Aucune stratégie n’est de trop pour surfer sur un nuage de popularité par le buzz sur les médias et les réseaux sociaux. Et Moussa Sinko Coulibaly, un Général qui a tourné le dos à l’armée pour embrasser une carrière politique, l’a bien compris. Aux lendemains des attaques du 30 septembre 2019 à Boulkessy et Mondoro (officiellement 40 morts dans les rangs des FAMa), il s’était fendu de déclarations provocatrices sur la gouvernance actuelle du pays.

Et du coup, il s’était attiré la foudre d’IBK et de son fils Bouba avant d’être convoqué au Camp I de la gendarmerie jeudi dernier (10 octobre 2019) pour s’expliquer sur ses propos. Il n’en fallait pas plus pour braquer sur lui les projecteurs des médias et des réseaux sociaux. Comme s’il n’avait pas tiré les enseignements de l’Affaire Ras Bath, le régime d’IBK est en train de «fabriquer» un nouveau Martyr.

«Ma consternation est grande. La nation est meurtrie par l’incompétence du régime d’une médiocrité à nulle autre pareille. Il est temps de trouver des moyens pour mettre fin à cette gouvernance scabreuse. Il est impérieux de mettre fin à ce régime incompétent pour abréger la souffrance du peuple», avait twitté Moussa Sinko Coulibaly le 2 octobre 2019 en réactions aux attaques de Boulkessy et de Mondoro le 30 septembre dernier. «Cette attaque confirme que la montée en puissance de l’armée malienne n’est qu’un grotesque mensonge d’État masquant une incapacité notoire du régime à restaurer l’appareil sécuritaire de la nation», avait ajouté le Général démissionnaire de l’armée.
Ce sont là les déclarations qui ont valu à Moussa Sinko Coulibaly l’ire de la famille présidentielle et une convocation au Camp I de la gendarmerie nationale le jeudi 10 octobre 2019, sur instruction du juge de la Commune V. Il lui était reproché d’avoir appelé au coup d’Etat pour abréger la souffrance du peuple malien.

Sur place, le néophyte en politique a été «cuisiné» approximativement durant 07 heures d’horloge. Et, finalement, il a visiblement réussi à convaincre les enquêteurs que ses propos ont été mal interprétés puisqu’il n’a pas l’intention de soutenir une insurrection ou de perpétrer un putsch pour «dégager» le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita.

«Nous sommes respectueux des lois de la République, nous sommes respectueux de la constitution, nous savons que le peuple est avec nous. Nous nous tenons à la disposition de la justice malienne, nous faisons confiance à la justice malienne. Après l’audition de ce matin, tout le monde comprendra aisément que les interprétations qui avaient été données à ce titre sont loin d’être les intentions, l’esprit et même la lettre de ce que nous avons écrit», a déclaré Moussa Sinko Coulibaly à sa sortie du camp I de la gendarmerie.

Et pour l’intéressé, «ce que nous avons mis sur le net est tout simplement le reflet de la situation actuelle du pays, une photographie de l’aspiration profonde du peuple malien. Nous, en tant qu’hommes politiques, nous nous faisons le devoir de ressortir toutes les vérités qui existent actuellement dans le pays. Nous ne sommes pas d’accord avec la pensée unique. On veut faire éclater même les vérités les plus difficiles».

Provoquer pour exister en attirant l’attention des médias

Et d’assener, «aujourd’hui, la vérité est que les Maliens souffrent ; la vérité est qu’il faut qu’on propose une autre solution. Et nous, au niveau de la Ligue démocratique pour le changement, nous voulons mettre fin à la corruption, à la gabegie, au clientélisme, au népotisme et c’est sur ça que nous travaillons. Et toute notre action s’inscrit dans cette logique», a déclaré à la presse Moussa Sinko Coulibaly après son audition.

«Rien ne va nous dévier de notre chemin», a martelé Moussa Sinko Coulibaly à sa sortie du camp 1 où l’attendaient de nombreux médias nationaux et internationaux. Galvanisé par les micros-tendus, il ne s’est pas privé du plaisir de jouer au «héros persécuté» pour sa popularité et ses convictions.

Il faut néanmoins rappeler que, même si la constitution ne reconnait que les élections et l’alternance comme mode d’accès au pouvoir, cette convocation a été faite en violation de la législation en vigueur sur les partis et responsables politiques. Moussa Sinko n’est plus un militaire puisqu’il a démissionné de l’Armée, mais un opposant politique jusque-là en quête de militants. Il avait pris le départ de la course de la présidentielle de 2018 sous les couleurs du «Mouvement Populaire Plateforme Pour le Changement» qui, de nos jours, a été érigé en parti politique sous le nom de «Ligue Démocratique pour le Changement».

Aujourd’hui, l’ex-putschiste s’affiche comme un opposant. Un statut qui lui confère la légitimité de critiquer le pouvoir en place sans franchir les limites du discours resté politique. Hors, l’article 19 de la loi N° 05-047/ du 18 août 2005, portant Charte des partis politiques stipule, «les dirigeants des partis politiques ne peuvent être poursuivis dans l’exercice de leur mandat pour leurs opinions et leurs activités».

Et l’article 20 de la loi Nº2015-007 du 04 mars 2015 indique que «le Chef de l’opposition politique et les dirigeants des partis politiques de l’opposition politique ne peuvent faire l’objet de discrimination, de sanction administrative, d’emprisonnement en raison de leurs opinions ou appartenance politiques».

Le plus ironique, c’est que le régime a propulsé sous le feu du projecteur des médias un «rêveur» en voulant l’intimider sous prétexte de connaitre ses vraies motivations politique. En le convoquant, Sinko a attiré sur lui l’attention des médias et il ne s’est pas privé du show médiatique offert sur un plateau d’or. Et comme l’a twitté un observateur, «le régime IBK a ce don de créer des héros dont la voix porte contre lui. Il n’y avait aucune raison à auditionner Sinko. Ce n’était pas sa première fois de tenir des propos de ce genre».

Comme le dit pertinemment Me Mamadou Ismaïla Konaté, ancien ministre de la Justice, «s’en prendre à un opposant le propulse et fait de lui une victime/héros au discours plus crédible. Les sornettes d’atteinte à la sûreté de l’Etat ou de trouble à l’ordre public le grandissent plus qu’ils ne l’empêchent de parler de la nudité du roi et de la basse-cour». Lui au moins a tiré les enseignements de ses erreurs en voulant réduire Ras Bath au silence, il a fait de lui un «héros» qui se fait passer depuis comme la voix des sans voix.

Dans un pays où les frustrations ne cessent de s’amplifier, n’importe quel plaisantin courageux peut rapidement focaliser la sympathie des masses et se prendre pour un messie juste parce que ses déclarations dérangent les princes du jour.

Un virage dans l’arène politique sans grande réussite pour le moment

Si Sinko était réellement populaire dans l’armée, on pouvait le craindre. Mais, même quand il était Général plein, il n’a jamais focalisé les attentions des militaires à plus forte raison qu’il a maintenant abandonné l’uniforme pour le costume de politicien. Et objectivement, qui se souvient du score (0,95 %) du «Général-politicien» à la dernière présidentielle ? Même si une connexion n’est pas à écarter entre lui et des leaders politiques qui peuvent l’utiliser comme marionnette afin de prendre le pouvoir, ce néophyte politique est loin d’être une vraie menace pour le clan IBK.

Né à Bamako le 14 juillet 1972, Moussa Sinko Coulibaly est un Général qui a viré dans la politique en démissionnant de l’armée. Officier instructeur, il est nommé ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de l’Aménagement du Territoire après le Coup d’Etat du 22 mars 2012.

En 2013, Moussa Sinko Coulibaly alors ministre de l’Administration territoriale chargé des élections martelait «si la tendance actuelle (en faveur d’IBK) se confirme, il n’y aurait pas de second tour».

Par la suite, il s’était rapproché d’Ibrahim Boubacar Kéita au point de vouloir le dispenser d’un second tour en 2013. Elu, IBK l’avait maintenu à son poste jusqu’en 2014. Et à partir de décembre 2017, Moussa Sinko s’est lancé dans une carrière politique indépendante en espérant peser sur le choix des Maliens lors de la présidentielle de 2018.

Aujourd’hui, ce même Moussa Sinko ne peut plus sentir IBK au point de souhaiter une insurrection ou un putsch pour destituer un président démocratiquement élu. Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Qu’est-ce qui oppose les deux hommes ? Qu’est-ce qui a ouvert les yeux de l’ancien Général sur la réalité de la gouvernance d’IBK ? La seule chose dont nous sommes convaincus, c’est que c’est tout sauf l’intérêt réel du peuple malien !

Hamady Tamba

SourceLe Matin