESSOR