Samedi 4 mai 2019, le bloc de l’université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB) a servi de cadre à la tenue d’une conférence-débat sur la justice post crise au Mali. Les thèmes retenus étaient: l’indépendance de la justice malienne : mythe ou réalité ? Comment faire de la justice un facteur de consolidation de la paix et de la cohésion sociale dans un Mali en pleine crise, et entre méfiance vis-à-vis de la justice et besoin de justice au Mali. Sur podium, nous avions Me Cheick Oumar Konaré, Me Malick Coulibaly, ancien ministre de la Justice et l’enseignant chercheur DR Mamadou Bekaye Dembélé. Ce, en présence du représentant du recteur de ladite Faculté, Oumarou Z Touré, du président du CERM, M. Diop…

 

Dans son discours d’ouverture, le représentant du recteur de USJPB, Oumarou Z Touré, a précisé que l’analyse du rôle de la justice malienne implique que l’accent soit mis sur le lien d’affaiblissement de l’État et le rôle croissant de la justice dans le traitement des questions sociales. La justice peine selon lui, à protéger les populations fragilisées. Et comme corollaire, « malgré le besoin de la justice,  il y a méfiance à l’égard de la justice. On se tourne vers une justice privée », dit-il.

En charge d’intervenir sur « l’indépendance de la justice malienne : mythe ou réalité ? », le chercheur Mamadou Bekaye Dembélé laissait entendre qu’« il n’y a pas de justice sans l’indépendance qui demeure fondamentale pour garantir une meilleure justice aux justiciables. » Le bon juge est pour lui, celui qui est indépendant et impartial, et l’indépendance de la justice s’entend  pour lui, par le respect du principe de la séparation des pouvoirs.

Suivant ses propos, l’indépendance de la justice suppose l’absence de toute soumission, voire l’imposition de toute pression aux juges dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles. Le juge non indépendant, dira-t-il, ne peut être impartial, car l’indépendance et l’impartialité vont ensemble. À l’en croire, l’indépendance n’est pas un privilège pour le juge, voire un principe corporatif, mais plutôt une garantie d’équité et de probité conférée aux justiciables sur la base de laquelle ils  doivent tous être traités devant la loi aux mêmes pieds d’égalité sans distinction aucune. « Elle ne signifie pas non plus un privilège du juge, mais plutôt un bouclier de protection permettant aux juges de protéger les droits et les libertés des citoyens », a-t-il précisé.

Après avoir mis l’accent sur l’insuffisance de cette indépendance de la justice, M. Dembélé suppose qu’il faut libérer les juges des peurs via la protection de leur personne et de la misère via l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Textuellement, évoquait-il, il y a un problème sur cette indépendance de la justice par le fait qu’étant président de la République, la constitution octroie un droit de regard au chef de l’État sur le mode de fonctionnement du pouvoir judiciaire. « Le juge qui veut être indépendant et travailler de façon judicieuse le sera puisque les droits positifs le stipulent et le garantissent », ajoute le débatteur.

En charge de se prononcer sur comment faire de la justice un facteur de consolidation de la paix et de la cohésion sociale dans un Mali en pleine crise, Me Cheick Oumar Konaré a repris l’un des propos du prophète Mohamed. En ces termes, « Toute société où règne l’injustice sera en proie à l’insécurité et à la famine » que le Mali connait à suffisance aujourd’hui. À l’heure actuelle, s’interroge-t-il, est-ce que l’impunité ou l’injustice n’y est pas au Mali ? « Quand je parle d’injustice, je ne dis pas que le juge a transformé le mal en vérité, ou la vérité en mensonge, je dis tout simplement qu’il a, soit par ignorance, erreur, intérêt ou par pression rendue un verdict qui ne correspondait pas à ce que le droit réel aurait dû lui demander », dit-il.

Avec des arguments plausibles, Me Konaré  affirme  qu’il y a plusieurs localités du Mali où des maires ont été élus lors des dernières municipales, mais dont leur élection a été invalidée par la justice au profit des rivaux puissants qui n’arrivent hormis cela à faire leurs missions parce qu’ils sont détestés par les populations. « Il s’agit des localités où la justice a décidé d’ignorer le suffrage universel des votants en transformant l’élection réelle en élection judiciaire. Donc qu’il s’agit des maires élus en réalité par les juges et non par le peuple. J’en connais des cas pareils à Kita, Koulikoro et d’autres lieux ».

Selon Cheick Oumar, l’article 118 de la constitution stipule : « Aucune révision de la constitution ne peut être entamée ni poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale du Mali », mais qui, selon lui, avait été royalement ignoré par la cour constitutionnelle qui parle de l’insécurité résiduelle alors qu’elle a pour mission principale de protéger cette constitution.

Toujours parlant de la justice malienne, le conférencier Konaré ajoute qu’un groupe militaire a décidé d’attaquer la junte (camp Amadou Aya Sanogo) de Kati en 2012 suite à laquelle il y a eu des morts dans les deux camps. « Je ne défends pas l’indéfendable, mais je dis : ceux qui ont attaqué ont fait des morts, et ceux qui ont été attaqués l’ont également fait. Mais aujourd’hui, ceux qui ont attaqué sont sortis de la prison et ceux qui ont été attaqués sont en détention préventive. Au même moment, moult rebelles passibles de la peine de mort pour avoir pris des armes contre le Mali sont en train d’être libérés en catimini ou échangés contre des gens. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ces réalités, nous ne pouvons pas accepter que la justice soit instrumentalisée à des fins politiques, nous ne pouvons pas nous taire lorsque la loi est ignorée au bénéfice d’intérêt politique ».

Pour lui, la justice a une part de responsabilité dans l’instabilité et l’insécurité que traverse le pays. « Regardez cette affaire entre Mamadou Sinsy Coulibaly et Nouhoum Tapily, où est la justice ? », conclut-il.

À propos de la méfiance vis-à-vis de la justice, Me Malick Coulibaly a mis l’accent sur un rapport de 2018 dans lequel on pourrait lire, dit-il : « 2OO OOO personnes décident chaque année de ne rien faire face à un problème de justice, sur 3251 personnes interrogées, 85% dit ne pas prendre des dispositions pour régler leurs problèmes de justice. D’après cette étude, dit Me, 1 personne sur 3 faits a confiance en la justice. »

Nombreux sont des Maliens qui font confiance aux mécanismes traditionnels plus que la justice. Et les causes de cette méfiance, précise-t-il, sont nombreuses parmi elles, il cite le problème d’accès géographique à la justice sur l’ensemble du territoire, la lenteur de la procédure, des décisions de justice… D’où la nécessité pour lui de changer nos méthodes de travail pour donner une meilleure justice aux peuples.

Mamadou Diarra